Visite de Sa Sainteté Mar Awa Royel III patriarche de l’Église assyrienne de l’Orient

Le jeudi 3 novembre 2022, le patriarche Mar Awa Royel, nouvellement élu par le synode de son Église est passé à Paris à l’invitation de Mgr Pascal Gollnisch, président de l’Œuvre d’Orient, accompagné de l’évêque assyrien pour l’Europe occidentale siégeant à Londres, Mar Auraham Youkanis.

Le patriarche, issu de la diaspora nord-américaine, est en visite pastorale dans les communautés d’Europe, il réside habituellement à Erbil en Irak où les différentes communautés chrétiennes tentent de se reconstruire après le règne de Daech qui fait encore sentir ses conséquences aujourd’hui. L’Église assyrienne de l’Orient est issue de la tradition théologique d’Antioche qui s’est retrouvée rejetée de la communion ecclésiale après le concile d’Ephèse en 431 et dont la hiérarchie s’est reconstituée en dehors de l’empire romain, d’où son appellation, d’Église Assyrienne de l’Orient.

Unité de foi et pluralité des Églises

Dans l’Église ancienne du IIIe au Ve siècle, celle des Pères de l’Église, le centre politique de la jeune chrétienté s’est déplacé de Rome à Constantinople, mais les plus anciens sièges apostoliques d’Alexandrie et d’Antioche sont les foyers culturels actifs où s’élabore la Tradition de l’Église qui se traduit notamment dans les symboles de foi des conciles œcuméniques. Après les deux premiers conciles – celui de Nicée (325) et celui de Constantinople (381) – l’unité dans la foi s’était faite en réponse au prêtre Arius en définissant la consubstantialité du Fils avec le Père et l’égale dignité de l’Esprit Saint avec les deux autres Personnes de la Trinité. C’est la prestigieuse école d’Alexandrie qui fut à la pointe du combat pour l’orthodoxie de la foi avec ses évêques théologiens saint Athanase (328-373), défenseur de la définition de Nicée, et saint Cyrille (412-444), auteur de la formule de théologie trinitaire affirmant « l’unique nature du Dieu Verbe incarné ». La distinction théologique entre Personne et nature n’étant pas encore pleinement mûre, la formule antiarienne de Cyrille va entraîner des malentendus.

La théologie antiochienne marginalisée

L’école d’Antioche brille par la réputation de son maître Théodore de Mopsueste (350-428). Celui-ci met en avant la distinction des natures dans le Christ pour affirmer que « rien de ne peut être sauvé dans l’homme qui ne soit pleinement assumé par le Christ » ; il faut que le Verbe de Dieu soit en tout semblable à nous à l’exception du péché. Le patriarche de Constantinople Nestorius (428-431) est originaire d’Antioche et dans la logique de la distinction des natures il va s’opposer à l’appellation mariale « Mère de Dieu ». Celle-ci est pour lui exagérée et dangereuse : Marie est mère du Christ. Dieu est sans cause et on ne peut selon lui attribuer au Christ les propriétés de la nature divine, celles du Verbe incréé, à la nature humaine.

De la querelle théologique au schisme

Le concile œcuménique d’Éphèse est convoqué par l’empereur Théodose II à l’initiative de saint Cyrille d’Alexandrie et aboutit à la déposition, injuste dans les formes, du patriarche Nestorius. Mais positivement ce concile permet de consacrer la formule de Marie Mère de Dieu. Ce titre met pleinement en lumière, l’union sans confusion des deux natures humaine et divine dans la Personne de Jésus. Les propriétés divines et humaines pouvant dès lors être attribuées mutuellement ; on peut dire « Dieu a souffert » où « Marie est Mère de Dieu ». La résolution théologique de la controverse ne trouvera une solution définitive qu’au concile de Chalcédoine en 451. Cependant, elle ne put aboutir à une paix durable dans l’Église. Trois courants irréconciliables se constituèrent en Église séparées. La théologie de Chalcédoine fut celle de l’empire dans ses deux parties occidentale et orientale. Mais l’Orient lui-même fut partagé. Outre les partisans de l’orthodoxie chalcédonienne, on trouve les tenants de la théologie de saint Cyrille que l’on appellera monophysites, présents majoritairement en Égypte et en Syrie et ceux de la théologie d’Antioche, présents dans la province de Syrie de l’Empire romain et dans la partie syrienne des provinces de l’Empire parthe puis sassanide au début du IIe siècle de notre ère.

