Vendredi 14 mai 2010 - Enseignement du Père François Potez
A Capriglio, le vendredi 14 mai 2010
Ce matin, je vais vous proposer de renouveler les promesses de votre mariage. Oui, je sais bien : beaucoup d’entre vous ne sont pas mariés ; ou sont des personnes seules. Beaucoup d’entre vous, vous souffrez de cette solitude. À vrai dire, j’ai beaucoup prié avant d’oser vous proposer ce programme pour ce matin. Le renouvellement des promesses de mariage a-t-il un sens pour tous ceux qui souffrent de cette solitude ?
Jean-Paul II disait souvent aux malades et aux personnes qui souffrent : « L’Église a besoin de vos souffrances ». Cela m’a toujours beaucoup impressionné. Et les malades ne se révoltaient pas quand il leur disait cela, au contraire : ils sentaient là quelqu’un qui allait donner un sens à ce qui n’en a pas. Benoît XVI dit des choses quelquefois presque encore plus dures : « rien ne peut grandir, dit-il, sans la souffrance ». Révolution fondamentale ! Ce qui est révolutionnaire dans notre foi, dans notre religion, c’est que le mal qui est absurde, le mal qui est un scandale absolu, la souffrance qui est un scandale absolu, prend du sens par Lui, avec Lui en Lui. Le mal et la souffrance, c’est une sorte de chape de plomb qui nous empêche d’atteindre Dieu, qui nous écrase sur nous-mêmes, qui nous colle à la terre. Et le génie de Dieu, le génie de la l’amour de Dieu c’est d’être venu de ce côté-ci de cette chape de plomb pour la traverser… La mort a été vaincue par l’amour : Il a été semer l’amour au cœur de la mort. La mort est vaincue, la mort est fichue, la mort est feintée. Le diable ne s’y retrouve plus, le diable qui croyait avoir étouffé l’homme et qui l’avait empêché d’aller vers Dieu, il est feinté, parce qu’il est touché précisément au cœur. Au lieu de rester le mur sur lequel on se cogne, la mort est devenue porte d’entrée vers la plénitude. De sorte que quand on baptise un enfant maintenant, ou quand on bénit le mariage des chrétiens : « vous voulez vivre ? eh bien il faut mourir ! » Il n’y a pas de chemin vers la vie en dehors de ce chemin de la croix. Pardon de dire des choses un peu brutales, mais c’est fabuleux ! C’est absolument fantastique ! Ça, c’est révolutionnaire ! On se demande parfois « qu’y a-t-il de révolutionnaire dans notre religion ? En quoi notre religion diffère-t-elle des autres ? » Eh bien en ceci que le mal et la souffrance, qui par eux-mêmes sont absurdes et scandaleux, prennent un sens par Lui, avec Lui, en Lui ; parce que c’est désormais la souffrance permet d’exprimer et de donner l’amour. Un amour qui est Vie !
L’amour, c’est la vie. Avec la souffrance, Dieu aurait pu dire « Allez, on efface tout et on recommence ! ». Mais si c’est ça, Dieu n’est plus Dieu ! Dieu a dit au contraire : « On va donner un sens à cette mort que je n’ai pas voulue, mais qui est entrée dans le monde par la jalousie du diable, comme dit l’Écriture, par le péché des hommes. On va donner un sens à cette mort ; mais je ne vais pas la supprimer, cette mort ». Saint François d’Assise appelait la mort – je m’appelle François, donc c’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup ému, bouleversé –, St François d’Assise appelait la mort « Sœur, notre mort corporelle ». Il dit « Sœur, notre mort corporelle », parce que la mort devient pour nous une alliée, elle est cette porte étroite qui nous oblige à baisser la tête et c’est en baissant la tête que je retrouve la présence de Dieu. C’est en baissant la tête, c’est dans l’humilité que je redécouvre la bonté, la grandeur de Dieu. « La confession des péchés est contemporaine, disait toujours Jean-Paul II, de la découverte de l’amour et de la grandeur de Dieu ». La découverte de l’amour et de la grandeur de Dieu est contemporaine de la prise de conscience du péché.
