La vie religieuse des travailleurs français en Service du travail obligatoire (STO)
Le STO fut instauré par la loi du 16 février 1943, à la suite au relatif échec des politiques de volontariat et du système dit de Relève, et de la loi française du 4 septembre 1942 introduisant la conscription obligatoire.
Le 31 décembre 1942, les services allemands dénombrent déjà dans le Reich la présence de 239 750 Zwangsarbeiter (travailleurs contraints) français du fait des premières réquisitions. Devant la situation que ces garçons lui ont exposée et leur besoin d’aumôniers [...], l’abbé Rodhain, qui était porteur d’une note du cardinal Suhard sur la nécessité d’apporter des « secours religieux aux travailleurs français en Allemagne », rencontre le [...] directeur des services allemands pour les travailleurs étrangers [à Berlin à la fin du mois de décembre 1942]. [1]
Lettre du cardinal Suhard, archevêque de Paris, à propos de la vie religieuse des travailleurs français en Allemagne
Paris le 20 décembre 1942
[...] J’ai l’honneur de vous adresser une note qui résume nos préoccupations au sujet de la vie religieuse des travailleurs français en Allemagne. Cette vie religieuse pose des problèmes auxquels nous serions heureux, au moment où s’approche la fête de Noël, que soit apportée une solution.
Je compte sur votre bienveillance pour examiner la chose. J’espère que vous voudrez bien la traiter en détail avec Monsieur l’Aumônier Général Rodhain au cours de la visite que vous voulez bien lui permettre de vous faire. [...]
Emmanuel Cardinal Suhard
Archevêque de Paris
Secours religieux aux travailleurs français en Allemagne
Le fait.
a) L’Épiscopat a été saisi par de nombreuses familles de demandes d’assistance religieuses à leurs membres partis travailler en Allemagne. L’aumônerie des Travailleurs français à l’Étranger a déjà reçu de plus de 200 usines d’Allemagne des demandes de visite d’aumôniers français.
b) Alors que les prisonniers français ont à leur disposition 2600 aumôniers, les travailleurs n’en ont pas un seul. Et si quelques uns ont pu assister à des offices allemands, la plupart ne connaissent pas la langue allemande et beaucoup sont dans des camps éloignés de toute église.La solution.
Pour donner à ces travailleurs les aumôniers nécessaires, nous proposons :
– ou bien, des aumôniers choisis dans les oflags, où les prêtres sont en surnombre. Comme les Autorités Allemandes interdisent les rapports entre prisonniers de guerre et travailleurs civils, nous proposons que ces aumôniers (une vingtaine, par exemple), soient mis en congé de captivité avant d’être affectés aux travailleurs français.
– ou bien, des prêtres partant de France. Le clergé tient à prendre sa part de la charge qui pèse sur les ouvriers français, et l’Episcopat accepterait de laisser partir en Allemagne des prêtres dans ce but.Mode de travail.
Il est bien entendu que ces prêtres auraient une mission exclusivement religieuse, et qu’ils la réaliseraient suivant les directives de Son Éminence le Cardinal Suhard, de qui relève l’Aumônerie des Travailleurs à l’Étranger, et dans le cadre des prescriptions du Reich relatives à ces travailleurs.
En particulier, ils auraient les facilités indispensables pour exercer leur ministère, y compris les facilités de circulation dans les régions qui leur seraient attribués. [...]
Paris, 20 décembre 1942
Liste des usines d’Allemagne où les ouvriers français demandent l’assistance d’aumôniers français
Altenburg
- Ausländerlager Leicheuburg
Altenessen
- Kruppsches Arbeitsheim
Aschaffenburg a/ Main
- Mittelstrasse 5
Augsburg
- Messerschmitt
Auschavitz
- I.G. Lager 2
Berlin
- Schätzelberge
- Fritz Werner A.G.
- Henningo Dorf Ki Berlin
- A.E.G. Heimkervaltung
- Firma Friedrich Stolzenburg
- Siemens et Halske A.G.
- Schap, Schönholz
- Gemeinschaftslager
- Usines A.E.G.
- Knorr Bremse
- Ouram
- Firma Hasse Winde
- Daimler-benz
- Lorenz
- Tobis Film
- Freiheistrasse 9 - 13
- N.W. 87
- Firma Masse Wrede
- Fuilune patrik
- Floppen
- Filmfabrik Kodak A.G.
- Fabrik eletricher
- Argus Motoren Werke
- Weser Flug
- A.E.G. C.B.O.
