L’Annonciation (2024)
Seuls cinq versets bibliques nous parlent de la Vierge Marie. Le premier raconte le moment où l’ange Gabriel lui annonce qu’elle a été choisie par Dieu pour enfanter son fils.
L’Annoncation est un thème couramment représenté depuis les premiers siècles du christianisme. Regardons l’interprétation qu’en ont donné deux peintres italiens à près de deux siècles d’écart et méditons sur ce mystère de l’Annonciation.
Qu’est-ce que l’Annonciation dans la Bible ? C’est l’annonce faite à Marie par l’ange Gabriel qu’elle a été choisie par Dieu, qu’elle enfantera un fils et que ce fils de Dieu sera le sauveur du monde.
L’église catholique a choisi de célébrer l’événement neuf mois avant Noël, c’est-à-dire le 25 mars, jour de l’équinoxe de printemps.
L’Annonciation est un thème couramment représenté dans les arts depuis les premiers siècles du christianisme jusqu’à nos jours et a connu des évolutions importantes, lui permettant de développer une riche iconographie.
Les artistes se fondent sur le récit de l’Annonciation à partir de différentes sources. Parmi les textes canoniques du Nouveau Testament, seul l’Evangile selon saint Luc (1, 26-38) décrit la scène. Le récit s’intercale entre le récit de la grossesse d’Elisabeth, cousine de Marie, et le moment de la Visitation où les deux femmes se retrouvent. L’ange Gabriel, envoyé par Dieu, apparaît à Marie, qui est présentée pour la première fois. Entrant chez elle, il la salue et lui annonce qu’une grâce lui a été faite. Marie étant troublée, l’ange lui dit qu’elle sera enceinte d’un fils, qui aura un règne sans fin. Le Saint-Esprit viendra sur elle et la puissance du Très-Haut la "couvrira de son ombre". Afin de démontrer la puissance de Dieu, il évoque la grossesse d’Elisabeth qui est une vieille femme. Marie accepte la décision de Dieu et l’ange repart.
L’art chrétien emprunte également de nombreux détails aux textes apocryphes, en particulier le Protévangile de Jacques et deux textes qui s’en inspirent : l’évangile du Pseudo-Matthieu et l’évangile de la naissance de Marie.
Un autre source est aussi souvent utilisée par les artistes : La Légende dorée, de Jacques de Voragine.
Deux peintres italiens, l’un du XVème siècle, l’autre de la toute fin du XVIème, vont ainsi illustrer ce thème de l’Annonciation et nous apprendre quelle évolution s’est opérée, tant dans les sources utilisées que dans la manière propre à chacun : Fra Angelico et le Caravage.
I. L’annonciation de Fra Angelico
L’Annonciation, retable de Fra Angelico (vers 1425-1427)
Tempera et or sur panneau de peuplier. 162,3cm x 191, 5cm (194 x 194cm avec le cadre et la prédelle)
Musée du Prado, Madrid.
Il s’agit de l’une des trois Annonciations de Fra Angelico sur tableau. Deux autres, mais à fresque, figurent au couvent San Marco de Florence.
Cette œuvre était d’abord destinée au couvent San Domenico à Fiesole.
Sous le panneau central du retable, une prédelle comporte cinq panneaux représentant des scènes de la vie de Marie : la naissance de Marie et les Noces de la Vierge et de saint Joseph ; la Visitation de Marie à sa cousine Elisabeth ; la Nativité du Christ ; la Présentation de l’Enfant Jésus au Temple ; la Mise au tombeau de la Vierge avec le Christ recueillant son âme. Le texte de l’ "Ave Maria" se trouve entre la scène principale et les cinq panneaux de la prédelle.
Deux-tiers du tableau sont consacrés à la scène de l’Annonciation qui est dans la lumière.
Une composition assez simple construit la scène : un sol de marbre bleuté, deux arcades de face, deux latérales, limitées aux seules colonnes ; la chambre de Marie ne laisse entrevoir qu’un banc et un coffre ; l’ange et Marie occupent chacun la moitié de l’espace. Le regard du spectateur est frontal.
