Le club des miracles (The Miracle Club)
Thaddeus O’Sullivan
Thaddeus O’Sullivan, 2024. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
« Allez à la source, boire et vous y laver »
1967, des Irlandais vont à Lourdes. Un scénario mince, une mise en scène d’un autre temps, des comportements révolus et des bons sentiments à foison : pourquoi s’intéresser à un tel film, au petit budget et à la trame cousue de fil blanc ?
Pour bien des raisons, qui font fi des critères politiquement corrects. En un mot comme en cent, parce que celui qui sort de cette histoire aura gagné en humanité.
D’abord à cause du jeu exceptionnel des interprètes principales, au premier rang desquelles Maggie Smith, bouleversante d’émotion contenue, nous ouvrant au mystère d’une vie qui va bientôt s’achever, mais aussi Kathy Bates, avec un personnage aussi mesquin qu’attachant, à la fois fruste et lucide, blessée et féconde. Ces actrices (et les autres) donnent une profondeur désarmante à des dialogues pudiques, tout en retenue, où l’essentiel s’exprime peu à peu. Tel port de tête, tel regard perdu, au détour d’une image, nous font plus d’effet que bien des processus sophistiqués et nous font expérimenter des dimensions dont la puissance nous surprend.
Au-delà des seuls acteurs, force est de constater que devenir contemporains de sentiments si profonds semble nécessiter, désormais, de nous transporter dans une époque qui n’est plus la nôtre. Est-ce à dire que notre temps perde peu à peu contact avec sa propre humanité ? En tout cas, hors des injonctions morales contemporaines, se mouvoir dans une société où les inégalités sont patentes mais vécues avec dévouement, humour et oubli de soi nous rappelle, si besoin était, que pour aimer les autres il nous faut sortir de nous-mêmes et que le bien commun ne saurait se confondre avec l’autosatisfaction.
Il reste que toute vie comporte son lot de frustrations, de blessures et de rancunes. L’illusion consiste à vouloir les abolir ou les nier. La vérité nous impose de les vivre pour les traverser humainement, en les chargeant d’un sens qui les dépasse, pour pouvoir accéder à une vérité porteuse de paix, qui prendra souvent la forme du pardon, à soi-même et aux autres. Pour cela, encore faut-il être en contact avec les autres et avec soi, c’est-à-dire pouvoir s’appuyer sur des structures sociales et sur un sentiment de transcendance (religieuse de façon exemplaire, mais pas uniquement) qui font aujourd’hui si cruellement défaut.
Nous voilà loin du divertissement léger pour familles insouciantes. Et c’est bien de drames indicibles que cette histoire rend compte, par le miracle d’un jeu qui ne fait pas semblant d’être humain. En ce sens, le message de la Vierge à Bernadette, qui apparaît lors de la scène aux piscines de Lourdes, « Allez à la source, boire et vous y laver », vaut non seulement pour les protagonistes du film mais pour les spectateurs qui prendront le temps de le voir. Quitte à découvrir que tant de beautés nous sont encore accessibles, par les moyens les plus inattendus.
Denis DUPONT-FAUVILLE
24 janvier 2024