Pourquoi est-ce que je vous dis tout cela avant de renouveler les promesses du mariage ? Parce que le sens de ma vie c’est le face à face avec Dieu. Ma vie n’a pas de sens en dehors du face à face avec Dieu. « Je cherche le visage, le visage du Seigneur ; quand le verrai-je face à face ? « Un jour, j’entrerai enfin, quand sœur notre mort corporelle m’aura délivré. Un jour, enfin ! Ah... je Le verrai face à face. Et éternellement je serai fixé dans ce face à face, dans le jaillissement éternel de vie. Mais bon sang, on n’a pas encore assez le goût du ciel, on n’a pas encore assez le désir de cette vision face à face. Ma vie entière est une recherche assoiffée, désespérée parfois, de ce face à face. « Quand Te verrai-je face à face ? » « Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme Te cherche, toi mon Dieu », etc., etc. On peut vous en servir des kilos, des phrases comme celles-là, dans la Bible.
Dieu a eu le génie de créer l’homme : non pas homme tout seul, mais homme et femme. Il crée l’homme à Son image, c’est-à-dire que l’homme est capable d’entrer dans ce face à face avec Lui. Il me crée, moi, vivant, avec l’intelligence du cœur, qui me permet d’entrer dans un face à face d’amour. Aucun animal n’est capable de face à face d’amour. Tous les animaux sont mâles et femelles, mais aucun ne peut entrer dans le face à face d’amour ; aucun ne possède l’intelligence du cœur. Mais Dieu crée l’homme intelligent, capable d’entrer dans le face à face ; et il les crée « homme et femme » pour que, au-dedans même leur nature humaine, ils puissent découvrir ce face à face. C’est fantastique ! Jean Paul II disait « l’amour de l’homme et de la femme, l’amour de l’époux et de l’épouse, est le sacrement primordial de la création. Cette expression est fantastique : cela veut dire que l’homme et la femme dans leur amour, dans l’expression de leur amour, c’est-à-dire… jusque dans les gestes corporels de leur amour, c’est-à-dire dans l’union sexuelle, dans l’union sexuelle aimante, d’un don total de l’un et de l’autre, sont icône de la communion divine qui existe au cœur même de la Trinité. L’union de l’époux et de l’épouse est désormais la manifestation dans le monde du mystère même de Dieu. En voyant des époux s’aimer, on devrait dire « Ah, ça y est, je comprends, je comprends qui est Dieu : Dieu est Amour ».
Le péché est entré là, le péché a tout fichu en l’air ! Le péché a tout renversé, le péché a fait des murs entre nous, le péché a fait que la mort est entrée dans le monde. Et Dieu est venu de ce côté-ci de la mort pour rétablir au-dedans de notre humanité cette vision, cette manifestation de l’Amour. Lui, Dieu incarné, Christ, il sera l’époux de l’humanité, c’est-à-dire qu’il sera l’époux de chacun et chacune d’entre nous. Lui, il est mon Époux. Et, comme dit Jean-Paul II, le sacrement nuptial, le sacrement des noces de l’Agneau, c’est ce sacrement qui va révéler dans la re-création, c’est-à-dire au-delà du péché et de la mort, le mystère même de l’amour de Dieu. Sacrement primordial de la re-création, dans l’union du Christ avec chacun d’entre nous, avec l’humanité tout entière.
Unique Époux, qui donne sa vie pour son Épouse. Chacun d’entre nous, nous avons plus de prix à ses yeux que sa propre vie. Lui, Dieu, créateur du ciel et de la terre, me dit : « Toi tu vaux plus que moi. Je dépose ma vie et je te la donne ». « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Et c’est dans ce sacrement de la re-création, dans ce sacrement des noces de l’Agneau, que les époux pourront vivre de nouveau le mystère de la manifestation de l’amour divin. C’est le sacrement du mariage, dans l’Église que Dieu fonde par Jésus-Christ : quel mystère ! De sorte que les époux, qui vivaient une vocation naturelle – puisque l’homme et la femme sont créés ensemble pour manifester cet amour –, la vivent désormais d’une façon surnaturelle. En faisant un raccourci, on peut dire qu’à cause du péché, ce n’est plus naturel, c’est désormais surnaturel. L’amour, devenu quasi – je dis bien quasi – impossible à notre pauvre nature blessée, redevient possible par Lui, avec Lui et en Lui.