- Kabel industrie
- Grosse halle
- Pension sans souci
- Carrosserie buhne gmbh
Bernburg
- Soda fabriken
Bitterfeld
- Waffel
- I.G. farben industrie
Bochum
Brandenburg
- Wirt-Motoren elb. har
- firme B.S.I.
- Kirchmoser ost
Branwschweig
- Hinter der Marsch N° 8
Bremen
- Focke-Wuff
Breslau
- entreprise Reimatole
Dantzig
- Paul Benecke weg
Dormnstadt
- Gonzenheim
Dessau
- Bamag werke 4
- Werkhein Nord
Dobentz
- fabrik döberitz G.M.B.H.
Dortmund
- Burgërhaus
Duben
- Zietenhusarenplatz n) 6
Duisburg
- Dumag A.G.
Dussendorf
- Reining & Cie
- Maison Mannessmann
Essen
- Arbeit erheim
- Zur Verfugung des A.A.
- Krupp
Esslingen
- Machinen fabrik Esslingen
Erfurt
- Machinenfabrik Pels
Frankfort-sur-Main
- Adler werk
- A.M. Stadel hof
Geesthacht
- fabrik dueneberg dD.A.G.
Gera
- Géraer fachmsche werskstrasse
Gotenhafen
- Skagerrak lager B.H.-Z.5-TAO
Gunberg
- Christ A.K.F.G.E.S.
Halle A.Saale
- B.2 Sa 9
Hambourg
- fabrik Grune berg 634 A. ordlarch
- firma w. piette
- D.A.F.
- Motoren werk G.M.N.H.
- Colosseum
Hessen
- Zur verfugung des A.A.
Hanover
- machinen brau
- Ben otto muller Sägeverk
- Brinker
Heyde Breck
- Farben industrie
- Gemlager D.A.F.
Hennigsdorf
- Borsig Likomotiv
Hilden
- Brenshey & Cie
Huztzmen
- Firma heinrich Hulu
Inna
- Gemeinschaftlager bentenberg
- Kulmbacher zivactzen
Kaiserslautem
- G.M. Pfaff A.G.
Kassel
- Henischellager
Kiel
- K.H.W.
- Spec Kemweg
- Fried Krupp
- Krons Hager
- Gem
Kolm
- Rath
Ladenburg
- Faver
Lansitz
- Scheune Ost Uver Forst
Leipzig
- Freichem van
- Frame lager terasse
- Friedrichshallen
- Ausländerlager H.W.
- Ledigenheim ganshule
- V.F.R. Vierklein
- Bolhetz
Ludwigshafen-am-Rhein
- I.G. farben industrie A.G.
Magdeburg
- Fabrik Gusen der C.M.B.H.
- Deutsche Reichbnan balm
Mannheim
- Lanz
Marburg
- Munchmuhle
Meerane
- Kessel Fabrik oschatz
Muheim sur Rhin
- Deutsche Rohzenverke
Munchen
- B.M.W.
- Kranss maffei
- Bayerische motoren A.G.
- Ebenhausen Ingostadt
- 60 R.A.W. Freiniann
- Hauselman
Mendorf
- Werkeim III
Nieder
- Langenbart B.G.Z.I
Niedersachsen
- Wostensdest
Nurberg
- Siemens
- S.S.W. sport platz
Oberbayern
- Vereinigte aluminium
Ostmark
- Langenhart B.G.S.I. St Valentin
- Erdman Schnee betrieb
Paderborn
- Organisation
Plochingen /M/
- Blaner Haus
Politz
- Stettin
Rathenow
- fabriken strasse I
- gebr Schwartzlose
Reeinhausen ost
- Flied Alfred Hutte 182
Raderhof
- Metalwarenfabrik
Rohrbahe
- Santkt Ingbert firma Erust Ho
Rostock
- Entreprise Ernest Heinckel
- Satower
Saale
- W.I. Weissenfels
Schonberk
- Gunkers Werkheim N° 779/4
Schonan c/SA
- Auto Union
Schwerte
- R.A.W
Shwenningen a.N.
- Fa Kienzle Uhren fabriken
Schwerk
- Reichbahn Werk
Siegburg
- Friescher Hof
Siegen
- Firma D. Wolorch
- Siegen
Stettin
- Opel
- Politz
Stuttgart
- Daimler Benz
- Sinnen Buck
Thul
- Gross Menhomsen
Werdenan
Wernigerode
- Hay
Wersermunde
- Deschimag Seideck Herft
Wertzlar-Kark
- I/M. Arbeits einsatz
Wien
- Komad Krafft
- Flugim Ofrenwerke Ostmark
- L.A.A. Obervonan In Luiz 16
- F.O. Werken 3
- Joseph Auger U. Sohne
- Wiener Locomotiv Fabriken
Wildau
- Kreisfeltow
- Franz lager 2.A.