On voit l’ange Gabriel pénétrer dans l’habitation de Marie, une loggia ouverte sur un jardin.
À droite, la Vierge se trouve assise, les bras croisés sur la poitrine, la tête penchée. L’arrivée de l’ange a interrompu sa lecture car, sur ses genoux, est posé un livre ouvert visiblement sur la prophétie d’Isaïe : "Voici que la vierge est enceinte ; elle enfantera un fils qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire Dieu-avec-nous)" (Is 7,14). Au moment où elle lit cette prophétie, celle-ci se réalise, prend chair.
Marie est vêtue d’une robe rose qui apparaît sous le somptueux manteau bleu lapis-lazuli doublé de vert tendre et bordé d’un galon doré. Ce vêtement d’apparat ne montre pas la réalité terrestre de Marie, simple jeune fille de Nazareth. Il révèle une autre réalité : elle est la mère de Jésus, la "Reine du ciel". Un ruban entoure sa tête, comme un couronne. Le nimbe au décor travaillé traduit la finesse du travail du peintre, attaché aux détails. Une tenture damassée est accrochée au mur et s’étale sur le sol, sous les pieds de Marie.
En face d’elle, l’ange Gabriel se courbe, les bras croisés sur la poitrine, dans une attitude de salutation : "Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi" (Lc 1,28).
Il porte une magnifique robe rose, dont la jupe est entièrement plissée, ornée de passements dorés qui rappellent les ciselures du nimbe, différentes de celles du nimbe de la Vierge. La robe, fendue dans le bas, laisse voir la doublure jaune et une jupe bleu azur. Les cheveux blonds de l’ange sont bouclés autour du visage. Ses ailes sont encore partiellement déployées, indiquant que l’ange vient d’arriver devant Marie qu’il regarde.
Entre l’ange Gabriel et Marie se dresse une fine colonne au chapiteau composite. Au-dessus de celui-ci apparaît en grisaille le visage de Dieu. Ou est-ce celui du prophète Isaïe, confirmant la lecture de Marie ? Une hirondelle s’est posée sur le chapiteau. Elle annonce le printemps, c’est-à-dire le renouveau. Or l’acquiescement de Marie renouvelle la Création. L’incarnation du fils de Dieu en son sein fait basculer de l’ancien monde au nouveau monde.
De plus, dans l’antiquité du Moyen-Orient, l’hirondelle était considérée comme un oiseau messager.
Certains détails sont propres à la Renaissance. Fra Angelico les a reçus des peintres Lorenzo Monaco et Masaccio. Et il a une grande faculté à rendre un espace où l’air et la lumière circulent.
On constate une grande économie de moyens. Les couleurs sont vives mais la palette est réduite. Dans la tradition gothique, le peintre a utilisé des pigments naturels précieux : du lapis-lazuli, du cinabre (rouge), de la feuille d’or. Les voûtes bleues étoilées au-dessus de la tête de Marie et le sol en marbre veiné à ses pieds font penser au ciel la nuit, et aux eaux mouvantes. Marie porte du bleu (qui fait référence au mystère de la vie divine), du rouge (symbole de la Passion du Christ et de la vérité divine), et dans son manteau une doublure verte (couleur qui symbolise la vie des plantes et la fertilité). Il y a là quelque chose de l’ordre d’une cosmogonie, c’est-à-dire une récapitulation du monde qui va être renouvelé par l’annonce de l’Incarnation.
Il faut faire glisser notre regard vers la gauche du tableau pour en comprendre sa richesse.
Derrière la maison de Marie, dans l’ombre, Adam et Ève son chassés du Paradis (jardin d’Eden) par un ange. Ils sont dans un jardin luxuriant. Toutes sortes d’arbres et de plantes y ont poussé. Un rosier, aux pieds d’Eve, a fait éclore trois belles roses, images de la conception immaculée de Marie. Ce jardin enclos ("hortus conclusus") fait allusion au Cantique des cantiques (4,12) de la Vulgate : "Hortus conclusus soror mea, sponsa ; hortus conclusus, fons signatus" , c’est-à-dire "Ma sœur et fiancée est un jardin enclos ; le jardin enclos est une source fermée."