Les époux vont donc manifester, par la communion de leur amour, que Dieu est amour. Mais la communion de leur amour, ils la vivront désormais en Lui, par Lui, avec Lui. Si les époux qui s’aiment, si les époux qui s’embrassent pouvaient découvrir la manière de s’aimer en Lui, la manière de s’aimer en Sa présence ; ces gestes sont des gestes sacrés ; le don du corps est sacré, car il est désormais à l’image de l’Eucharistie. Les époux, dans le mariage chrétien, vont révéler au monde ce mystère de l’amour divin. Alors toutes les personnes seules, celles qui ont un époux ou une épouse déjà partie vers le ciel ; ou celles qui n’ont pas pu, qui n’ont pas voulu – pour une raison ou une autre –, les personnes qui n’ont pas connu cet amour nuptial, cet amour conjugal, cet amour sponsal : chacun à sa manière va révéler tout de même quelque chose du mystère de Dieu.
Car les personnes seules sont souvent tentées de crier leur souffrance ; sont souvent tentées de dire « mais pourquoi ? pourquoi moi ? » Leur pourquoi est le même pour les personnes blessées par une rupture, les personnes malades, les personnes handicapées. Mais il n’y a pas de réponse à la question pourquoi. Simplement, il y a un « qu’est-ce que veut dire cette solitude ? » La solitude est un mystère ; mais un mystère, ça signifie quelque chose. Les célibataires, par exemple, deviennent très nombreux dans notre monde. Eh bien, les célibataires, ça n’est pas un problème, c’est un mystère ! Oui, socialement parlant, cette solitude est un problème, mais c’est surtout un mystère, qui révèle en creux – par la souffrance même – la nécessité du face à face. Pourquoi les célibataires, pourquoi les personnes seules souffrent-elles tellement ? Parce qu’il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Et cette souffrance révèle que Dieu ne veut pas la solitude. Cette solitude et cette souffrance révèlent qu’il y a un appel à autre chose ; il y a un appel fondamental à ce face à face.
Les prêtres, eux, sont donnés au monde par l’Église pour être, au cœur du monde, présence de ce mystère fondamental de la re-création, de ce sacrement de l’amour, sacrement des noces de l’agneau, sacrement primordial de la re-création. Les prêtres, à l’image du Christ, et comme in persona Christi (expression latine intraduisible en français), sont là pour montrer au monde que le face à face fondamental dans lequel nous allons tous entrer un jour, auquel nous sommes tous appelés, c’est le face à face avec Dieu. Comme disait Sainte Thérèse, la grande Ste Thérèse d’Avila : « Solo Dios basta » (Dieu seul suffit). Les prêtres, les consacrés sont une manifestation de ce que cela suffit.
Je ne sais pas si vous avez pu visiter au Valdocco, hier, le bureau et la chambre de Don Bosco ; et ce lieu extraordinaire où il y a les portraits de Don Bosco, depuis sa jeunesse jusqu’à sa vieillesse : ces portraits sont extraordinaires, parce qu’on voit peu à peu cette figure de prêtre transformée du dedans par la bonté de Dieu. J’étais très frappé, d’ailleurs : il y a du Jean-Paul II dans ce visage. Enlevez la chevelure, gardez les yeux et la bouche… il y a tant de bonté humaine qui transparaît dans ce visage ! La bonté de Dieu y est tellement manifestée. Voilà le prêtre, voilà à quoi ça sert un prêtre. Avant tout le reste, voilà à quoi ça sert un prêtre : manifester la bonté de Dieu, d’un Dieu qui est donné, tout à tous. Voilà pourquoi les prêtres ne se marient pas : ils ont tellement plus ! Ils ont une mission tellement plus grande ! Une mission qui ne dépend pas d’eux, cette mission est totalement surnaturelle, c’est une grâce surnaturelle. Dans la figure de la bonté de Dieu manifestée par Don Bosco que nous allons retrouver là bas, au Colle Don Bosco.
