La résurrection du Christ (Risen)

Kevin Reynolds

Kevin Reynolds, 2016. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

Le cinéma américain mise en ce moment sur les œuvres à sujets chrétiens, ayant découvert depuis peu que ceux-ci pouvaient se révéler fort rentables [1]. Ce qui nous vaut cette bonne surprise de découvrir progressivement des films à grand spectacle qui cherchent à mettre en images telle ou telle page des Écritures ou de l’histoire de l’Église.

En l’occurrence, le sujet n’est rien moins que la résurrection du Christ, qui représente à la fois le centre le plus dense du message évangélique et probablement le plus difficile à illustrer : tous les récits d’apparition concordent en effet sur le fait qu’il ne suffisait pas de (re)voir Jésus pour le reconnaître. Mais la maison de production a mis les moyens : outre un réalisateur éprouvé (Kevin Reynolds, auquel on doit notamment le Robin des Bois avec Kevin Costner) et un acteur bien connu (Joseph Fiennes, qui fut à la fois le Shakespeare de Shakespeare in Love et le Merlin de la série Camelot), les séquences témoignent d’un budget relativement important et la mise en scène, par moments, d’une certaine recherche. De même, l’idée de départ du scénario, suivre le parcours d’un tribun romain que Pilate charge de l’enquête sur la disparition du corps de Jésus, est plutôt bienvenue. Dès le début le côté volontairement minimaliste des décors et des effectifs laisse en outre espérer au spectateur que la reconstitution façon péplum lui sera épargnée au profit d’une mise en images plus distanciée.

Malheureusement, le résultat se révèle au total surtout imprégné par bien des codes américains. Le tribun Clavius, prétexte du film, choisit la destinée d’un héros solitaire qui, après avoir rencontré le Christ, repart seul dans le désert sous un soleil écrasant. Les éléments de reconstitution concrète combinent souci de reproduction bien moderne (par exemple pour le rendu de l’image du suaire) et naïvetés issues des représentations les plus sulpiciennes de l’évangile (ainsi pour l’invraisemblable couronne d’épines, aussi ténue qu’élégante [2]). Il faut ajouter à cela une certaine hétérogénéité entre les scènes, qui résulte soit d’une incertitude quant aux critères illustratifs (un intérieur juif ou une pêche sur le lac de Tibériade seront commandés par le souci d’une reconstitution sobre, tandis que la scène de l’Ascension conjugue un cadre invraisemblable avec des effets spéciaux faciles), soit même, sans doute, de variations de budget (longue scène d’attente de l’accostage des vaisseaux de Tibère… qui ne viendra jamais). Surtout, les scénaristes ont bientôt cédé à la tentation de filmer le Ressuscité sous tous les angles, n’expliquant ni ce qui le fait reconnaître (la ressemblance avec l’homme de la Passion, nous l’avons dit, ne pouvant suffire), ni ce que fonde son compagnonnage avec les Douze et les autres disciples pendant les quarante jours qui séparent Pâques de l’Ascension.

C’est en effet l’aspect le plus surprenant d’une œuvre si ouvertement apologétique que tout ce qui pourrait y rappeler l’institution ecclésiale y soit systématiquement estompé. Certes, il y a les Douze. Mais le pain qu’ils partagent avec le Christ a tout d’un casse-croûte, nulle mention n’est faite du baptême, leur Notre Père s’apparente beaucoup plus à des grâces dites pour se remonter le moral qu’à une prière fondamentale. Aucun soutien mutuel entre apôtres : particulièrement symptomatique à cet égard se révèle la scène de la pêche miraculeuse sur le lac de Tibériade où, au lieu que Jean manifeste à Pierre que l’inconnu qui s’adresse à eux depuis le rivage est Jésus avant que Pierre ne se jette à l’eau, le chef des Douze, lorsqu’il voit se remplir ses filets, déclare ici fièrement au disciple bien-aimé : « Tu vois ! Les choses vont mieux quand on les fait avec foi ». Du tribun Clavius à Marie-Madeleine, chacun des témoins des apparitions de Jésus n’est renvoyé qu’à sa propre conscience. La foi, dans cette présentation [3], est uniquement un choix personnel et non l’accueil d’une grâce vécue et transmise par une communauté. Dès lors, nul besoin d’aller jusqu’à la Pentecôte…

Reste quand même la force des images et la surprise d’avoir en face de soi, vivant et souriant, un homme dont tout le monde avait pu constater qu’il avait été supplicié, mis à mort et transpercé après son décès. De telles évocations, si elles ne prétendent pas à l’authenticité, permettent néanmoins de mesurer quelle dut être la surprise des apôtres et le choc émotionnel qu’ils eurent à assumer. S’il n’y avait que cela, le film mériterait déjà d’être vu. En attendant un réalisateur qui ait plus de perspectives spirituelles et visuelles et qui, au lieu de montrer un héros seul de son espèce, soit capable de suggérer comment la grâce se transmet et construit quelque chose qui, tout en échappant au regard des hommes, puisse renouveler la vie de chacun et de tous.

Denis DUPONT-FAUVILLE
16 avril 2016

[2Et que dire des linges du tombeau, non pas « gisant à terre » ni « roulés à part » comme dans le récit de l’évangile, mais éparpillés dans le plus grand désordre ?

[3Sans doute plus influencée par la conception des groupes évangélistes actuels que par la doctrine de l’Église catholique ?

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