The Way (La route ensemble)
Emilio Estevez
Paris Notre-Dame du 26 septembre 2013
Sur le chemin de Compostelle, la quête et les tourments des hommes d’aujourd’hui. • Par le P. Denis Dupont-Fauville.
The Way, sur nos écrans le 25 septembre, sort pour le moins de l’ordinaire : un cinéaste américain nous y montre, deux heures durant, la route du « Camino francés », ou Chemin de Saint-Jacques, effectuée par un Californien ! Celui-ci, bouleversé par la disparition, au début de ce même chemin, d’un fils unique qu’il n’avait jamais su écouter [1], verra s’adjoindre à lui des compagnons de rencontre pour s’ouvrir, petit à petit, à la compréhension des autres. Disons-le d’emblée, ce film ravira ceux qui ont l’expérience du pèlerinage de Compostelle. Au-delà des paysages somptueux et des étapes obligées (le tournage s’est fait sur place et quasiment en temps réel [2], le rythme est bien celui d’une marche au long cours, avec ses enthousiasmes et ses lassitudes, ses contrariétés et ses espérances, ses secrets et ses dévoilements. De la promiscuité des hébergements à la fraternité de ceux qu’un même effort anime, toute la palette des instants de pèlerinage se donne ici à voir, entraînant le spectateur, d’incidents concrets en plaisirs tout simples, dans le sillage des quatre personnages principaux.
Fortement typés, ceux-ci sont comme le symbole de notre humanité occidentale, à la fois repue et insatisfaite, sans culture et fascinée par les traditions, sans croyance et en quête d’une Présence. Blessés et isolés chacun à sa manière, tous aspirent à une fraternité qui fasse fi des faux semblants, dans un cadre dont la simplicité même rend dérisoires les masques et les paroles creuses, permettant à la vérité d’émerger de façon parfois rude, souvent avec humour. Rien d’explicitement chrétien dans le propos : si le décor regorge d’églises et de croix (et pour cause !), seuls quelques témoins [3] évoquent directement la foi catholique [4]. Les convictions des personnages sont aussi floues et hésitantes que celles de la plupart de nos contemporains. Celles du réalisateur aussi, sans doute : le fait de faire se terminer la route « au-delà » de Santiago, face à la mer majestueuse, exprime assez le désir d’un terme « plus universel » que celui d’une basilique. Mais la diversité des approches est aussi la marque que la transcendance est présente au long du chemin : à chacun d’aller plus loin et, une fois la route terminée, de poursuivre son parcours. Ici, l’histoire nous laisse un peu sur notre faim : le chemin achevé, les héros se dispersent sans rester en contact [5], disparaissent sans que nous les voyions retourner chez eux. À l’issue de tant de rencontres entre personnes, le point de vue adopté reste impersonnel : chaque personnage s’efface, tout au plus demeure l’exhortation au voyage et l’attrait des autres cultures. Malgré ces quelques réserves, il faut se réjouir que de telles images fassent parcourir de façon si simple un Chemin à la fois exigeant et gratifiant : souhaitons que cet hymne à la marche puisse aussi provoquer de nombreux questionnements.
[1] Fils unique joué par le réalisateur Emilio Estevez… lui-même fils de l’acteur principal, Martin Sheen !
[2] Martin Sheen a d’ailleurs réellement fait le chemin avec son petit-fils, qui s’est ensuite établi en Espagne.
[3] Un capitaine de gendarmerie, un prêtre…
[4] Le fait que le héros disperse les cendres de son fils au long du chemin est opposé aux usages de l’Église.
[5] Contrairement à la réalité !