La voix de Hind Rajab

Kaouther Ben Hania

Kaouther Ben Hania, 2025. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

Difficile d’aller voir La voix de Hind Rajab sans préventions. D’abord parce qu’il s’agit d’un sujet brûlant, à l’heure où tant de civils sont massacrés en Terre Sainte et où les sensibilités à vif ont tôt fait de s’accuser mutuellement. Ensuite parce que le cinéma est un art d’une telle puissance que le spectateur, qu’il soit de tout cœur au côté des victimes palestiniennes ou bien convaincu qu’un tel film constitue une arme de propagande, court toujours le risque de se faire manipuler. Enfin, paradoxalement, parce que la pluie de récompenses qui a accueilli à Venise l’œuvre de Kaouther Ben Hania [1] peut induire le soupçon d’une sorte d’obligation consensuelle.

Trame et conclusion de l’histoire sont connues. Le 29 janvier 2024, le centre de coordination du Croissant Rouge pour la bande de Gaza, situé en Cisjordanie, reçoit un appel d’Allemagne : le cousin d’une Palestinienne, prise dans une fusillade alors qu’elle cherchait à échapper en voiture d’une zone de combats, relaie son appel de détresse. Rappelant la voiture, les secours tombent sur l’unique survivante, petite fille de 6 ans cachée sous les sièges, avec qui ils vont parler des heures tout en tentant de lui envoyer une ambulance.

Le film évite un triple piège. En ne montrant pas directement la scène du drame, restant auprès du standard, il respecte tant les victimes (la mort n’est pas un spectacle) que les spectateurs (qui restent à distance). En nous faisant entendre l’enregistrement original des conversations, il évite tout pathos dans leur interprétation [2]. En évitant les jugements moraux, il reconstitue les réactions des secouristes sans pourtant prétendre à l’objectivité [3] ; même l’apparition finale de la mère d’Hind Rajab, avec quelques images de sa fille tournées avant le drame, nous fait voir une humanité suppliciée, lasse et digne.

Avec une force d’évocation incroyable se déploie alors devant nous l’équivalent d’une tragédie grecque. Les heures défilent, les mots simples résonnent ; les complications administratives alternent avec les supplications d’une enfant ; l’espoir s’accroche jusqu’à la fin face à l’impensable. Les divers protagonistes agissent comme un chœur antique : jeune femme sensible et permanent irascible, coordinateur confronté à sa propre impuissance, psychologue qui ne flanche pas.

Bien des moments sont inoubliables. Ainsi quand la petite Hind, consciente de sa mort prochaine et entre deux sanglots, accompagne son interlocutrice dans une prière au Très-Haut Clément et Miséricordieux. Ce sont alors les spectateurs qui pleurent devant Dieu.

« Une foule immense se tenait debout devant le Trône et devant l’Agneau. […] Ils viennent de la grande épreuve. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu. L’Agneau les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 7).

Denis DUPONT-FAUVILLE
27 septembre 2025

[1Le Lion d’argent et le Grand Prix du Jury, notamment, y ont en effet couronné ce nouveau film de la réalisatrice de Les filles d’Olfa (lui-même primé à Cannes et aux Césars l’an dernier).

[2Cette sobriété s’abstient même de la réplique peut-être la plus connue de l’enregistrement de Hind diffusé par les réseaux sociaux, quand on lui demande pourquoi elle parle moins : « Je ne parle pas parce que chaque fois que je parle, du sang sort de ma bouche et salit mes vêtements, et je ne veux pas que ma mère ait à les nettoyer ».

[3Un encart souligne d’emblée qu’il s’agit d’une mise en scène.

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