A propos de la 1e encyclique de Benoît XVI "Deus caritas est"
Le point de vue de Jean-Marie Fardeau, Secrétaire général du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD).
Le CCFD se sent profondément conforté lorsque Benoît XVI précise que "le devoir immédiat d’agir pour un ordre juste dans la société est le propre des fidèles laïcs" - Texte publié dans La croix du 14 février 2006.
Une encyclique pour éclairer notre action. La première encyclique de Benoît XVI, Deus caritas est ("Dieu est amour"), s’inscrit dans la longue tradition des textes fondamentaux de l’Église catholique. Après avoir donné un sens profond à l’amour, le pape consacre la seconde partie à l’action caritative, tout en montrant le caractère indissociable de ces deux dimensions de la vie chrétienne. Le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), dont les racines et l’histoire plongent dans plusieurs encycliques (Populorum progressio, Sollicitudo rei socialis, Centesimus annus), trouve dans ce nouveau texte du Magistère large matière à réflexion. Benoît XVI prend d’ailleurs le soin de placer son texte dans la continuité de ces autres grands textes (n. 27).
Trois points y retiennent plus particulièrement notre attention.
1. Le premier, c’est la volonté de ce pape, dès sa première encyclique, de consacrer la moitié de son texte à l’action caritative. Voilà une confirmation de l’importance que l’Église attache à cette forme d’engagement des chrétiens. Benoît XVI aurait pu s’exprimer sur d’autres sujets de société, mais il a choisi d’aborder la mise en pratique de l’amour du prochain par le biais de l’action caritative. C’est une source de satisfaction pour tous les chrétiens engagés depuis des années dans un patient travail de proximité pour vivre concrètement le message du Christ : "Aimez votre prochain comme vous-même." De plus, le pape rappelle, à deux reprises au moins dans son texte, que l’exercice de la charité "appartient à l’essence même de l’Église, au même titre que le service des sacrements et l’annonce de l’Évangile" (n. 22). Ce faisant, il explicite le sens de la charité, un terme que l’Église cherchait depuis plusieurs années à réhabiliter. Il en donne une vision large, bien au-delà de la conception « assistantialiste » dans laquelle des décennies d’action à court terme ont confiné la charité.
2. Le deuxième point concerne l’insistance de l’encyclique à rappeler que la responsabilité responsabilité première des politiques est de promouvoir et garantir la justice entre tous : "La norme fondamentale de l’État doit être la recherche de la justice", et "le but d’un ordre social juste consiste à garantir à chacun, dans le respect du principe de subsidiarité, sa part du bien commun" (n. 26). La distinction qu’il fait entre le rôle de l’Église et celui de l’État dans l’organisation de la justice rejoint la vision française de la laïcité.
Cependant, si l’Église ne peut "prendre en main la bataille politique", elle "ne peut ni ne doit rester à l’écart dans la lutte pour la justice" (n. 29). Le CCFD, organisation animée par des laïcs, se sent profondément conforté lorsque Benoît XVI précise, dans ce même paragraphe, que "le devoir immédiat d’agir pour un ordre juste dans la société est le propre des fidèles laïcs". Il s’agit là d’un objectif majeur pour un organisme catholique comme le CCFD, convaincu que la faim et les inégalités pourraient être combattues par l’instauration de structures d’organisation du monde plus justes, qui placeraient l’intérêt des plus pauvres au coeur des logiques de l’économie et de la politique.
3. Le troisième point, dans le prolongement du précédent – mais qui le précède dans le texte –, est l’attention portée par l’Église aux plus pauvres. Il répète, en s’appuyant sur de magnifiques passages des Actes des Apôtres qui rappellent leur sens du partage des biens matériels, qu’"à l’intérieur de la communauté des croyants, il ne doit pas exister une forme de pauvreté telle que soient refusés à certains les biens nécessaires à une vie digne". Pour exercer cette démarche de solidarité avec les plus pauvres, le pape redit la nécessité d’organiser la charité, que ce soit au niveau paroissial, diocésain, national ou international. Cette vision d’une démarche organisée, réfléchie, correspond à celle choisie par une organisation comme le CCFD, créé en 1961 au niveau national par des mouvements et services d’Église, et qui s’est progressivement développé au niveau diocésain et paroissial, parvenant ainsi à mobiliser régulièrement 15 000 bénévoles qui contribuent à la réalisation des objectifs de l’association.
L’encyclique Deus caritas est vient donc, par bien des aspects, enrichir la doctrine sociale de l’Église. Pour des associations catholiques comme la nôtre, la relation qui y est faite entre l’amour et la justice donne tout son sens à l’action des milliers de laïcs qui sont engagés pour que leur coeur voie où l’amour est nécessaire" (n. 31).
14 février 2006