Naissance de l’Église de Perse

L’Empire romain comme tous les empires est confronté à des forces centrifuges qui sont d’ordre politique, économique et religieuse. Dans le monde syriaque ceux qui contestent les décisions du concile d’Éphèse vont se détacher progressivement de la communion ecclésiale. L’Église syriaque rayonne depuis le siège épiscopal de Séleucie-Ctésiphon (deux villes situées de part et d’autre du fleuve Tigre au sud de Bagdad. C’est dans cette région que les chrétiens syriaques sont regroupés en dehors de l’Empire romain). Il existe aussi une école syriaque de théologie à Édesse dans l’Empire romain, l’actuelle Urfa en Turquie, qui va se diviser entre les partisans de la théologie alexandrine et ceux de la théologie antiochienne. Cette dernière est représentée par lbas qui va s’exiler avec ses partisans à Nisibe sous contrôle perse en 457. C’est ainsi qu’en 486 un synode se tient à Séleucie qui marque la rupture avec le reste de l’Église. L’Église perse est persécutée par le pouvoir sassanide mais bénéficie aussi de périodes plus calmes et peut ainsi se développer et porter un élan missionnaire jusqu’en Inde.

Entre le Tigre et l’Euphrate

L’empire perse sassanide rival de l’empire byzantin avant l’époque islamique, a succédé sur une partie des territoires qu’il contrôle, aux empires hellénistiques des séleucides de Syrie-Palestine et des lagides d’Égypte, il couvre entre autre les régions de Babylonie, Médie, région Parthe, Bactriane et Arménie sur la Mer noire.Ces territoires sont aussi ceux de l’empire assyrien disparu (VIIIe-VIIe siècle avant notre ère), tous ces noms proviennent des grands empires successifs et prestigieux qui se succèdent dans la région. Cyrus, fondateur de l’empire perse de la dynastie des achéménides a supplanté les Mèdes, c’est lui qui au VIe siècle avant notre ère, permet le retour des israélites exilés à Babylone. Tous ces noms qualifient de manière variable la dénomination de ces Églises syriaques et ajoutent des risques de confusions. Les appellations syrienne et assyrienne ou encore babylonienne, signifient autant l’origine géographique que la culture, il y a une province romaine de Syrie disputée avec les empires rivaux de l’est successivement, les Perses de la dynastie sassanides de religion mazdéenne auquel succède l’empire islamique.

Dénomination et situation : oriental et orthodoxe

Du point de vu occidental, l’Orient distingue l’origine géographique et culturelle. Mais l’histoire nous invite à distinguer les Églises byzantines orthodoxes de culture hellénistique et slaves des Anciennes Églises orientales. L’adjectif byzantin ne peut plus renvoyer à une réalité actuelle puisqu’il n’y plus d’empire byzantin, dans les débuts de l’histoire de l’Église on parlait d’Église latine et d’Église grecque. Hier comme aujourd’hui le caractère hellénistique se conjugue avec d’autres caractères culturels spécifiques, syriaque, slave… Les différents théologiques ont amené l’Église grecque à se définir comme orthodoxe contre l’Église romaine mais aussi contre d’autres Églises orientales.

