L’apparition
Xavier Giannoli
Sorti en salles le 14 février 2018, le dernier film de Xavier Giannoli, L’Apparition, revient sur un des thèmes de prédilection du cinéaste, l’imposture. Jacques, journaliste revenu traumatisé d’un reportage de guerre, est recruté par le Vatican pour enquêter sur les apparitions d’une jeune voyante. Une expérience qui ébranlera ses certitudes. Critiques du père Denis Dupont-Fauville et du père Frédéric Roder.
Critique du père Denis Dupont-Fauville
De quelle « apparition » s’agit-il ? En apparence (justement), tout est simple. Jacques, reporter de guerre, vient de voir mourir à ses côtés le photographe qui l’accompagnait. Il est contacté par le Vatican pour enquêter, au sein d’une commission canonique, sur des apparitions supposées de la Vierge à une jeune novice dans une petite ville des Alpes. Les pèlerinages prennent de l’ampleur, l’Église se veut prudente, les tensions grandissent. Un homme de terrain, pas hostile mais sceptique, sera utile : supercherie ? Vérité ? Est-ce possible ? Est-ce crédible ?
Au fil de l’histoire, Jacques découvre un « monde des âmes » qu’il ne soupçonnait pas ; s’attache aux protagonistes d’une histoire qui lui semblait plus éloignée que tous les terrains de guerre ; vérifie que le cœur a des yeux et des oreilles qui ne s’opposent pas à ceux du corps, mais donnent accès à des réalités plus profondes. La première apparition, dans le film, est celle d’une icône mariale aux yeux mutilés, sur laquelle l’histoire se clora. Mais ce qui apparaît avec de plus en plus de force est le mystère de l’amitié : de celle entre Jacques et son confrère à celle entre la jeune voyante et sa sœur d’adoption, qui donnera la clef du film. De l’une à l’autre, l’affection qui éclot entre le journaliste et la voyante noue l’intrigue.
On le voit, le propos est ambitieux et les harmonies multiples. Cependant, malgré l’intention affichée, il ne pose pas la question de la foi mais, comme toujours chez Giannoli [1], celle de l’imposture. Les fidèles eux-mêmes croient ou non à la véracité des apparitions. C’est plutôt le témoignage lui-même qui est soupçonné, d’autant qu’il se révélera, peut-être trop astucieusement, le fruit d’une histoire complexe, à plusieurs niveaux d’ambiguïté.
Bien informé sur l’histoire des apparitions et de leur reconnaissance [2], le film déroule un tableau savoureux de divers profils ecclésiaux [3], aux traits parfois accusés. De même, il montre avec brio comment la foi et la raison, sans se réduire l’une à l’autre, ne peuvent se passer l’une de l’autre quand il s’agit d’accéder à une communion réelle entre les personnes. Enfin, cette nouvelle attestation de la recherche qui taraude, non seulement des cinéastes, mais nombre de nos contemporains est servie par une galerie de formidables acteurs [4].
Parmi les regrets, la façon dont cette réflexion sur l’imposture se double d’une certaine complaisance dans la description de la déliquescence (du temps, du couple, du corps, des sentiments, voire de la chrétienté [5]). Dommage aussi que des effets faciles [6] s’immiscent dans des plans parfois magnifiques.
Quête de l’identité ou fuite hors de soi ? Le film s’ouvre et se referme sur un Proche-Orient dévasté par les excès islamistes. Là encore, à l’intersection des questions angoissantes et des procédés convenus, un contrechamp fait fugacement son apparition, que bien des cinéastes auront encore sans doute à contempler et à réfléchir.
Denis Dupont-Fauville
Critique du père Frédéric Roder
La bande annonce laissait présager un film particulièrement intense et contre toute attente, l’intensité est devenue viscérale, toutes les émotions et sensations se sont concentrées à l’intérieur de soi.
Le bruit de fond, le premier plan et la musique nous entraînent en pleine guerre, dans le feu de l’action, sous les bombardements et jusque dans la mort. Le personnage central du film entre en état de surdité qui mettra presque tout le film à cesser, quand enfin il sera prêt à écouter et non plus seulement à voire. Car son appareil photo, ce qui l’aide à appréhender le réel et à le représenter est maintenant souillé du sang de son ami. Tout le film sera une longue quête du regard , pour voir l’invisible et oser la contemplation. Le seul regard qui marque tout le film est celui de l’Icône syrienne de la vierge à l’enfant trouée par deux balles à l’endroit des yeux et qui accompagne la surdité du héros avant que lui aussi soit illuminé et voit enfin plus loin que son objectif . Cette Icône semble la seule à comprendre le cours providentiel des événements et semble être la clé de la fin du film.
L’intrigue alors se met en place pour ce reporter qui a perdu le goût du travail, le Vatican l’appelle pour lui faire mener une enquête canonique. Nous avons alors droit à une visite des archives du Vatican. Tout de suite nous pensons au roman magnifique de Maurice West, « l’avocat du diable » et le film réussit à introduire tous les bons ingrédients d’une enquête : interrogatoire, corrélations, enquête de terrain et découverte de la voyante et de son entourage avec la certitude habituelle que la vérité d’une apparition dépend de la sainteté de la voyante.
La tout commence à sonner faux, sauf l’apparition de la Vierge, mais tous les ingrédients cyniques de l’argent autour du merveilleux,des Chrétiens crédules et des complice peu scrupuleux. Pourtant, lentement mais sûrement l’enquête continue et même avance malgré le curé crédule et metteur en scène.
Enquête terminée et classée dans les archives du Vatican. Cependant, inclusion avec le début, nous voici de nouveau d’abord en Jordanie pour avoir le fin mot de l’affaire par Meriem (Marie encore) puis en Syrie, au milieu du désert devant un monastère en reconstruction. Marie est la, elle rend la vue au reporter et l’aide à entendre le silence. L’Apparition pourrait se décliner en « les apparitions » car beaucoup d’évènements, d’épiphanies nous ont lentement fait entrer en nous mêmes jusqu’au lieu où Dieu lui même se donne à connaître et à découvrir.
Cette belle enquête, suffisamment lente pour que nous ne restions pas indemne mais suffisamment courte pour ne pas ennuyer est soutenue par deux acteurs au jeu incroyable : Vincent Lindon et Galatea Bellugi et en même temps une musique incroyablement adaptée au film, une vraie découverte qui touche l’âme et le cœur et nous entraîne a oser des émotions, des doutes et du silence qui nous ferons entrer plus profondément encore dans ce film. Du réalisme au surnaturel, il n’y a qu’un pas... celui de la foi.
Père Frédéric RODER
28 janvier 2017
[1] Cf. ses films précédents : À l’origine (2009), Superstar (2012) et Marguerite (2015).
[2] Il a notamment bénéficié de l’expertise de Joachim Boufflet, dont 2 livres sont aperçus au début de l’histoire.
[3] Presque un inventaire, depuis le clerc médiatique et manipulateur jusqu’au théologien constamment sceptique, en passant par des fidèles crédules ou le curé dépassé et isolé. Quelques détails des bureaux romains pourraient être modifiés, mais le réalisateur a manifestement travaillé son sujet.
[4] Au premier rang desquels Vincent Lindon (d’une extraordinaire densité) et Galatea Bellugi (la voyante, révélation de cette apparition !), sans oublier Patrick d’Assumçao (dans le rôle du curé à la fois ambigu et généreux, manipulateur et lucide).
[5] Le plan final étant celui, littéralement, d’une disparition.
[6] Éclairages outrés, symbolique du duvet appuyée, nudité de dernière minute inutile, etc.