Reste un peu

Gad Elmaleh

Sortie le 16 novembre 2022. Critique du père Pascal Ide.

Critique du père Pascal Ide

En allant voir Reste un peu, trois craintes m’habitaient : que les acteurs amateurs soient aussi pleins de zèle que dénués de métier ; que l’intrigue soit à ce point autobiographique qu’elle se rapproche plus du documentaire que de la véritable narration ; que l’intention soit secrètement prosélyte.

Quand, dans la salle obscure où je fus agréablement surpris par le nombre de spectateurs, le film commença, les premières images empruntées aux archives familiales Elmaleh (des vidéos amateurs), puis celles prises à Casablanca sur fond de voix off du Gad d’aujourd’hui, n’ont fait qu’accroître ma peur d’être déçu. Mais très vite, je fus saisi par l’histoire. Non, je n’étais pas en train d’assister à une rétrospective de la quête spirituelle de ce si sympathique quinqua ou, pire, à un film de « patro ». Oui, le suspense est réel, le rythme alerte, les rebondissements nombreux, les retournements inattendus, le final vraiment surprenant. Oui, certaines répliques font mouche – comme celle, paraît-il improvisée, de Régine : « Tu changes de Dieu, tu changes de parents. Fais-toi adopter ». Oui, les émotions sont au rendez-vous, chez les personnages, mais aussi, communicatives, chez les spectateurs : plus d’une fois, j’ai ri de bon cœur et la salle aussi ; plus d’une fois aussi, je fus ému, notamment lors des moments puissants de communion entre Gad, ses parents et sa sœur, plus encore, lorsque ceux-ci décident de le rejoindre à contrecœur mais avec cœur pour la cérémonie, ou lorsque Régine interpelle avec une rare vérité une autre mère qui, elle aussi, a perdu son fils. Et les discussions animées lorsque la lumière est revenue montraient bien l’intérêt des spectateurs, j’allais dire des participants.

Assurément, les jeux des acteurs sont parfois maladroits ; mais, très vite, je fus touché de leur implication personnelle et émotionnelle (comme l’émouvant aveu paternel, qui ne pouvait s’exprimer qu’en langue étrangère : « I am your father and you are my best friend »). De même qu’ils ont peu à peu oublié la caméra, de même j’ai progressivement oublié qu’ils faisaient partie de la famille ou des amis de Gad pour, paradoxalement, les identifier à cette famille, charnelle et/ou spirituelle. D’ailleurs, étais-je gêné lorsque je sentais ce côté emprunté chez les comédiens des films d’Éric Rohmer que j’aime tant ?

Enfin, en visionnant le long-métrage, je n’ai jamais perçu cette bonne intention et ces bons sentiments qui ne font ni de la bonne littérature, ni du bon cinéma, ni d’ailleurs une œuvre d’art authentique. Certes, parce que Gad ne cherche pas à répondre aux objections sinon puissamment argumentées, du moins fortement lancées par le cousin Éric (Rony Kramer), ni à se défendre à la fine déconstruction proposée par la rabbine qui lui montre combien, dans ses sketchs, il est aussi prompt à se glisser dans la peau d’un autre (le blond, etc.) que lent à dire qui il est – parce que, justement, il est juif. Certes aussi, parce que Gad n’est jamais dans la réaction ou l’amertume, mais cherche constamment à sauvegarder le lien avec ses proches et la continuité avec ce qu’il en a reçu, à commencer par la foi juive – d’où son affinité avec le cardinal Jean-Marie Lustiger à qui il emprunte la citation finale du film.

 Lire la suite de la critique sur le site Internet du père Pascal Ide.


Citation finale du film

La citation finale du film [1] est extraite de La Tribune juive, hebdomadaire n° 685-686 du 4 au 10 septembre 1981. Elle provient d’une interview de Mgr Jean-Marie Lustiger avec le rabbin Jacquot Grunewald intitulée « C’est dans le christianisme que j’ai découvert l’enseignement du judaïsme qui ne m’avait pas été donné comme enfant juif ».

Extrait.

Jacquot Grunewald – Considérez-vous votre situation de prêtre d’origine juive comme exceptionnelle ou exemplaire ?

Mgr Jean-Marie Lustiger – Ni exceptionnelle, ni exemplaire. Il existe et il a existé d’autres prêtres et d’autres chrétiens d’origine juive. En Israël, il existe un nombre non négligeable de chrétiens d’origine juive. J’ai été frappé qu’ils se sentent à l’aise dans la mosaïque israélienne. Peut-être la plupart des Israéliens ont-ils tendance à les considérer comme de doux rêveurs, mais ils ne leur refusent pas d’exister tels qu’ils sont.