Wuffertal
- Usine Jaeger
Wurttsindelfingen
- Wohan lager Damler Weg
Berlin
- Osram-gemeins
À Rome, où il part le 5 janvier [1943], le cardinal Suhard s’entretient avec Pie XII : celui-ci garde le souci de nos prisonniers, dit en rentrant le cardinal qui ajoute aussi : « le pape se préoccupe de nos travailleurs à l’étranger ; il s’inquiète de leur état, de leur foyer, de leurs conditions de vie morale et spirituelle ». [2]
Peu après le retour de Rome du cardinal, dès le 2 février 1943, l’abbé Rodhain s’adresse aux évêques et supérieurs religieux « au nom de Son Éminence » : étant donné, écrit-il, qu’on peut prévoir 600 000 travailleurs français en Allemagne le 30 mars, « il n’est pas possible de laisser des centaines de milliers de travailleurs sans prêtres » ; aussi invite-t-il évêques et supérieurs religieux à donner les noms de prêtres choisis pour leur « expérience du milieu ouvrier, leur pondération, leur prudence. »
Lettre du cardinal Suhard, archevêque de Paris, proposant des aumôniers pour les travailleurs français en Allemagne
Paris, le 6 février 1943
[...] Je suis l’écho des préoccupations des Cardinaux, Archevêques, et Évêques des deux zones, en vous soumettant les considérations ci-dessous :
Au moment où le nombre des travailleurs français en Allemagne dépasse la population de plusieurs de nos diocèses réunis, nous avons le devoir de pourvoir à leur assistance religieuse.
Ces travailleurs français sont en immense majorité catholiques. De plus de 1300 usines d’Allemagne ils nous ont réclamé des Aumôniers. Dans de nombreux camps, ils sont éloignés de tout lieu de culte ; et si dans certaines villes ils ont trouvé des églises, ils demandent des prêtres français : certains, en effet, sont déjà morts sans aucune assistance religieuse ce qui a grandement alarmé les familles. L’Épiscopat tout entier traduit l’inquiétude de ces familles, voyant leur père ou leur enfant partir sans prêtres, alors que les prisonniers et même les condamnés de droit commun ont droit aux secours religieux. [...]
Nous proposons que soient mis comme Aumôniers à la disposition des travailleurs français en Allemagne :
– ou bien des prêtres prisonniers en oflags, et mis dans ce but en congé de captivité,
– ou bien des prêtres partant de France. [...]Ils réaliseraient cette mission dans le cadre des prescriptions du Reich relatives aux travailleurs étrangers, et suivant nos directives, à eux transmises par Monsieur l’Abbé Rodhain que nous avons déjà désigné pour nous représenter en cette question de l’Aumônerie des Travailleurs. [...]
Emmanuel, Cardinal Suhard
Archevêque de Paris
La loi (de Vichy) du 16 février instituant le S.T.O. (avec sursis pour les étudiants) rend plus urgente sa demande. Dans ces conditions, le 27 février, dans sa Semaine religieuse, le cardinal Suhard témoigne publiquement de son inquiétude et promet de multiplier ses efforts pour maintenir hors des griffes de cette réquisition les femmes et jeunes filles, et, ajoute-t-il [3]
« afin que [...] soient assurés à tous les partants des conditions d’existence et de travail qui sauvegardent leur santé et satisfassent aux exigences légitimes de leur vie morale et religieuse. Dans cet ordre d’idées, il a déjà entrepris des démarches pour que soit créé en faveur des travailleurs français à l’étranger un service d’aumônerie efficace et confié à des prêtres français. » [4]
“Message aux Partants” du cardinal Suhard
[15 février 1943] [5]
Le Cardinal Suhard, Archevêque de Paris, voit avec peine les travailleurs de son Diocèse être séparés de leurs familles pour partir en terre étrangère.
Il veut leur dire à chacun sa paternelle sympathie. Il leur demande d’envisager cette épreuve avec courage et confiance. Qu’ils restent dignes d’eux-mêmes, de leur famille, de la France et de leur foi.
Il leur promet de veiller à ce que dès que possible ils aient des aumôniers français, tandis que nos groupements d’Action Catholique continueront de s’intéresser à leur sort, et d’aider de toute manière leurs familles dans la peine.
Emmanuel, Cardinal Suhard.
