Les Innocentes
Anne Fontaine
Paris Notre-Dame du 18 février 2016
Anne Fontaine. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Un exercice de contemplation pour un film aux dimensions universelles
Ce film d’Anne Fontaine est sorti en salle le 10 février dernier.
Décryptage par le P. Denis Dupont-Fauville
L’histoire, « inspirée de faits réels », n’a rien de séduisant. En 1945, après que des soldats russes ont violé à plusieurs reprises toutes les religieuses d’un couvent polonais, sept d’entre elles se retrouvent enceintes. Dans un pays dévasté, en proie à la misère et à la faim, leur situation est aussi inédite qu’inavouable. Que faire ? L’une d’entre elles va quitter l’enclos de la communauté pour chercher secours auprès d’une jeune médecin française.
Un tel sujet pourrait faire craindre le pire et donner lieu à un étalage d’approximations ou de bons sentiments, à des images indiscrètes ou manipulatrices. Or, c’est le contraire qui se produit : partant d’un fait divers sordide et singulier, la réalisatrice nous fait accéder à l’universel sans céder à la facilité. Sans révéler le scénario, contentons-nous de relever quelques-unes des principales qualités du film.
D’abord le respect des personnages : soutenu par une magistrale photographie (même chef opérateur que pour Des hommes et des dieux) dans des harmonies grises, blanches et brunes, le regard de la caméra est d’une constante chasteté, nous montrant par exemple des scènes aussi intimes que des accouchements sans une once de voyeurisme ou de complaisance. De même, aucun des protagonistes ne peut être catalogué dans des catégories simplificatrices : tous sont complexes, chacun a ses failles et sa lumière, mis en valeur par de merveilleux acteurs. [1] Ou encore, la vie religieuse est parfaitement respectée, sans prétention à nous en montrer des ressorts secrets mais en suivant avec précision la continuité d’un rythme totalement offert, scandé par les chants liturgiques qui nous mènent discrètement de l’Avent jusqu’à Pâques en passant par le temps de la Passion (le conseiller religieux du film n’est autre que l’ancien père abbé de Ligugé).
Ensuite le respect des spectateurs. Devant les enjeux bouleversants de l’accueil de vies suscitées par la violence et remettant en question la vocation religieuse des sœurs, les réactions sont diverses et parfois inattendues. Une communiste pourra ainsi aider les religieuses et une supérieure faire de terribles choix par amour pour sa communauté… Chacun, croyant ou non, est ici mis en capacité non seulement de comprendre l’attitude des uns et des autres mais surtout de se poser pour lui-même les questions les plus fondamentales, que notre société du divertissement occulte si souvent.
Jusqu’où peut-on donner sa vie ? Jusqu’à la laisser prendre ? Jusqu’à la transmettre –et comment ? Comment accueillir l’autre, que celui-ci se nomme le Christ, le Juif, l’enfant non désiré ? Comment rester humain, comment le devenir ? À la suite des personnages et en passant par leurs croix, le spectateur est finalement soulevé par l’espérance. Au-delà des clichés et des réponses toutes faites, Anne Fontaine nous livre une admirable méditation, appelée à faire date et dont il faut espérer le succès.
Denis DUPONT-FAUVILLE
13 février 2016
[1] Ceux qui ont vu Ida reconnaîtront notamment Agata Kulesza, qui jouait la tante communiste, dans le rôle de la supérieure !