Leur souffle
Cécile Besnault et Ivan Marchika
Cécile Besnault et Ivan Marchika, 2019. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
La joie d’une brise légère
Au commencement tout est ténèbres. Se fait juste entendre le son d’un souffle ténu, celui de la voix de la réalisatrice qui nous livre, comme en une confidence, une parabole sur ce qu’elle a essayé de faire. Mais ce souffle s’éteint. Et nous passons à des voix claires, à une diction distincte, encore qu’empreinte d’émotion, tandis que la lumière a envahi l’écran. Les mots sont désormais ceux d’une profession monastique. Presque sans préavis, nous voici entrés dans l’abbaye de Jouques par la grande porte, celle de la consécration définitive. Et nous nous découvrons conviés, pendant deux heures, à en partager le rythme et les silences, les mélodies et la couleur.
Un film de plus sur une congrégation religieuse ? Pas tout à fait. Car, outre les cadrages magnifiques et les lumières somptueuses du pays de la Durance, il y a une véritable empathie des réalisateurs [1] avec la communauté. Rien n’est explicité, détaillé, mis à plat ; tout est scruté, respecté, contemplé, dans la netteté de plans fixes à faible profondeur de champ. De la jeune novice à la mère abbesse, nous croisons des physionomies bien diverses et d’âges très variés. La paix intérieure n’exclut pas les tensions, certains regards ou certaines intonations témoignent d’une maturité parfois rudement conquise, la concentration nécessaire aux travaux de chaque jour répond à la discipline si simple des prières et des heures.
À la différence de documentaires à visée didactique ou de films insistant à l’extrême sur l’énigme de ces vies cachées [2], Leur souffle présente sobrement ce vers quoi tendent tous les consacrés. L’essentiel ne cesse d’être dit, mais à travers le chant des psaumes. Or, ces psaumes se chantent en latin. Si les sous-titres en explicitent les paroles, il est ici évident qu’il y a plus à écouter que ce que nous percevons ; la parole se donne à entendre moyennant un rythme, un accord, un élan commun. C’est toujours le Christ qui est livré, cherché, proclamé, désiré. Pour lui, les mots de l’Église prennent corps dans l’intonation singulière de cette communauté. Et nous avons à les traverser, ou plutôt à nous laisser traverser par eux, en constatant la puissance du souffle qui, sans prétendre à rien d’autre qu’à exprimer cette Parole, donne à ces femmes d’être debout.
Depuis les épisodes familiaux jusqu’aux moments d’attente, une harmonie singulière émerge, au-delà des efforts et des rires. Une lumière qui résiste aux ténèbres, une plénitude qui se communique avec pudeur. Une intimité qu’on n’a jamais fini d’atteindre, celle de l’Époux qui vient. « Le Souffle et l’Épouse disent : “Viens”. Celui qui a soif, qu’il vienne » (Ap 22,17).
P. Denis DUPONT-FAUVILLE
15 mars 2019
[1] L’un est athée, l’autre, après le tournage du film, est entrée au Carmel.
[2] Un film comme Le grand silence, par exemple, laisse peu de place à la Parole[[Un film comme Le grand silence, par exemple, laisse peu de place à la Parole.