Une bataille après l’autre (One Battle After Another)
Paul Thomas Anderson
Paul Thomas Anderson, 2025. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Enfin une action capable de tenir en haleine durant près de trois heures, comme on n’en avait pas vue depuis longtemps ? Enfin du cinéma à gros budget qui sache rire de lui-même en évitant de nous asséner des thèses angoissantes ? Certains vont jusqu’à parler du film de l’année.
Sa trame est à la fois fantaisiste et bourrée de clins d’œil, aussi bien cinématographiques que politiques. Bob Ferguson, mâle blanc quinquagénaire paranoïaque et toxicomane, élève seul, loin des grandes villes, sa fille Willa. Seize ans plus tôt, Bob s’appelait “Ghetto Pat” et partageait la vie de “Perfidia Beverly Hills”, magnétique jeune noire révolutionnaire. Charlene était née presque par surprise, provoquant chez Perfidia une radicalisation la conduisant à tuer, être arrêtée… et disparaître. Depuis, cachant Charlene devenue Willa, Bob se terre et pleure. Mais soudain son refuge se désintègre, livré à des démons anciens et nouveaux : suprémacistes blancs, militaires prédateurs, chicanos clandestins, religieuses contestataires et prof de karaté meneur de clan. La vie ne vaut pas cher et les coups de théâtre ne manqueront pas.
Certes, l’œuvre réunit beaucoup d’atouts : rythme endiablé, maîtrise technique [1], mise en scène virtuose et surtout d’excellents acteurs, stars (Leonardo di Caprio, Sean Penn, Benicio del Toro...) ou non, qui ne boudent pas leur plaisir. Tout ceci peut garantir un succès critique, pas forcément prendre aux tripes le spectateur [2].
D’abord à cause d’un excès de clichés, que leur présentation sur un mode de connivence ne suffit pas à justifier. Où l’on voit un père biologique monstrueux comparé au père adoptif, le salut dans la mixité, les seuls hommes vraiment solidaires parlant espagnol, la supérieure des religieuses altruistes noire … pourquoi pas ? Mais une telle accumulation forme un système aussi prévisible qu’artificiel.
Surtout, les personnages sont réduits à des stéréotypes. Le réalisateur ne cherche jamais à les aimer, mais les juge selon des prismes divers et variés. Et ainsi, peut-être inconsciemment, il ne procède pas autrement que les violents qu’il nous montre : sans nous laisser respirer, sans nous laisser réfléchir, sans laisser place à l’ambiguïté, jouissant simplement d’une tension qui va croissant [3].
Dans cette dénonciation moqueuse de réalités prétendument complotistes, seul l’argent est passé sous silence, partout présent et jamais décrit. Trois heures d’écran voudraient une autre profondeur. Que retenir alors d’un tel théâtre d’ombres, sinon les derniers feux d’un empire en déclin ?
Denis DUPONT-FAUVILLE
19 octobre 2025
[1] Malgré un abus de caméra à l’épaule et une musique parfois inutilement démonstrative.
[2] Symptomatique à cet égard le contraste entre les critiques presse et les critiques spectateurs sur divers sites internet.
[3] Même si des victimes sacrificielles (une femme et un homme, pas de jaloux) sont évoquées en passant, à la fin c’est la force qui gagne.