Sacerdoce
Damien Boyer
Damien Boyer, 2023. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
« À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples » ?
La première séquence est celle d’un prêtre face caméra, nous parlant comme si nous étions une assemblée, ou peut-être un ami. Ses paroles soulignent d’emblée les raisons qui détournent nos contemporains de l’Église et celles qui provoquent un rejet de ses ministres, en butte à une défiance croissante. La suite de l’œuvre constitue une sorte de réponse à ces accusations, à travers le témoignage de cinq profils sacerdotaux français d’aujourd’hui, que nous observerons et découvrirons peu à peu.
Générosité immense, extrême délicatesse avec leurs interlocuteurs, reconnaissance concrète de leur faiblesse [1] et immensité des défis. Nous ne sommes pas loin du panégyrique, devant ces vies données, aussi touchantes que diverses. Du prêtre de l’Ariège, qui conduit sa caravane de village en village pour quémander un début de contact, au missionnaire de Manille, arrachant des enfants à l’enfer des trottoirs, de l’aumônier de jeunes à l’amateur de courses cyclistes, en passant par le prêtre aîné témoignant avec force de ce qui reste quand on va jusqu’au bout, le prisme est large et l’engagement émouvant.
La mise en scène effectue des choix. Hommes proches de la nature, amoureux du silence [2], apparemment peu soumis à la dictature des écrans et capables d’une force d’entraînement peu commune, les prêtres que nous suivons constituent une énigme pour nous et pour eux-mêmes. Au fil des séquences, nous touchons du doigt la beauté d’un mystère qui, tout en humanisant les interlocuteurs, les appelle à chercher au-delà des idées reçues.
Qu’il soit permis cependant, au-delà (ou à côté) de ce message indiscutablement positif, de s’interroger sur certains des aspects mis en évidence, sans pouvoir trancher s’il s’agit de simples reflets de la réalité ou de parti-pris du réalisateur. Tout d’abord, chaque protagoniste est considéré séparément, si bien que, malgré les rencontres que nous leur voyons faire, l’impression qui prévaut est celle d’un isolement constant [3]. À cet égard, l’absence totale de toute allusion à un évêque ou au rôle de la hiérarchie dans la vie concrète de ces hommes procure un vertige quant aux modalités de la communion qu’ils sont chargés de vivre et de communiquer. De même, aucune image d’une messe « classique » : les eucharisties qui nous sont montrées répondent à un imaginaire plutôt romantique, qu’il s’agisse des foules miséreuses des bidonvilles philippins ou de jeunes privilégiés lors d’une randonnée en montagne. S’agit-il de montrer le ministère tel qu’il se vit aujourd’hui, ou bien de sélectionner des types de messes dont on suppose qu’elles ont une intensité supérieure ? Enfin, la prière silencieuse, cachée, solitaire du prêtre, qui constitue son pain quotidien, n’est jamais filmée : par pudeur, par manque d’intérêt ?
Ces questions, parmi d’autres, font que le spectateur aimerait en savoir plus – et c’est sans doute un objectif implicite du film que d’éveiller notre curiosité. L’expérience pourrait-elle se décliner en série, pour découvrir d’autres aspects, ou en chronique, pour témoigner des évolutions en cours ? Pas facile de savoir, en sortant de la salle, si nous venons de contempler les derniers des Mohicans ou les éveilleurs de l’aube. Mais rien n’est impossible à Dieu.
Denis DUPONT-FAUVILLE
24 janvier 2024
[1] Au risque d’une certaine ingénuité dans le récit des difficultés, oscillant parfois entre inconscience et impudeur.
[2] Malgré un montage mêlant fréquemment panoramiques spectaculaires et musique emphatique.
[3] L’auteur de ces lignes, qui a eu la chance de rencontrer quatre des cinq « héros » du film réunis lors d’une projection romaine, a pu à la fois constater leur fraternité… et s’en réjouir !