Alors après avoir beaucoup réfléchi, beaucoup prié, je me suis dit qu’après avoir vu le Saint Suaire, icône de la souffrance victorieuse par l’amour, et après avoir vu cette figure formidable de Don Bosco, les personnes seules et les personnes qui souffrent ont toute leur place ! On ne va pas faire l’impasse sur la solitude et la souffrance des personnes seules – parce que c’est trop facile, vous comprenez : on s’occupe des gens mariés, on s’occupe des prêtres, on s’occupe des consacrés, et puis on laisse toujours de côté les célibataires et les gens qui souffrent de solitude : ils souffrent, tant pis pour eux, on ne sait pas quoi leur dire ! –. Mais ils ont au contraire leur place ici, dans l’Église. Et non seulement ils ont leur place, mais ils ont une place centrale. Ils ont la place de ceux qui souffrent. Il y en a qui ont choisi cette solitude par grâce de Jésus, mais la plupart des personnes seules souffrent de cette solitude ; elles souffrent, comme peuvent souffrir des personnes qui sont handicapées ou des personnes qui ont une infirmité : elles n’ont pas demandé à porter un handicap ou une infirmité ! Mais cette souffrance-même, qui est un scandale, qui est quelque chose qui choque le monde, devient par Lui, avec Lui, en Lui, dans la lumière du mariage manifesté au milieu du monde, devient sens de vie, devient appel à ce face à face.
C’est pourquoi aujourd’hui, ceux qui vont renouveler les promesses de leur mariage vont le faire, non seulement pour eux, mais en prenant conscience de la mission qu’ils portent au cœur de l’Église : leur amour, le monde en a besoin. Ça n’est pas seulement « je t’aime, je t’aime mon chéri !!! », ça c’est de l’égoïsme à deux : vous nous cassez les pieds, vous gênez tout le monde… c’est un amour qui éteint la lumière au lieu d’être un amour qui donne de la lumière. Au contraire, ceux qui s’aiment, s’ils s’aiment pour faire de la lumière dans le monde, alors bénis soient-ils ! Et il faut qu’on prie pour eux, il faut que toute l’Église prie pour eux, pour que l’amour soit fidèle, pour que l’amour soit beau, pour que l’amour soit sans cesse davantage manifestation de l’amour de Dieu.
Mais ceux qui vont renouveler leurs promesses de mariage aujourd’hui, vont le faire également en prenant conscience qu’ils portent dans leur amour toutes les personnes qui sont seules, quelle que soit la raison pour laquelle ils sont seuls : ceux qui sont veufs ou veuves, ceux qui ont vécu une rupture ou un échec, ceux qui sont seuls parce qu’ils sont célibataires. Quelle que soit la solitude, elle pèse – elle pèse jusqu’au-dedans du mariage, parfois. Et cette solitude ne peut prendre du sens que dans l’amour. Et tout cela va se faire sous le regard et dans la bénédiction des prêtres qui sont ici, parce que ce sont eux qui donnent un sens à tout cela, en même temps que leur vie n’aurait aucun sens si vous n’étiez pas là. Ces deux sacrements se répondent et s’appellent mutuellement et c’est cela l’Église. Qu’elle est belle notre Église ! Qu’elle est belle notre Église, quand elle prend conscience de sa mission au cœur du monde ! Je m’arrête là-dessus : Jésus est monté au Ciel, à la droite du Père, il est assis. Son visage a disparu du monde Et il nous laisse sa « photo »… C’est assez sympa quand même ! Il faut dire que notre siècle est dur, alors il nous laisse en réalité bien plus que sa photo : un signe tellement mystérieux de sa présence. C’est tellement extraordinaire ! Mais, au fond, la question fondamentale qui nous est posée par le monde, c’est de savoir si nous sommes, si nous serons aujourd’hui, visage de Dieu ? C’est pour cela d’ailleurs que le monde râle – et il a raison de râler – quand l’Église trahit le visage de Dieu ; quand les hommes d’Église, quand des chrétiens trahissent ce visage. C’est comme quand Judas trahit Jésus, c’est quelque chose d’effroyable. Mais Pierre aussi, après tout, a renié. Et Pierre est devenu ce qu’on sait ! Alors, si nous sommes parfois en train de trahir le Seigneur, nous sommes aussi ses disciples, et nous voulons l’aimer : « Seigneur, tu sais tout, c’est toi qui sais si je t’aime ».
Prenons conscience de ce que le monde attend de nous : la révélation de ce visage, la révélation du mystère de l’amour de Dieu. Prenons conscience de ce que nous faisons !
Je vous propose de vous lever et tous ensemble, nous allons d’abord prier l’Esprit-Saint de venir embraser nos cœurs. L’Église tout entière, entre l’Ascension et la Pentecôte, à l’école de la Vierge Marie, est dans l’attente de cette manifestation de l’Esprit. Supplions le Seigneur de nous faire vivre la vraie Pentecôte.
Père François Potez +