Tous deux sont nu-pieds et vêtus d’une misérable tunique de bure. Leur vêture et leur attitude révèlent qu’ils ont commis le péché originel. Cette scène, juxtaposée à la scène principale, est l’inverse de cette dernière. Ève a prêté l’oreille au serpent qui a déformé la parole de Dieu. Elle a cédé à la tentation alors que Marie va prêter l’oreille à la visite de l’ange, messager de Dieu. Ce faisant, elle va introduire la femme dans un nouveau règne. Elle s’est faite servante du Seigneur en écoutant la Parole de Dieu. Le rayon de lumière divine qui part des mains de Dieu en haut à gauche du tableau vient pratiquement frapper son oreille.
Dans ce rayon vole la colombe de l’Esprit Saint qui la couvrira de son ombre. Fra Angelico rappelle ainsi que c’est par l’Incarnation et donc la venue du Christ que le péché originel est racheté.
Ce retable de Fra Angelico induit le spectateur dans une attitude spirituelle de méditation.
Il apporte une Espérance au monde d’aujourd’hui : il oppose Adam et Ève chassés du Paradis à l’annonce de l’ange Gabriel à Marie et donc la promesse du Sauveur. C’est le paradoxe entre l’homme pécheur et la mère du Seigneur, éminemment humaine, conformément au dogme : Marie, "nouvelle Ève" et Jésus, "nouvel Adam".
II. L’Annonciation de Caravage
Cette scène biblique occupe une place de choix dans l’art chrétien. Il ne s’agit pas seulement d’un épisode de la légende de la Vierge. L’Annonciation est à l’origine de la vie humaine du Christ. Elle symbolise le moment où le divin s’incarne en homme. Ce mystère a inspiré des générations d’artistes qui ont offert des interprétations multiples. Traditionnellement, l’ange, créature céleste, représente le pôle émetteur ; et la Vierge, créature humaine, le pôle récepteur. Ce rapport de force tend à s’inverser au cours du XVème siècle : puisqu’on accorde de plus en plus d’importance à Marie, la place de l’ange diminue. Il s’agenouille modestement devant la Vierge Marie présentée comme la future reine des anges (cf. L’Annonciation de Botticelli, ou celle de Del Cossa). Ce type de représentation va beaucoup évoluer à partir de la fin du XVIème siècle avec la Contre-Réforme et, en particulier, avec l’un des plus grands peintres catholiques de tous les temps, le Caravage.
L’Annonciation (1608-1610), Michelangelo Merisi (dit le Caravage)
Huile sur toile. 2,05m x 1,85
Musée des Beaux-arts, Nancy
Ce tableau a été réalisé au cours des quatre dernières années de la vie du Caravage, entre 1608 et 1610. Cette période de la vie du peintre est caractérisée par l’exil et la recherche d’une repentance. À Rome, le Caravage a commis l’irréparable en tuant un homme, un rival. Ce meurtre vient couronner une dramatique série d’actes violents. Alors il fuit d’abord à Naples, puis à Malte avant de gagner la Sicile. Il réalise peut-être ce tableau au cours de la période maltaise, en 1608. Deux ans plus tôt, Henri de Lorraine, le fils du puissant duc Charles III, a épousé une princesse italienne, Marie de Gonzague. Et il se trouve que le père et le frère de cette princesse, le duc de Mantoue et le cardinal Ferdinand, sont tous deux des protecteurs du Caravage. C’est donc certainement à l’occasion de ce mariage que l’œuvre est commandée au génie lombard. Le choix d’un tel sujet, l’Annonciation, paraît logique : les ducs de Lorraine ont, depuis le XVème siècle, une dévotion particulière pour la Vierge de l’Annonciation.
Le tableau est installé dans un premier temps à Nancy dans la collégiale Saint-Georges, église et nécropole de la cour de Lorraine, avant de gagner quelques années plus tard la cathédrale.