Cette attitude est caractéristique de cette catégorie d’Israéliens pour lesquels l’ élément nationaliste a pris le pas sur les considérations religieuses. Mais venons en à une question essentielle. Lors de votre nomination à l’Archevêché de Paris, certaines paroles concernant votre attachement au judaïsme et qui vous ont été attribuées ont suscité quelque émoi dans la communauté juive. Vous auriez déclaré, qu’en embrassant la foi catholique, vous vous « accomplissiez en tant que juif », ce qui pourrait signifier que le destin normal du Juif qui veut s’accomplir est de devenir Chrétien !

Vous savez, on m’a beaucoup fait parler lors de ma désignation comme archevêque de Paris. Je ne crois pas avoir prononcé ce mot d’accomplissement. Il me semble avoir dit que, chrétien, j’assumais ma condition propre de juif et que je n’entendais pas la renier. Ce que j’entendais en évoquant cet accomplissement n’était donc pas une réflexion d’ordre théologique qui relève d’un autre genre que l’interview, mais concernait mon autobiographie. Enfant, je ne percevais mon judaïsme que comme une identité sociale puisque toute l’éducation que j’avais reçue était essentiellement laïque. J’étais un fils d’immigrés qui se savait juif, appartenant à une communauté persécutée sans autre raison que la méchanceté des hommes. En 6e, au Lycée Montaigne, je croyais être le seul à savoir ce que veut dire le mot pogrom. Mon père m’a raconté que son grand-père se faisait battre et arracher les poils de la barbe quand, en Pologne, il s’aventurait dans les rues les jours de fêtes chrétiennes. Quant à l’élection de cette communaute et sa supériorité morale, elle était pour moi d’être appelée à lutter pour la justice et le respect de tous, pour aider tous les malheureux. Devenir médecin – docteur, comme nous disions – me semblait alors la meilleure manière d’y parvenir. Ou alors « grand écrivain » comme Zola que j’ai lu en 5e. Combien d’enfants juifs dans le monde ont dû avoir les mêmes ambitions !

C’est dans le christianisme que j’ai découvert ce contenu biblique et juif qui ne m’avait pas été donné comme enfant juif. C’est ainsi que dans le cours de mon existence, j’ai estimé que je devenais juif parce qu’en embrassant le christianisme je découvrais enfin les valeurs du judaïsme, bien loin de les renier. J’ai vu Abraham et David dans les vitraux de Chartres.

Au contraire de certains juifs qui se sont rapprochés du catholicisme sans nécessairement s’y convertir, notamment la philosophe Simone Weil, vous ne cherchez d’aucune manière à extirper le judaïsme de la foi chrétienne. Vous considérez au contraire que par la foi chrétienne, le judaïsme est valorisé.

Le christianisme est indissolublement lié au judaïsme. S’il s’en sépare, il cesse d’être lui-même. Les rapports entre judaïsme et christianisme sont complexes et offrent un vaste champ aux pires malentendus. Ce n’est ni une substitution comme un empire politique remplace l’empire précédent, ni un transfert culturel comme lorsqu’une culture est assumée en une autre culture (la Grèce dans Rome, l’Antiquité dans l’Europe, etc.), ni une succession comme un fils succède à un père dans son entreprise. Une parabole rapportée par l’Évangile de Luc ouvre à une autre compréhension : « Un homme avait deux fils... », dit-il. Certains exégètes expliquent que le fils aîné c’est Israël, et le cadet les goïm. Vieille histoire juive...

Mais devenant adulte, vous n’avez jamais songé à étudier le judaïsme puisque vous ne l’aviez pas fait, enfant ? Ne ressentiez-vous pas une nécessité de mieux connaître le judaïsme ?

En 45/46, j’avais 20 ans. A qui aurais-je pu alors m’adresser spontanément pour connaître le judaïsme traditionnel ? Le judaïsme français renaissait à peine de ses cendres. Ce qui préoccupait alors la collectivité juive, à ce que j’entendais du moins, c’était la création de l’État juif qui nous a lavés d’une humiliation immémoriale. Chrétien, je me posais la question de son avenir spirituel. Mais vous savez ce qu’il en était alors...

 Lire l’entretien sur le site de l’Institut Lustiger.

[1« C’est ainsi que dans le cours de mon existence, j’ai estimé que je devenais juif parce qu’en embrassant le christianisme je découvrais enfin les valeurs du judaïsme, bien loin de les renier. »

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