Mommy
Xavier Dolan
Xavier Dolan, 2014. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Rarement une sortie, dans la période récente, aura fait l’objet d’un tel battage médiatique. Couvertures d’hebdomadaires, présentations dans tous les journaux radio et télé, critiques dithyrambiques… Cinquième long-métrage d’un réalisateur âgé de seulement vingt-cinq ans, Mommy avait tout pour appartenir à la catégorie des « films événements ». Mais de quel événement, au fond, s’agit-il ?
Dès les premières images, il est évident que nous sommes en présence d’un véritable auteur, d’un cinéaste profondément original. Pas seulement par le parti formel qu’il a pris de réduire l’écran en un format carré, propice selon lui au cadrage des portraits et qui « s’élargira » à deux reprises, lorsque le héros trouvera une nouvelle ampleur à sa vie ; pas seulement par le montage brillant ou par la bande son aussi recherchée que celle d’un Woody Allen ; mais parce que le rythme, les scansions d’un thème à l’autre, les alternances entre les ambiances, les trouvailles de mise en scène abondent et surabondent.
À cette virtuosité formelle de la réalisation s’ajoute l’extraordinaire « performance » d’un trio d’acteurs proprement prodigieux. Ils constituent l’atout majeur d’un scénario improbable : Diane (Anne Dorval), devenue veuve, retrouve la garde de son fils Steve (Antoine-Olivier Pilon, âgé de 16 ans seulement), adolescent TDAH hyperactif et violent. Elle veut, contre le pronostic des médecins de l’hôpital, arriver à lui assurer un avenir. Pour ce faire, elle va bénéficier de l’aide d’une étrange voisine, Kyla (Suzanne Clément), enseignante en congé sabbatique et affectée de bégaiement, qui va se révéler capable d’initiatives inattendues.
D’affrontements en émotions, d’embrassades en épreuves, de fous rires en tragédie, ces trois-là vont nous faire passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, traversant les épisodes les plus invraisemblables avec un naturel et une conviction confondants. Des situations en réalité très artificielles et souvent à la limite de la fable passent l’écran avec une force stupéfiante, suscitant à la fois l’émotion, l’agacement et l’attachement [1].
Est-ce à dire que tout soit réussi dans cette œuvre si originale ? Plusieurs réserves nous semblent s’imposer. Une de forme : tous les effets sont appuyés et l’esthétique est souvent proche de celle d’un clip publicitaire, empêchant de donner une véritable profondeur aux situations. Surtout, le brillant de la mise en scène évite de donner une véritable profondeur aux personnages. Les complexités éventuelles ne surgissent que par allusions (dans le cas de Kyla) et sont sacrifiées aux contrastes formels et aux paradoxes visuels, sans que le spectateur soit jamais libre de respirer ou de prendre du recul quant aux personnages pour les interroger et leur donner une part de mystère véritablement humain.
Ceci amène à une critique de fond : quel est le propos du film ? S’il s’agit juste de découvrir que, là où le père manque, l’amour maternel le plus dévoué ne peut parvenir à tout résoudre, nous sommes au plus profond de la banalité ; s’il s’agit de dire que la bienveillance peut faire des miracles sans changer la nature des êtres, nous nous situons dans l’archétype du politiquement correct ; quant à constater que l’adolescence est un âge ambivalent... Avec un tel registre formel et de tels acteurs, on aurait pu rêver à une réflexion plus profonde et plus originale, sans être forcément aboutie, sur le mystère des êtres.
Au confluent de ces deux défauts, la (trop) longue séquence où Diane rêve à ce qu’aurait dû être l’avenir de Steve : images convenues, enchaînements prévisibles et esthétique minaudante arrivent à faire retomber la tension construite avec tant de soin et parfois de réalisme au long des 2 heures qui précèdent, à tel point que la gravité des scènes finales s’en trouve comme désamorcée. Dommage, au moment où le discours prétendait adopter un ton plus profond.
Ce long-métrage fort et brillant (qui a remporté le Prix du jury au dernier festival de Cannes) ne nous semble donc pas (encore) pouvoir être qualifié de grande œuvre. Dans un sens, cela est plutôt une bonne nouvelle : si Xavier Dolan est encore capable de mûrir et de progresser (et nul doute qu’il le soit), cela promet de formidables films à l’avenir.
Denis DUPONT-FAUVILLE
26 octobre 2014
[1] Ici, un léger regret : le réalisateur a choisi de sous-titrer lui-même en français l’ensemble des dialogues interprétés en « joual », l’argot québécois. Mais ce sous-titrage systématique, s’il est parfois utile à la compréhension, empêche d’entrer de plain-pied dans l’univers qui nous est présenté (un peu comme dans le cas d’un autre film récent, quoique différent, Mange tes morts). De plus, la traduction elle-même est parfois contestable : au lieu de traduire « tabernacle » par « putain » ou « bordel », n’aurait-on pas gagné à transcrire le mot pour lui-même ?