Archevêque de Paris.
[...] les 2-3 mars 1943, le cardinal Suhard réunit à l’archevêché de Paris les « futurs aumôniers des travailleurs en Allemagne », en envisageant les exigences d’une éventuelle clandestinité (3 mars). [6]
Journées d’études des aumôniers de travailleurs – Programme
9 mars [19]43 [7]
Mardi 2 mars
10h30 Les travailleurs à l’étranger / Données du problème
(Abbé Rodhain, aumônier des Travailleurs à l’Étranger)14h L’expérience des Camps
(R. P. Dubarle – Ex homme de confiance du Stalag IX A)
(M. Pinault du Stalag VI G de l’aumônerie des Travailleurs)
(Abbé Bendele – ex interprète du Stalag II)15h30 Les services français de la main d’œuvre en Allemagne
(M. Pinault)16h30 Les récentes directives pontificales concernant le monde ouvrier en Allemagne
(R. P. d’Ouince – ex Oflag XIII A Directeur des “Études”)Mercredi 3 mars
7h30 Messe au tombeau de saint Vincent de Paul, pour les aumôniers et les travailleurs à l’étranger.
9h La responsabilité des aumôniers
(Son Éminence le Cardinal Suhard)10h30 Communication
(Monseigneur Courbe)11h15 Les groupes d’amitié
(Georges Quiclet ex-Frontstalag 290)14h Ce que les mouvements demandent aux aumôniers
(1° par un délégué de chaque mouvement
2° R. P. Bouche)16h Conclusions
(Abbé Rodhain)
Instructions données par le cardinal Suhard
Mercredi, 3 mars 1943
Réunion des prêtres proposé pour l’aumônerie du S. T. O. en Allemagne, par monsieur l’abbé Rodhain
[Note du père Évrard] [8]
Des démarches ont été faites auprès des autorités françaises et allemandes pour la constitution d’une aumônerie des travailleurs français du S.T.O. en Allemagne. Par une lettre au Président Laval nous avons proposé que des prêtres prisonniers d’Oflag ou des prêtres venant de France, pour remplir auprès de ces travailleurs une mission sacerdotale exclusive de toute activité politique, soient désignés par l’autorité française avec l’accord de l’autorité allemande, – après proposition personnelle par le Cardinal. Nous avons indiqué comme raisons de cette mission que beaucoup de ces jeunes travailleurs sont catholiques ; certains d’entre eux nous en ont fait la demande et de nombreuses familles en ont manifesté le désir, insistant spécialement sur l’isolement de ces travailleurs.
Certains prêtres ont déjà demandé à s’engager comme travailleurs. Le Droit Canon “actuel” semblerait s’y opposer. Au reste on ne sait quelle pourrait être la situation exacte ; que s’il y avait réquisition, toute difficulté tomberait de ce côté.
Il en serait tout autrement s’ils pouvaient être désignés comme aumôniers. On a déjà demandé que des prêtres prisonniers officiers soient députés auprès des travailleurs. On peut prévoir que certains soient versés prochainement parmi eux. Cependant il serait bon, malgré la pénurie de prêtres en France, qu’un certain nombre soit envoyé directement de notre pays : geste qui sera remarqué par les familles, indice certain que l’Église ne se désintéresse pas de leur sort.
Quelle serait leur Mission ?
Il s’agit d’une responsabilité importante résultant du rôle même qu’ils auront à remplir :
1° Mission de salut pour les âmes des ouvriers qui subissent le contrecoup du drame international. Secours moral et entr’aide : le pire des dangers est l’isolement. Peut-on espérer que les conditions qui leur seront faites permettront cette liaison ?
On ne leur accorderait pas la permission d’entrer dans les chantiers, mais seulement de se mettre à la disposition des travailleurs, dans les églises paroissiales ; une affiche serait apposé dans les chantiers où se trouvent des travailleurs français. Pour débuter il faudrait évidemment se contenter des conditions offertes... Il faudra les aider à surmonter les dangers moraux : tous les désordres qui naissent de l’isolement, les dangers intellectuels : idéologies marxistes ou totalitaires qui peuvent se glisser dans les chantiers... – Exercer cette mission auprès de ceux qui directement viennent vers l’aumônier ; indirectement auprès de tous les autres... Il s’agit d’un champ immense.
