Sound of Freedom

Alejandro Gómez Monteverde

Alejandro Gómez Monteverde, 2023. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

Les compagnons de l’Agneau

Ceux, nombreux, qui ne se contentent pas des récits des médias mainstream mais font preuve de curiosité sur internet savent déjà que ce film, qui sortira le 15 novembre en France [1], a constitué un événement pour le cinéma américain et pour les États-Unis.

Tourné en 2019 grâce à des financements de particuliers [2], il a en effet affronté pendant cinq ans une obstruction systématique des grands distributeurs [3]. Finalement projeté grâce à un système original d’achat anticipé des places dans les salles qui prenaient le risque de le programmer [4], il a pris la première place au box-office américain à sa sortie le 4 juillet, jour de la fête nationale, pour se classer parmi les plus grands succès de l’année, devant Mission Impossible ou Indiana Jones. Une campagne de presse hostile suivit, l’accusant pêle-mêle de théories complotistes, de représentations erronées, de parti-pris politique [5], jusqu’à ce que le producteur se demande publiquement pourquoi les médias s’opposaient, contre l’avis du public, à l’action ceux qui sauvent des enfants de l’esclavage.

C’est bien d’enfants, en effet, qu’il s’agit. Des enfants ordinaires, pour la plupart issus de pays pauvres, qui soudain disparaissent, enlevés dans la rue ou attirés par la gloire, pour se retrouver exploités sexuellement aussi longtemps et brutalement que possible. Ils sont aujourd’hui plusieurs millions, le trafic d’êtres humains générant un chiffre d’affaires désormais supérieur à celui du marché de la drogue [6]. Sauf miracle, leurs parents n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.

Dire cela, cependant, ne fait qu’ajouter un nouveau motif d’indignation à la longue liste des exactions contemporaines contre la dignité humaine. C’est pourquoi, comme l’explique l’acteur principal pendant le générique de fin, ce film a voulu changer la donne en racontant une histoire, comme seul le cinéma peut le faire [7]. Compter les millions de victimes reste abstrait ; accompagner des personnages concrets dans ce qui leur est réellement arrivé peut marquer les cœurs à jamais.

La trame est aussi simple qu’efficace. Tim Ballard, agent fédéral américain luttant contre les pédophiles, rencontre un jour personnellement l’une de leurs petites victimes. Bouleversé, il décide de retrouver sa sœur, livrée aux circuits internationaux d’“amateurs”. S’ensuivent diverses péripéties qui permettent de rencontrer des trafiquants aux visages variés, des héros de l’ombre, des fonctionnaires atterrés, toute une palette d’intervenants qui illustrent la complexité mais aussi la terrible extension de ce marché.

Tourner un tel sujet représentait une gageure. D’abord, comment éviter le voyeurisme et la fascination pour l’ignoble ? La solution adoptée consiste à ne rien montrer de plus que des personnages se repaissant d’images, sans céder à la tentation d’apercevoir ce qu’ils voient. Quand l’indicible se produit, les portes sont closes ou les yeux se ferment (une seule fois, nous voyons pleurer les yeux du héros visionnant des images abjectes) [8]. Si bien que le film peut être montré même à des jeunes sans craindre de les salir.

À l’inverse, comment ne pas tomber dans l’obscénité d’un joyeux happy end avec un tel sujet ? Ici encore, le défi est relevé avec succès. Si l’aventure se termine bien (mais prévenir dès l’abord qu’il s’agit d’une histoire vraie le laisse présager), elle ne laisse pas retomber l’émotion et renvoie explicitement au sort de tous ceux qui n’auront pas eu la chance d’être sauvés. Le salut de chacun est essentiel, mais ne peut compenser l’abus de tant d’anonymes.

D’où le paradoxe final du film : la description d’une réalité aussi sombre ne devrait-elle pas mener au désespoir ou à la résignation ? Ici intervient une donnée discrète mais présente continûment : seul peut lutter contre de tels fléaux celui qui a foi en l’homme. Or, le fondement le plus puissant (non l’unique) d’une telle espérance est la foi en Dieu. « Les enfants de Dieu ne sont pas à vendre ». Non seulement la pire des crapules peut faire le bien en ce monde, mais il y aura des comptes à rendre au dernier jour – ne serait-ce qu’à sa propre conscience. Parmi tant d’indices présents, mentionnons l’appui que Tim trouve chez sa femme, dont la foi lui donne de risquer sa vie pour les enfants des autres [9], ou le fait que l’objet qui maintient l’espoir durant l’action porte gravé le nom de Timoteo, « celui qui craint Dieu ».

On pourra bien sûr objecter que la lumière tombe trop souvent de façon christique sur le visage du héros (l’interprète a d’ailleurs joué Jésus !), que celui-ci reste bien coiffé même au cœur de la jungle, que certains plans font songer à des séries à succès. Mais il nous semble que de tels détails un peu artificiels participent volontairement à maintenir le spectateur à une juste distance : rappelant qu’il s’agit d’un film, ils évitent de se laisser engloutir par l’émotion ; même si l’histoire est vraie [10], le récit a d’abord une valeur symbolique.

En ces temps où les discours sentimentaux sur l’exclusion font florès, voici une œuvre courageuse, dénonçant ceux qui s’arrogent le pouvoir de détruire des vies en violant l’innocence. Y a-t-il exclusion plus grave ? Et l’Église ne devait-elle pas être en première ligne dans un tel combat, ne serait-ce qu’en contribuant, à l’instar de ce film, à la prise de conscience de cet infernal fléau ?

Denis DUPONT-FAUVILLE
19 octobre 2023

[1Grâce aux efforts du distributeur SAJE, qui assume courageusement les risques d’un tel lancement.

[2Selon les méthodes de crowdfunding développées par Angel Studios, qui produit aussi, notamment, la série phénomène The Chosen sur la vie de Jésus.

[320th Century Fox, Disney, etc.

[4Relayé par une campagne de « pay it forward » : Angel Studios réalise des appels aux dons pour inciter les spectateurs à acheter davantage de places qu’ils n’en ont besoin sur une plateforme dédiée, places ensuite les distribuées gratuitement à d’autres spectateurs.

[5Comme pour le film La passion du Christ, le film n’est-il pas interprété par Jim Caviezel et coproduit par Mel Gibson ?

[6Il est estimé à 150 milliards de dollars pour 2020, en augmentation exponentielle, spécialement pour ce qui concerne les enfants. Comme l’explique clairement l’un des protagonistes du film : « Une dose de drogue, tu ne peux la vendre qu’une fois ».

[7Ce discours constitue un admirable acte de foi dans le cinéma, dont il faut espérer qu’il ne sera pas déçu. Jean Renoir, parlant de La grande illusion, confessait s’être leurré sur la puissance du cinéma, puisque le film n’avait pas suffi à arrêter la Seconde guerre mondiale. Nous sommes ici dans une espérance du même type

[8Cette volonté de ne pas montrer ce qui est contraire à la dignité humaine vaut d’ailleurs non seulement pour la pornographie, mais pour le meurtre. En ce sens, fermer les yeux procède d’une démarche inverse de celle qui détourne le regard !

[10Quelques images d’archives, montrant la réalité d’une opération qui occupe le centre du film, le rappellent d’ailleurs de façon frappante dans le générique de fin, décidément à ne pas manquer.

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