Makala

Emmanuel Gras

Emmanuel Gras, 2017. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

Une aventure humaine. Makala nous fait découvrir une extraordinaire tranche de vie, celle d’un Congolais qui ne peut faire subsister les siens que grâce à la vente du charbon, « Makala » dans l’idiome local. Un petit bout d’homme qui, dans la brousse autour de son village, choisit un arbre, le coupe, le débite, avant de recouvrir de terre le tas ainsi constitué pour l’enfumer une semaine durant et ainsi obtenir du charbon. Charbon qu’il entasse dans des sacs, bientôt amoncelés sur une frêle bicyclette, laquelle sera poussée des jours durant, à bout de bras, sur les sentiers qui mènent à Kolwezi, la grande ville où tout s’achète et se vend. Chaque étape semble impossible : immensité de l’arbre face au petit paysan, immensité du tas de sacs sur son engin de fortune, immensité de la distance qu’il lui faut parcourir, immensité de la patience qu’il lui faut déployer pour surmonter les coups du sort et les aléas du marché. La caméra l’accompagne à hauteur d’homme, prend le temps de s’arrêter avec lui, de contempler sa famille, d’observer ceux qui l’abordent. À la fin, malgré le décalage du contexte et de la langue, le spectateur en vient à ressentir ses sentiments intérieurs, à éprouver cette humanité qui se révèle au long de cette traversée commune.

Une méditation sur notre monde. Quoiqu’éloigné de nous, l’univers que nous contemplons ne nous est pas étranger. Au contraire : les mécanismes que nous voyons à l’œuvre sont ceux de notre globalisation. Montée des villes et marchandisation des denrées les plus élémentaires, promiscuité de populations déracinées et tensions menaçant l’harmonie des familles, rêves de richesse et dépouillement des plus faibles, promesses des échanges commerciaux et désarroi devant la dissolution des liens sociaux. C’est bien notre logique qui déborde sur cet environnement au premier abord si exotique, nos raisonnements qui se réfléchissent dans les contraintes implacables exercées sur ce modeste Sisyphe. Les racketteurs prospèrent, la saleté et le vacarme servent de toile de fond, l’argent pourrit tout. Le paysan est prêt à se sacrifier pour que sa fille reçoive une éducation en ville, mais quel est le sens d’un monde qui ne fournit d’élémentaires médicaments qu’au prix de journées entières de travail ? La fraternité s’exprime encore en paroles, mais quelle transcendance unit encore ces masses de plus en plus indifférenciées ?

Un parcours spirituel. Tout commence dans un jardin immense et dans la lumière du jour. Puis vient l’obligation de travailler de ses mains, de gagner sa nourriture à la sueur de son front. Après la case du couple originel viennent la solitude et la peur, la fatigue et l’adversité. Pour entrer dans la cité d’où l’argent jaillit comme un fleuve, il faudra surmonter l’obscurité du trajet, du désenchantement et des tentations. Pourtant, au bout du chemin jaillit une lumière nouvelle, celle d’une baraque abritant une église évangéliste. Toute la nuit, des malheureux y prient Jésus. Quel Jésus, de quelle manière ? Rien n’est vraiment fixé et tout est cohérent. Chacun à sa manière, les éprouvés confient à Dieu leurs malheurs et leur vie. Alors revient en mémoire la prière par laquelle avait commencé cette odyssée : « Seigneur Jésus, donne-moi la force et le courage, que je puisse nourrir ma famille ». Au terme et à l’origine, c’est la foi qui nourrit l’espérance et seule arrive à donner un sens au-delà des raisonnements inéluctables. La traversée de la nuit nous conduit au chant baptismal des pauvres, parfois si déroutant.

Veilleur, où en est la nuit ? Celui qui aura parcouru cette route saura que la nuit n’est pas terminée mais qu’elle est rejointe par une lumière plus profonde, qui permet à l’homme de ne pas renoncer. « Makala », le charbon congolais, aura aussi éclairé nos routes occidentales, si lumineuses qu’elles osent se prétendre.

Denis DUPONT-FAUVILLE
17 décembre 2017

Cinéma