Marie Madeleine
Garth Davis
Garth Davis, 2018. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Fantaisie non héroïque
Devant un tel sujet traité par Hollywood [1], le spectateur chrétien pourrait avoir deux craintes. D’une part, que le traitement de « l’apôtre des apôtres » [2] et de l’honneur insigne réservé à Marie Madeleine d’avoir été le premier témoin du Ressuscité [3] développe des thèses féministes hors de contexte, voire remette en cause le rôle particulier des Douze. D’autre part et à l’inverse, que l’histoire de celle que Jésus délivra de sept démons (cf. Lc 8,2) soit amplifiée dans le sens d’une facilité graveleuse, mêlant scènes érotiques de soumission et séquences névrotiques de possession.
Le nouveau film de Garth Davis évite heureusement ces deux écueils. Mais c’est à peu près le seul mérite à lui reconnaître. Car respecter son sujet exigerait autre chose que d’unir, sous la bannière d’une imagerie quasi sulpicienne, une totale désinvolture à l’égard des Écritures [4] et une paresse stupéfiante quant à la mise en scène.
Nous voici donc dans une Galilée au climat hivernal, sous les brumes et la pluie. Marie est une pure jeune fille juive, douée pour aider les autres à accoucher mais rêvant de rester célibataire [5]. Oppressée par une famille aimante, elle fait la rencontre d’un Jésus quasi quinquagénaire, fatigué et plutôt malheureux, qui reconnaît tout de suite en elle une sainte. Avec ses apôtres, il baptise dans « l’eau, la lumière et l’esprit », avec force « hugs », non au Jourdain mais au bord du lac. Pierre est tout droit sorti de la case de l’oncle Tom ; Judas, bien entendu, est le plus sympathique. Madeleine quitte tout pour suivre le prophète, seule femme au milieu des apôtres. Les événements s’enchaînent : un massacre a lieu à Cana ; Jésus fait une crise de nerfs au Temple et, redoutant le pire, partage dans la soirée un repas très simple avec ses proches, avant d’être crucifié le lendemain. Puis vient le moment où Marie, pleurant près du tombeau sans savoir quoi faire, se retourne et le voit vivant qui contemple l’horizon : nul dialogue entre eux, un clin d’œil suffira. Elle rejoint alors les Douze, qui l’écoutent avec attention leur expliquer qu’il faut prendre conscience de l’esprit qui les habite et leur permettra de tout surmonter. Yes, we can. « Et moi, je serai toujours avec vous »… dit-elle. Rideau.
Pour l’image, outre les tonalités écossaises, ajoutez un soupçon de Zeffirelli dans les costumes et des visages hâves, perpétuellement en gros plan. Dans les scènes de marche, la caméra reste à l’épaule. Peu de composition dans l’espace, hormis quelques zigzags sur des sentiers à flanc de coteau. Bien sûr on tourne à Matera, comme Pasolini, et on a une reconstitution en 3D du Temple, comme les jeux vidéo. Le monde semble las, le spectateur aussi.
La première et la dernière séquence évoquent irrésistiblement Le grand bleu, sans que le film, de l’une à l’autre, donne jamais l’impression de remonter à la surface. Dommage, il y aurait eu tant de choses à dire.
P. Denis DUPONT-FAUVILLE
17 mars 2018
[1] Le film devait notamment être distribué par la Weinstein Company.
[2] Ce titre attribué à Marie Madeleine était déjà traditionnel à l’époque de saint Thomas d’Aquin. Le 3 juin 2016, le pape François l’a de nouveau utilisé pour élever la mémoire de Marie Madeleine, le 22 juillet de chaque année, au rang de fête dans la liturgie catholique.
[3] Privilège surprenant pour beaucoup mais sur lequel les Évangiles s’accordent.
[4] Cf. les traits énumérés au paragraphe suivant.
[5] Attitude simplement inimaginable à l’époque, dans le monde juif notamment.