La confession
Nicolas Boukhrief
Nicolas Boukhrief, 2017. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Spectacle paroissial
Voici un film qui détonne agréablement dans le prêt-à-penser de la production contemporaine. Non seulement il adapte à nouveau un roman qui pourrait sembler commandé par des thématiques révolues [1], mais il le fait avec un grand respect des convictions qu’il décrit et des questions qu’il aborde [2].
L’histoire est bien connue. Durant l’Occupation, un jeune abbé fascine le village dont il est nommé curé, au point que l’une des habitantes, communiste farouche, va le braver dans son confessionnal pour tenter de démasquer ce qu’elle considère comme une idéologie. Mais les réponses inattendues du prêtre provoquent un dialogue qui fera évoluer la jeune femme à l’inverse de ses prévisions jusqu’à entrer dans un amour véritable. De Dieu, de son représentant, des deux ?
Très fidèle aux dialogues du roman, la confrontation est construite comme une grande inclusion délimitée par deux confessions : la première où Barny, l’héroïne, assaille l’abbé Morin sur le terrain des idées, la seconde où les deux protagonistes prennent congé l’un de l’autre en exprimant leur amour sous le regard de Dieu. Hormis quelques scènes obligées avec des collègues de travail ou l’occupant allemand, l’ensemble se présente comme une série de discussions en face-à-face, au long desquelles s’opère l’insensible retournement de la grâce.
Les deux interprètes principaux mettent leur charme, qui est grand, et leur talent, maîtrisé, au service d’un texte dense, souvent concret, qui n’esquive pas les vraies questions et fait souvent mouche. Ne sont pas seulement abordées l’opposition entre foi et athéisme ou les relations homme femme, mais la difficulté d’articuler l’amour de la vérité et celui du prochain, l’intrication qui peut exister entre exigence spirituelle et attirance charnelle, le combat de la haine et du pardon, de la compassion et de la lâcheté, de la faiblesse et de la fidélité. Toutes ces thématiques s’entrecroisent et se répondent avec brio, sans réponses automatiques, en respectant tant le cheminement des personnages que les interrogations des spectateurs. En ce sens, le film se révélera sans doute un outil pastoral efficace pour aborder de façon libre et profonde les grands sujets qui, quelles que soient les circonstances, taraudent les cœurs de chaque génération.
D’où viennent alors nos réserves ? Sans doute d’un niveau plus proprement cinématographique. Il y a d’abord le côté académique, voire scolaire de la construction. L’inclusion déjà notée est elle-même enchâssée dans une (trop) longue description de la vie du village avant que le prêtre n’entre en scène puis du départ du prêtre alors que tout est joué, le tout encore encadré par un épilogue où un jeune abbé reçoit aujourd’hui la confession d’une Barny mourante qui, quoique non baptisée, tient à dire à un prêtre l’amour qui l’a fait vivre [3]. Tout ceci aboutit à des longueurs artificielles et répétitives [4].
De plus, la caméra manque d’imagination. Certes, les acteurs sont splendides, mais pourquoi les filmer si systématiquement en champ contre-champ ? La photo est très belle, souvent enveloppée d’une lumière dorée, mais pourquoi si peu de mouvement ? De même, les scènes d’occupation ont trop souvent des tonalités de cartes postales, rythmées par une musique uniformément nostalgique : oui l’histoire est triste et belle, mais faut-il redire à tout instant qu’elle est belle et triste ? Pourquoi tant de fondus au noir ? Les épisodes « annexes » auraient pu fournir des relances ou des répits bienvenus, mais le réalisateur est trop fasciné par la confrontation principale pour les intégrer vraiment dans une synthèse plus globale.
Au total, nous assistons davantage à une pièce de théâtre avec quelques alternances de décors qu’à un film proprement dit. Ce qui nous permet d’exprimer un dernier regret quant au jeu des acteurs. Malgré le respect des situations et l’attention au texte, ceux-ci nous semblent souffrir d’un défaut d’incarnation. Marina Vacth, explosant d’une sensualité toute urbaine, paraît égarée dans son bureau de poste ; Romain Duris, nimbé du collier de barbe et de la fragilité assumée typiques du bobo 2017, relève beaucoup moins des années de guerre que le jeune prêtre censé officier de nos jours. De tels décalages ne sont pas gênants, au contraire, dans une éventuelle transposition théâtrale. Au cinéma, la crédibilité de l’histoire en souffre [5].
Souhaitons que ce film donne des idées à d’autres. Et que de tels thèmes, abordés avec un tel respect, puissent faire surgir des œuvres (encore) plus abouties cinématographiquement. Même si le spectacle apparaît un peu « téléphoné », ce coup de fil mérite sans conteste le déplacement !
Denis DUPONT-FAUVILLE
5 mars 2017
[1] Léon Morin, prêtre de Béatrice Beck, prix Goncourt 1952, transposé dans les œuvres éponymes, au cinéma de J.-P. Melville en 1961 (avec J.-P. Belmondo et E. Riva), à la télévision de P. Boutron en 1991 (avec R. Renucci).
[2] À cet égard la bande-annonce, qui fait croire à une simple histoire d’attirance sensuelle, constitue un contresens.
[3] Sans mentionner le fait que cette (troisième) confession se rappelle au souvenir du spectateur en interrompant aussi le récit au milieu exact du film, dans un procédé qui n’est pas sans évoquer celui d’un interlude télévisuel. Melville avait quant à lui opté pour une voix off.
[4] Voire inutiles : la dernière phrase prononcée par le jeune prêtre, en particulier, nous semble indiquer trop platement la morale « édifiante » à tirer de l’histoire, au rebours des ouvertures ménagées par le personnage de l’abbé Morin.
[5] Au point de fournir parfois des situations involontairement comiques. Pour renverser la comparaison, l’effet produit est analogue à celui que fournirait la vision de Jean Gabin faisant ses courses dans un magasin bio. De même les conversations à deux au presbytère toutes portes closes, normales au théâtre, font sourire au cinéma.