2° Représenter là-bas l’Église, qui s’y trouve particulièrement particulièrement [9] engagée devant les travailleurs, devant les autres Français (prisonniers, commandos), devant les Allemands qui observeront leur comportement, le clergé allemand bienveillant, mais qui peut juger les travailleurs français, face aux idéologies nazie et communiste, – face aux divers évènements qui peuvent se produire sous des formes extrêmement variées. (Ne pas oublier que la situation peut se modifier considérablement d’un jour à l’autre.)
3° Représenter et faire respecter la France, dans une situation particulièrement pénible. Tenir très haut le respect de la France. Il y a une manière digne de supporter l’épreuve, que les ouvriers peuvent ne pas toujours comprendre. Prestige de la France, prestige de la foi catholique : deux choses à rappeler sans cesse aux travailleurs : c’est encore pour vous une responsabilité véritable.
4° Sauvegarder dans cet état l’activité catholique de l’Église de France. Place importante de l’action catholique dans la vie de notre Église. Cette activité se manifeste déjà en terre étrangère ; c’est là un événement caractéristique de la captivité et de l’exil, un fait de très grande portée.
La vraie forme du catholicisme, plus encore qu’en temps de paix, est d’affirmer sa foi, de la montrer, de la vivre, discrètement mais publiquement. Faire là-bas de l’Action catholique, avec dévouement et zèle, mais aussi la sagesse et la discrétion qui corres- pondent à la situation.
Que pourrez-vous entreprendre ? Cela dépend de la situation exacte, des pouvoirs octroyés. Prudence d’abord !... avant de pouvoir diriger les événements. S’abstenir de manifestation d’ordre politique.
5° Préparer l’avenir. Ces périodes de secousse sont des préludes au renouveau. Voir que même dans ces épreuves il y a des ressources d’avenir ! L’art est de profiter de la période d’épreuve pour donner au renouveau spirituel toute son ampleur et son efficacité. Les travailleurs connaissent plus que quiconque l’épreuve. L’avenir peut se décider d’abord en Allemagne. Là, l’attitude des travailleurs chrétiens peut avoir une influence considérable dans le pays lui-même, influence qui peut aller jusqu’aux chefs... Les jeunes reviendront, ils auront une place importante dans la reconstruction du pays.
Quelles seront vos Responsabilités ?
Elles seront proportionnées à votre mission, à vos moyens d’action. Ces moyens doivent être soigneusement préparés.
1° Loyalisme chrétien. Franchise dans l’exercice du ministère. Autre chose est d’avoir son opinion personnelle, autre chose de la manifester publiquement... Il s’agit d’une mission spirituelle, et la “dissidence” n’a rien à faire avec cette mission. N’oubliez pas, au reste, qu’un prêtre n’est jamais un isolé, mais qu’il reste toujours dépendant de la Hiérarchie ! – On ne peut admettre dans cet exercice de votre ministère aucune déviation dans le sens pro ou anti-allemand. “Écartez systématiquement une politique qui serait ouvertement dissidente”. (sic). Sinon il vaudrait mieux renoncer à ce qui serait possible, comme ministère sacerdotal.
2° Sagesse et Prudence. Pas de zèle inutile, mais toujours encourager et soutenir les travailleurs ! Vous n’avez pas à les entretenir dans un sentiment d’opposition au travail à accomplir... Question de tact. La réussite de votre mission dépend d’abord de votre dévouement. Partagez leur vie, supportez toutes les difficultés et toutes les souffrances.
3° Attitude sacerdotale. Vous serez en spectacle à tous. Piété éclairée et franche ! Place pour une certaine austérité, imposée par les circonstances. N’oubliez jamais que la France est en deuil.
Dignité. Tels vous serez, tels on vous respectera, – même les Allemands.
Il s’agit profondément de préparer l’avenir. Cette tâche se présentera pour vous dans un aspect favorable ! Un travail durable, effectif, dans le domaine spirituel de la formation des âmes, s’accomode mal de l’euphorie. Le travail facile ne laisse pas de trace féconde, la violence non plus. Mais travailler dans l’effort, dans la souffrance, c’est travailler sûrement.
“Réaliser” le problème de la souffrance, de l’épreuve.
Après ces temps, il y en aura encore de plus difficiles ! – Vaincre l’épreuve actuel, c’est être prêt à celle de l’avenir.