Les anciennes Églises orientales

Ce sont des communautés chrétiennes qui ont été en dehors des polémiques théologiques de l’empire comme par exemple l’Église apostolique arménienne, où qui ont été marginalisée suite aux controverses théologiques comme c’est le cas des Églises syriaques. Aujourd’hui l’Église assyrienne de l’Orient est répertoriée parmi les Anciennes Églises d’Orient. Cette appellation est celle de l’historiographie occidentale actuelle, reprise dans la classification du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens. Il y a donc deux branches séparées entre elles d’Églises syriaques, l’une ne reconnaissant que les conciles de Nicée et de Constantinople et qui se sépare à la suite du concile d’Ephèse, l’Église assyrienne de l’Orient. L’Église syro-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, ainsi que l’Église copte, qui se désigne aujourd’hui comme l’Église apostolique copte orthodoxe d’Alexandrie, siège de la prédication de Saint Marc. ces deux dernières se séparent de la communion ecclésiale avec Constantinople à partir du concile de Chalcédoine. Ancienne signifie que ces Églises ne reconnaissent que deux ou trois des premiers conciles œcuméniques, on parle aussi d’Églises préchalcédoniennes.

Syriaques nestoriens

Si la culture dominante en méditerranée, est grecque, on parle de culture hellénistique, l’Église d’Antioche est aussi sémitique, sa langue liturgique est le syriaque qui dérive de l’araméen. La bible syriaque est la Peshitta qui regroupe les traductions parmi les plus anciennes de l’Ancien testament et pour le nouveau de nombreuses variantes qui éclairent nos traductions modernes. C’est sur le fond commun de cette culture que va se produire la division. Une partie de l’Église syriaque refuse la condamnation de Nestorius et de Théodore de Mopsueste. Ce dernier devient la référence de l’Église que l’on qualifie désormais de l’extérieur de Nestorienne. La question étant aujourd’hui de savoir si « Nestorius a-t-il jamais été nestorien ? »

Syriaques monophysite

La défense de l’orthodoxie du concile de Nicée par le parti adverse va pousser une partie de l’Église syriaque et de l’Église d’Alexandrie à refuser la définition de foi du concile de Chalcédoine qui selon elles revient sur la définition de Nicée et sur la condamnation de Nestorius. Avec la rupture de communion ces Églises sont dès lors qualifiées de monophysites. Les syriaques « monophysites » prendront aussi le nom de jacobite du nom de l’évêque consacré en 543 Jacques Baradée qui constitua de manière clandestine une hiérarchie.

Emploi des qualificatifs orthodoxe et catholique

L’Église catholique a tenté de renouer la communion avec les Églises orthodoxes byzantines, l’initiative la plus connue fut celle du concile de Lyon en 1274, il s’agissait du point de vue catholique que les « grecs » reviennent à la communion en professant le credo avec le filioque. L’union fit long feu… l’occasion de faire l’union se représenta au concile de Florence en 1439. L’Église catholique était dans les mêmes dispositions initiales que pour le concile de Lyon, mais l’accord se fit sur le fondement d’un véritable dialogue avec étude de l’Écriture des Pères et des conciles anciens. Sur ces fondements la question du filioque fut surmontée, la dignité des patriarcats orientaux et leur capacité à se gouverner par eux même fut reconnue tout comme le rôle de la primauté pontificale, cette union ne survécut pas à la chute de Constantinople. dans le contexte de polémique les grecs se qualifiaient d’orthodoxes par opposition aux latins hérétiques depuis le schisme de 1054, même si de part et d’autre la qualité d’Église fut toujours reconnue. Il y a donc une utilisation théologique des termes catholique et orthodoxe, et en ce dernier sens toutes les Églises prétendent l’être. Et il y a l’usage confessionnel de ces mêmes termes qui servent alors à différentier les Églises.

Églises catholiques orientales et Églises orthodoxes orientales

Florence fut le point de départ d’une série d’unions d’autres Églises orientales avec Rome, ce qui donna naissance aux Églises catholiques orientales. Concernant les deux branches syriaques, une Église chaldéenne, se détacha de l’Église assyrienne de l’Orient « nestorienne » au XVIe siècle. Au XVIIIe siècle fut fondée un patriarcat syrien catholique par détachement du patriarcat syrien orthodoxe d’Antioche. C’est donc à partir de ce moment que les anciennes Églises orientales se définirent comme orthodoxes, non qu’elles soient en communion avec les Églises orthodoxes byzantines mais pour se différencier des Églises catholiques orientales. Rien ne les différencient sur la foi, hormis la reconnaissance de la primauté romaine, les épithètes catholique et orthodoxe qualifient la encore la différence confessionnelle.

