La visitation d’Elisabeth par sa cousine Marie : La Vierge face au don de Dieu
Une méditation de la bienheureuse Elisabeth de la Trinité.
Si tu savais le don de Dieu, disait un jour le Christ à la Samaritaine (Jn 4,10). Mais quel est-il ce don de Dieu, si ce n’est lui-même ? Et, nous dit le disciple bien-aimé, il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu (Jn 1,11). Saint Jean Baptiste pourrait dire encore à bien des chrétiens cette parole de reproche : II y en a un au milieu de vous, en vous, que vous ne connaissez pas (Jn 1/26). Si tu savais le don de Dieu !
Il est une créature qui connut ce don de Dieu, une créature qui n’en perdit pas une parcelle, une créature qui fut si pure, si lumineuse, qu’elle semble être la Lumière elle-même ! Une créature dont la vie fut si simple, si perdue en Dieu que l’on ne peut presque rien en dire. C’est la Vierge fidèle, celle qui gardait toutes choses en son cœur (Lc 2,19.51). Elle se tenait si petite, si recueillie en face de Dieu dans le secret du temple, qu’elle attira les complaisances de la Trinité Sainte : Parce qu’il a regardé la bassesse de sa servante, désormais toutes les générations m’appelleront bienheureuse (Lc 1,48). Le Père se penchant vers cette créature si belle, si ignorante de sa beauté, voulut qu’elle soit la Mère, dans le temps, de celui dont il le Père dans l’éternité. Alors l’Esprit d’amour qui préside à toutes les opérations de Dieu survint, la Vierge dit son « Fiat » : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole (Lc 1,38). Et le plus grand des mystères fut accompli ; et, par la descente du Verbe en elle, Marie fut pour toujours la proie de Dieu.
Il me semble que l’attitude de la Vierge, durant les mois qui s’écoulèrent entre l’Annonciation et la Nativité, est le modèle des âmes intérieures, des êtres que Dieu a choisis pour vivre « au dedans », au fond de l’abîme sans fond. Dans quelle paix, dans quel recueillement, Marie se rendait et se prêtait à toutes choses ! Comme celles qui étaient les plus banales étaient divinisées par elle — car à travers tout, la Vierge restait l’adorante du don de Dieu ! Cela ne l’empêchait pas de se dépenser au dehors lorsqu’il s’agissait d’exercer la charité. L’Évangile nous dit que Marie parcourut en toute hâte les montagnes de Judée pour se rendre chez sa cousine Elisabeth (Lc 1,39). Jamais la vision ineffable qu’elle contemplait en elle-même ne diminua sa charité extérieure car, dit le bienheureux Ruusbroek, si la contemplation « s’en va vers la louange, et vers l’éternité de son Seigneur, elle possède l’unité et ne la perdra pas. Qu’un ordre du ciel arrive, elle se retourne vers les hommes, compatit à toutes leurs nécessités, se penche vers toutes leurs misères ; il faut qu’elle pleure et qu’elle féconde. Elle éclaire comme le feu ; comme lui, elle brûle, absorbe et dévore, soulevant vers le ciel ce qu’elle a dévoré. Et quand elle a fait son action en bas, elle se soulève et reprend brûlante de son feu le chemin de la hauteur ».
"Première retraite, 10e jour", dans En présence de Dieu, par M. M. Philipon, Desclée De Brouwer, 1966, p. 151-152.