Le Caravage ne s’attaque à aucun sujet sans avoir l’ambition d’en révolutionner le traitement, ce qui fait que son Annonciation ne ressemble à aucune autre.
Alors, que voit-on ? Au premier plan, c’est le panier à ouvrage qui nous permet d’entrer dans le tableau. D’après l’évangile apocryphe de Jacques, avant l’arrivée de l’ange, Marie était occupée à tisser le voile pourpre du Temple, et c’est ce que confirme l’austère chaise de paille sur laquelle elle était certainement assise. La Vierge est représentée comme une simple jeune fille, issue d’un milieu modeste : un pauvre mobilier, des vêtements sans fioritures, toute à son ouvrage. Sous le grand manteau bleu, on aperçoit un peu de la robe rouge. Ses cheveux châtains sont dissimulés sous un voile ocre jaune. Ce sont les seuls éléments de couleur vive du tableau. Hormis la blancheur de l’ange, le cadre de la pièce est plongé dans la pénombre par l’emploi du brun. Dans une attitude de grande humilité, agenouillée et les mains croisées, elle se nomme elle-même à l’instant "servante du Seigneur".
Cette partie de la peinture présente donc un cadre domestique. On devine sans peine, notamment grâce au lit en partie défait, à l’arrière, que la scène se passe dans la chambre de Marie, dans la maison de Nazareth où elle vit. On retrouve bien là la volonté du Caravage de transposer la scène biblique dans un environnement réaliste, pour renforcer sa crédibilité et toucher le spectateur.
À l’inverse, l’ange n’a rien d’ordinaire. Il pénètre violemment dans la chambre, en pleine lumière, les ailes déployées ; le drapé de sa robe, dans le mouvement, laisse apparaître le mollet et le pied droit, ainsi qu’une épaule et un bras dénudés. Tel un éclair, il brise la calme et sereine activité à laquelle Marie se livrait. Il tient dans sa main gauche le lys dont la tige se termine par trois fleurs pour indiquer la triple virginité de Marie, avant, pendant, et après l’enfantement. Il apparaît sur une nuée et il s’apprête, comme l’indique l’évangéliste Luc, à la couvrir de son ombre.
Avec cet archange, on ne peut plus spectaculaire et dominateur, le Caravage semble parfaitement respecter les préceptes de la Contre-Réforme : le messager de Dieu retrouve indéniablement la première place. Mais le respect des consignes s’arrête là, car, en opposition à la tradition, le Caravage élimine toute séparation matérielle et symbolique entre l’ange Gabriel et la Vierge Marie. Par l’emploi du clair-obscur, qui est sa marque absolue, il met en scène une confrontation, directe et troublante, entre les deux personnages.
Et que doit-on penser de cet impérieux messager, semblable à un jeune homme aux cheveux ébouriffés, comme les affectionne le Caravage, qui refuse de dévoiler son visage ?
On ne le voit que de dos, la tête dans la pénombre de la pièce. On peut se demander s’il vient vraiment annoncer une bonne nouvelle. Il tend vers la Vierge sa main droite en levant l’index pour souligner ses paroles, mais ce geste apparemment conventionnel, accentué par la blancheur de la peau, est chargé ici d’un mystère qui lui donne plus de force. Ce doigt inquisiteur semble désigner non pas Marie mais le lit. Que sous-entend-il ? À moins que cet index ne désigne tout autre chose, un point en dehors du tableau, qui échappe au spectateur.
Que ce soit Fra Angelico ou le Caravage, les deux peintres ont situé la scène de l’Annonciation dans une pièce au mobilier modeste, comme pour nous dire que cet événement concerne chacun de nous, dans notre quotidien et dans notre intériorité. L’image nous ramène à l’essentiel : la contemplation du mystère divin. Elle nous invite à adopter l’attitude de Marie : avoir un cœur disponible à la parole et à la volonté de Dieu. À la demande de l’ange Gabriel, Marie a répondu : "Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole" (Luc 1, 38).