[Le cardinal Suhard] ne veut pas néanmoins ne pas avoir tout tenté pour obtenir une aumônerie officielle : le 11 mars [1943], [il] insiste auprès du maréchal et de Laval, leur demandant une intervention spéciale en faveur d’une aumônerie des travailleurs en Allemagne (« Les 600 000 Français travaillant en Allemagne sont privés de l’assistance de tout aumônier français »). En vain. [10]
[...] par un rescrit du 21 mars 1943, Pie XII étend au bénéfice des travailleurs les facultés canoniques octroyées aux prêtres-prisonniers pour le soutien spirituel de leurs camarades prisonniers ; mais, et cet aspect est important : le rescrit ajoutait les mêmes facultés pour les « aumôniers des travailleurs » ; certes, s’il peut y avoir des « aumôniers officiels », ce sera à leur intention ; mais, en cas de refus persistant, ce serait la « solution saint Paul », ainsi qu’on appelait l’équipée des « prêtres clandestins », qui serait envisagée.
Le nom de « Solution saint Paul » (l’apôtre Paul avait travaillé de ses mains) est immédiatement adopté : au sujet de l’envoi de prêtres qui, pour être auprès des requis, seront si nécessaire clandestins. Cette solution a été délibérément voulue par le cardinal Suhard et explicitement assumée par le pape lui-même, ainsi que l’a montré le père Robert A. Graham, s.j., en publiant dans la Civiltà cattolica un dossier intitulé explicitement « Il Vaticano e la pastorale clandestina francese in Germania : nelle catacombe della Seconda Guerra mondiale » (“Le Vatican et la pastorale française en Allemagne dans les catacombes de la Seconde Guerre mondiale”). Or, [...] la police allemande ne prendra pas à la légère cette « Solution Saint Paul ». Bien au contraire, le rescrit pontifical fera donner par la Gestapo le nom de « Eine grosse Sache » (en Rhénanie), voire de « Die grosse Sache » (à Berlin), à sa lutte contre « l’infiltration dans le Reich de prêtres français non désirés camouflés en ouvriers ». [11]
Liste des prêtres proposés par [...] le cardinal Suhard [...] pour l’aumônerie des travailleurs français en Allemagne
[Printemps 1943 ?] [12]
Comportant :
- 10 prêtres volontaires partant en France
- 40 prêtres actuellement en Oflags.
Responsable délégué par Son Éminence pour l’ensemble
de cette Aumônerie : Abbé Rodhain
Aumônier des Travailleurs à l’Étranger
- Paul Bendele – Paris – interprète du Stalag II D, rapatrié, il y a 5 jours, et volontaire pour repartir immédiatement[ ;] proposé comme Adjoint en Allemagne de l’Abbé Rodhain.
- Gustave Laugeois – Paris
- Yvon Daniel – Paris
- Charles Veret – Lille
- Jean Nicod – Lyon
- Pierre du Jeu – Dijon
- Antoine Pezeu – M.E.
- Hadrien Bousquet – Rodez
- Georges Fournier – Paris
- Maurice Veron – Rennes
2° Prêtres actuellement en Oflags
- Marcel Debeurme – Oflag XVII A
- Charles Catrice – Oflag XVIII A
- Robert Debatte – Oflag XVII A
- Arthur Defreester – Oflag XVII A
- Edouard Haverland – Oflag VI A
- Raphaël Tiberghien – Oflag VI A
- Achille Danset – Oflag VI D
- Adolphe Richard – Oflag X B
- Jules Cavrot – Stalag XII D
- Stanislas Dupont – Oflag VI A
- René Poirson – Oflag IV D
- Roland Bihr – Oflag VI A
- Jean Holtzwarth – Stalag V B
- Pierre Jeanson – Oflag X C
- Maurice Lacroix – Oflag X C
- Gérard Boigues – Oflag VIII E
- Édouard Morvillez – Oflag II B
- Henri Dupaquier – Oflag II B
- Joseph-Charles Depigny – Stalag XVII A
- Lt Jean Poulin – Oflag V A
- De Ponteves – Oflag XVIII A
- De Bourmont – Oflag XVIII A
- Pierre Vincent – Oflag X D
- Jean Bolloc’h – Oflag XVII A
- Lt Dhyvert – Oflag VI A
- Robert Choin – Oflag VI D
- Jacques Degrelle – Oflag IV D
- Marcel Fay – Oflag XVII A
- Paul Gerin – Stalag VI A
- Georges Jaerger – Oflag IV D
- Jean Lemerle – Oflag X D
- Henri Mazerat – Oflag XII B
- André Morel – Stalag VI D
- Pierre Renhas – Oflag X B
- Jean Maitre – Oflag XVII A
- Joseph Goupy – Oflag XVII A
- S/Lt M. Lamothe – Oflag III C
- André Jamet – Oflag V A
- Pierre Leclercq – Oflag XIII A
- Jean Gouvernaire – Oflag VIII F
Lettre de l’aumônier général des travailleurs à l’étranger aux évêques d’Allemagne
Paris, le 1er avril 1943
[Lettre aux évêques d’Allemagne] [13]
Excellence,
Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l’accueil réservé par votre Clergé aux ouvriers français travaillant actuellement dans votre Diocèse : lorsque la proximité d’églises le leur a permis, un certain nombre de ces travailleurs a été heureux d’assister aux offices de vos paroisses.