Unité dans la foi et expressions différenciées de cette même foi

Dans le cadre des dialogues interconfessionnels, l’Église catholique a voulu lever les malentendus historiques et les condamnations injustes qui ont blessé la communion catholique des premiers siècles de l’Église. Ainsi le dialogue théologique a-t-il permis d’aboutir à une communauté de vue et à un rapprochement :

« Sa Sainteté Jean-Paul II, Evêque de Rome et Pape de l’Église catholique, et Sa Sainteté Mar Dinkha IV, Catholicos-Patriarche de l’Église assyrienne de l’Orient, rendent grâce à Dieu qui leur a inspiré cette nouvelle rencontre fraternelle. Ils considèrent celle-ci comme une étape fondamentale sur la voie de la pleine communion à restaurer entre leurs deux Églises. En effet, ils peuvent désormais proclamer ensemble devant le monde leur foi commune dans le mystère de l’Incarnation ».

Le cœur doctrinal de cette déclaration permet d’établir l’identité de foi en reprenant les formulations consacrées par les conciles :

« Le Christ n’est donc pas un « homme ordinaire » que Dieu aurait adopté pour y résider et pour l’inspirer comme chez les justes et les prophètes. Mais le même Verbe de Dieu, engendré par le Père avant tous les siècles, sans commencement selon sa divinité, dans les derniers temps est né d’une mère, sans père, selon son humanité. L’humanité à laquelle la bienheureuse Vierge Marie a donné naissance a été depuis toujours celle du Fils de Dieu lui-même. C’est la raison pour laquelle l’Église assyrienne de l’Orient prie la Vierge Marie en tant que « Mère du Christ notre Dieu et Sauveur ». À la lumière de cette même foi, la tradition catholique s’adresse à la Vierge Marie comme « Mère de Dieu » et également comme « Mère du Christ ». Les uns et les autres nous reconnaissons la légitimité et l’exactitude de ces expressions de la même foi et nous respectons la préférence de chaque Église dans sa vie liturgique et sa piété ».

Cette déclaration n’a pas encore abouti à une pleine communion avec l’Église catholique, les modalités d’une telle réunion doivent se penser dans le contexte plus général du dialogue avec les autres Églises orientales. Comme toutes les Églises du Proche-Orient, l’Église assyrienne de l’Orient a eu ses martyrs et aujourd’hui une majorité des fidèles sont en diaspora, à commencer par l’actuel patriarche né à Chicago. De nombreux défis sont devant elle : garder la foi dans les communautés installées à l’étranger, affermir et redéployer les communautés de Syrie et d’Irak dans un contexte difficile, poursuivre le dialogue avec l’Église catholique, avec l’Église chaldéenne, le commencer avec les autres Églises orthodoxes. Pour nous tous l’enjeu du dialogue est la plénitude de la catholicité, qui nécessite que nous puissions entendre les accents particuliers de l’Église assyrienne de l’Orient.

Père Jérôme Bascoul

© Joseph Alichoran

Pour aller plus loin

  • Le Bulletin de L’Œuvre d’Orient. trimestriel
  • La revue Perspectives et réflexions éditée par L’Œuvre d’Orient.
  • Christine CHAILLOT, Vie et spiritualité des Églises orthodoxes orientales des traditions syriaque, arménienne, copte et éthiopienne, Cerf, 2011.
  • Christine CHAILLOT, L’Église assyrienne de l’Orient : histoire bimillénaire et géographie mondiale, L’Harmattan, 2020.
  • Henri de SAINT-BON, Le christianisme oriental dans tous ses états, Livre ouvert, 2014.
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