Mémoires de nos pères

Clint Eastwood

Un film sur la bataille d’Iwo Jima pendant la deuxième guerre mondiale, à partir de 16 ans, à voir en famille, avec les grands parents. Critique de Louis Corpechot.

Pour ouvrir son nouveau film Mémoires de nos pères, Clint Eastwood chante a capella. Cette chanson populaire qu’il interprète, I’ll walk alone, a été publiée pour la première fois en 1944. Elle a pour sujet le couple séparé par la guerre, ici du point de vue de la femme qui choisit de rester seule.

« Je marcherai seule, pour te dire la vérité, je serai seule
Cela m’est égal d’être seule
Quand mon cœur me dit que tu es seul aussi
[…]
Je serai toujours près de toi où que tu sois chaque nuit
Dans chaque prière
Si tu appelles je t’entendrai, malgré la distance
Ferme seulement tes yeux et je serai là »

Cette parole d’amour est présentée comme le sujet du film. Elle ne va pourtant réapparaître qu’à la fin, et de manière inattendue. Car c’est bien l’amour, au sens large, qui est le moteur du film. Mais un amour maltraité, martyrisé, manipulé par la guerre, et par ce qu’elle exige : toujours plus d’argent.

Adaptée du livre Mémoires de nos pères de James Bradley (édité chez Movie Planet), l’histoire est celle des six hommes qui furent pris en photo en train de hisser le drapeau américain au sommet du mont Suribachi lors de la bataille sur l’île d’Iwo Jima. Conscient de l’impact extraordinaire de la photographie, le gouvernement rapatria les soldats survivants pour les faire participer à une grande collecte de fonds dans tous les Etats-Unis.

Clint Eastwood dénonce cette manipulation de l’image, que ce soit celle de la photo elle-même (recadrée, retouchée…) ou celle de l’image de cinéma, et du film de guerre. Le réalisateur alterne les scènes de la campagne aux Etats-Unis et celles de la guerre dans le Pacifique, permettant au spectateur de respirer. Bien que ces dernières soient très réussies (le mont Suribachi est une taupinière de granite géante sous un déluge de feu) elles évitent le piège d’un soi-disant « réalisme » invoqué pour justifier des séquences interminables.

Pour restaurer la vérité perdue de la photo-icône, Clint Eastwood multiplie les points de vue. Les trois soldats sont décrits par les regards qu’ils portent les uns sur les autres. Par contraste avec le déferlement d’images mensongères, ces regards apparaissent dans leur dimension tragique : ces hommes ne sont des héros que par le regard que l’on porte sur eux, et non par ce qu’ils ont accomplis. Ajoutons qu’Eastwood est en train de terminer Letters from Iwo Jima, le même film raconté du point de vue des japonais.

Manipuler une image, c’est toujours déchirer celui qu’elle représente. Et la seule vérité de l’image de guerre, c’est que la guerre n’est pas aimable pour elle-même. Ce qu’il y a d’aimable, ce sont les hommes engagés dans l’horreur de la guerre.

Louis Corpechot

Cinéma