Mais de plus de 2000 usines différentes nous parviennent des lettres et parfois des lettres collectives – demandant la visite d’un prêtre français.
Aussi, particulièrement pour la période de Pâques maintenant toute proche, Son Eminence le Cardinal Suhard, Archevêque de Paris, a bien voulu mettre à notre disposition quelques aumôniers spécialement aptes à cette mission essentiellement religieuse.
Souhaiteriez-vous, Excellence, la collaboration d’un de nos aumôniers ? Et dans ce cas, accepteriez-vous de faire auprès des Autorités compétentes, les démarches opportunes pour faciliter sa venue ? Vous rendriez ainsi un immense service à nos compatrio- tes, surtout à nos jeunes gens, et vous apporteriez à leurs familles un réconfort précieux.
Depuis deux ans j’ai eu à organiser l’Aumônerie dans tous les camps de prisonniers avec nos 2800 prêtres captifs, et les autorités allemandes m’ont accordé des facilités de plus en plus grandes. Je suis certain qu’en dehors des camps, pour cette question des travailleurs, qui relève de votre Diocèse, votre apostolique intervention hâtera la solution de ce nouveau problème. [...]
L’aumônier général des travailleurs à l’étranger :
Abbé Jean Rodhain
Les 7-8 avril 1943, à la réunion de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France (la première depuis 1940, puisque désormais, la zone sud étant à son tour occupée, les évêques peuvent venir à Paris) le cardinal Suhard a dans sa main le document pontifical et expose son dessein : obtenir une solution officielle, sinon s’en passer et donc se contenter de la clandestinité. Les évêques acceptent le plan du cardinal Suhard, bien que plusieurs restent sceptiques sur les possibilités de réussite. Le lendemain 9 avril, le cardinal Suhard approuve la liste des prêtres, dont le nom a été retenu ; et les télégrammes partent aussitôt : « solution St Paul ». De Pâques à octobre 1943, la « Mission Saint-Paul » permet donc à vingt-cinq prêtres de partir clandestinement de France en Allemagne. [14]
Rapport Rodhain à l’Assemblée des Card[inaux] et Archev[êques de France] [15]
[7-8 avril [19]43] [16]
[...] Mode d’envoi des prêtres au milieu de ces 600 000 travailleurs
Depuis 14 mois les négociations avec les autorités allemandes n’ont encore abouti à rien et nous sommes à 15 jours des Pâques. Pendant ce temps là les Pasteurs protestants, eux sont partis comme ouvriers volontaires et font là-bas déjà du ministère depuis plusieurs mois.
Bien entendu il n’est pas possible de proposer à l’Assemblée de prendre officiellement la responsabilité d’envoyer des prêtres comme ouvriers.
Sa responsabilité ne peut pas être engagée d’une façon aussi nette mais est-ce que l’Assemblée ne pourrait pas, au risque et péril de l’Aumônerie qui en cas d’échec ou de difficultés en prendrait la responsabilité devant les Autorités Allemandes, laisser se réaliser certaines vocations : plusieurs dizaines de prêtres, et de religieux ayant l’autorisation de leur supérieur ou de leur Évêque, sollicitent en effet respectueusement l’autorisation de suivre leurs brebis dans les mêmes conditions que saint Paul, fabricant de tentes, ou que le Père de Foucauld vivant parmi les Touaregs, ils savent que ce genre de vie déjà partagé par plus de 1 400 prêtres prisonniers astreints au travail est supportable. Ils croient que ce genre de vie est pénible, donc apostolique, donc souhaitable. [...]
Messages des cardinaux Liénart, Suhard et Gerlier
[Avril 1943] [17]
Interprètes d’une résolution adoptée par NN. SS. les Archevêques de France réunis pour la première fois depuis trois années en assemblée plénière, les Cardinaux de Lille, Paris et Lyon vous expriment leur profonde sympathie au milieu des épreuves qui sont venues, ces temps derniers, porter la tristesse et l’angoisse dans vos foyers, déjà si douloureusement meurtris par toutes les conséquences de la guerre et de la défaite.
