« Un chrétien est plus un prophète qu’un militant »

Paris Notre-Dame du 24 octobre 2019

Mardi 15 octobre, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi relatif à la bioéthique. Dans ce contexte, comment garder espoir en l’homme ? Éclairage du philosophe Martin Steffens qui a co-écrit "Et si c’était la fin d’un monde... Enquête et entretien sur la loi de bioéthique 2020" (éd. Bayard).

Martin Steffens
© Philippe Courqueux

Paris Notre-Dame – Avons-nous le droit de perdre l’espérance ? Cette question, vous la posez, avec Loup Besmond de Senneville, en préambule de votre livre. Je vous la repose aujourd’hui, dans ce contexte.

Martin Steffens – L’espérance est une vertu. Elle s’exerce donc chez nous au moment où nous sommes sur le point de la perdre. Nous ne sommes pas courageux si nous n’avons pas d’abord peur. Cela signifie qu’il y a un combat. Un combat, ici, contre le désespoir. L’espérance alors est de se dire que, de la même façon que Jésus a bien voulu « tomber » dans une crèche, Dieu « tombera » dans cette plaie-là, dans cette société-là, dans cette réalité-là. Il nous faut chercher la vie dans les démarches de mort. Peut-être en s’inspirant de la posture du prêtre confesseur qui apporte la lumière de la miséricorde de Dieu et vit quelque chose de la Passion. En acceptant de souffrir de ce dont notre monde souffre.

P. N.-D. – Vous dites aussi « consentir ». C’est une ligne de crête à tenir. Comment le faire sans tomber dans la passivité totale ?

M. S. – Peut-être justement en n’ayant pas peur de ce moment tétanique, où l’on reste interdit. C’est l’expérience de la rencontre de l’autre. Mettre Dieu, quelqu’un d’autre, le monde, dans sa vie, est toujours un moment où l’on se met à balbutier. Mais, à chaque fois, ce sont des moments où Dieu advient. Si j’ai envie de me battre pour défendre l’interdiction des embryons chimères humains-animaux, c’est presque en tant que païen que je le fais. Pour le jeu de mot, c’est en tant que « gentil » que j’ai envie d’être méchant. C’est notre dimension d’être raisonnable qui nous fait battre le pavé. Le Christ nous demande autre chose : fleurir là où nous sommes tombés. Dire est très important. Mais, comme le disait Simone Weil, le vrai point de levier pour soulever la Terre n’est pas sur Terre. C’est le Christ. Notre monde est en train de se refermer sur l’homme. L’homme n’entend pas Dieu. Il crée actuellement un monde à la mesure de l’homme. Mais si nous utilisons uniquement des moyens politiques, nous passons à côté de quelque chose. Un chrétien est plus un prophète qu’un militant. Le prophète est celui qui dit quelque chose qui est impossible à entendre et puis se tait. Il sait que ce n’est pas parce qu’on ne l’entend pas, que la vérité n’existe pas. Il laisse la parole agir. Le fanatique, lui, est celui qui ne croit pas assez à son message et qui va vouloir l’imposer coûte que coûte. Ma peur aujourd’hui est que l’Église s’enfonce dans des combats idéologiques alors qu’elle est là pour faire comme Jésus, c’est-à-dire être présente. Dans l’idéologie, on diabolise ou on idéalise. Dans les deux cas, ce sont des idées. Aller à la rencontre, c’est perdre ces idées.

P. N.-D. – Quel message ce temps nous envoie-t-il, à nous, chrétiens ?

M. S. – À chaque fois que l’homme a voulu être une solution pour l’homme, il a inventé l’enfer. Il faut avoir conscience que nous sommes entrés dans le temps de la fin. Jésus s’incarne parce que c’est la fin de ce monde. L’Église annonce une catastrophe. Dans ce temps, il y a encore des choses qui naissent. Et elles naissent uniquement par surcroît. Il faut donc les bénir. Mésaimer le monde parce qu’il fabrique son propre enfer, c’est n’avoir rien compris. Au contraire, il faut se lier de charité avec lui parce que, malgré lui, le Christ vient sauver l’humanité. Je crois vraiment qu’à chaque jour suffit sa peine. Il ne m’est pas demandé de sauver la société française tous les jours. Le plus souvent, il m’est demandé d’être présent, juste présent, à mon enfant qui a une gastro, à ma femme, à mon voisin, mon interlocuteur…

Propos recueillis par Isabelle Demangeat@LaZaab

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