Nous savons en effet la peine qu’éveille dans les cœurs français le départ des hommes et des jeunes gens au titre du travail. [...]
Pasteurs des âmes, Nous avons le devoir de veiller sur l’âme de nos travailleurs ; parents, épouses, travailleurs eux-mêmes, Nous ont demandé avec instance de leur obtenir le réconfort et l’aide spirituelle de prêtres français. Aussi N’avons-Nous épargné aucune démarche pour que des aumôniers soient autorisés à aller les rejoindre. Jusqu’ici aucune satisfaction ne Nous a été donnée. Mais Nous ne cesserons pas de réclamer en faveur d’un droit que nous tenons pour sacré. On ne peut en vérité refuser à des hommes qui se trouvent sur une terre étrangère le secours de prêtres de leur peuple et de leur langue. [...]
Achille, Cardinal Liénart, Évêque de Lille.
Emmanuel, Cardinal Suhard, Archevêque de Paris.
Pierre-Marie, Cardinal Gerlier, Archevêque de Lyon
[Outre les départs clandestins,] une autre occasion est saisie par d’autres prêtres français. En effet, afin de prélever – pour en faire des unités combattantes – des troupes employées à garder les camps de prisonniers, la Wehrmacht autorise le 20 mars 1943 la « transformation » de 250 000 prisonniers de guerre en « travailleurs-civils ». Quelque 200 prêtres français demandent cette transformation en « zivils » pour porter quelques secours spirituels aux travailleurs requis. [18]
Lettre de [l’abbé] Jean Rodhain aux prêtres travailleurs civils [19]
24 août 1943 [20]
Cher confrère et ami,
Vous voici donc au nombre des 200 prêtres français répartis parmi les travailleurs civils en Allemagne. Les uns sont de jeunes prêtres requis en France récemment, la plupart sont des prêtres prisonniers transformés. [...]
[...] Les pourparlers se poursuivent [en ce qui concerne le principe de l’Aumônerie des Travailleurs en Allemagne.]
En attendant c’est sur vous que repose toute l’organisation religieuse de nos 800 000 compatriotes. Vous continuerez en dehors de vos heures de travail l’exercice du culte tel que vous le réalisiez dans les camps. [...]
Le 3 décembre 1943, l’ordonnance de Kaltenbrunner déclenche la persécution.
Cependant, afin d’éviter de causer quelque « mauvaise humeur dans le clergé français » dans la France occupée et pour donner le change, le décret de persécution peut être diffusé en Allemagne, et aux responsables concernés peuvent être adressés les circulaires d’application. [...] C’est seulement le 27 mars 1944 que les conditions allemandes seront communiquées à l’épiscopat français par un texte de Kurt Reichl définissant les conditions du « modus vivendi » pour régler les questions pendantes :
« Les Mouvements doivent se maintenir sur le plan religieux, apostolique et social et éviter toute immixtion sur le plan proprement politique. » (c’est-à-dire ne pas s’opposer au service du travail en Allemagne)« Les Mouvements d’Action catholique de France ne doivent pas fonder de sections parmi les Traxailleurs requis en Allemagne. »
Ce dont ne parlait pas, bien évidemment, ce texte, c’est de la traduction de ce second aspect, à savoir la persécution qui venait d’être déclenchée [...]. [21]
Les prêtres et séminaristes venus illégalement dans le Reich « doivent être pointés nominativement » et renvoyés ou sanctionnés suivant les cas ; en toute hypothèse ceux qui remplissent quelque fonction ou emploi dans les camps « doivent immédiatement être déchargés » de leurs responsabilités. Pour les jocistes, leur activité est interdite [...]. Quant aux « prêtres catholiques allemands qui ont soutenu la J.O.C. et l’activité illégale des prêtres français, il faut prendre les devants avec les mesures rigoureuses appropriées. » [22]
Source des documents : Archives historiques du diocèse de Paris, dossier 1 D 14,7.
[1] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 117.
[2] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, pages 117-118.
[3] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 119.
[4] La Semaine Religieuse, 27 février 1943, page 101.
[5] Mention manuscrite.
[6] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 119.
[7] Sic. Mention manuscrite.
[8] Mention manuscrite.
[9] Sic.
[10] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 119.
[11] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 118.
[12] Mention manuscrite.
[13] Mention manuscrite.
[14] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 120.
[15] Mention manuscrite.
[16] Mention manuscrite.
[17] Mention manuscrite.
[18] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 123.
[19] Mention manuscrite.
[20] Mention manuscrite.
[21] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, pages 144-145.
[22] Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003, page 146.