“Ainsi soient-ils” : autour d’un séminaire, une fiction d’Arte… bien fictive
L’avis du Père Didier Berthet, Supérieur du Séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux.
Un projet original
Annoncée à grand renfort d’affiches équivoques et accrocheuses, la nouvelle fiction d’ARTE, « Ainsi soient-ils », se dévoile ces-jours-ci aux téléspectateurs.
Avec l’ensemble de la critique, on pourra saluer l’originalité du projet et l’audace de l’entreprise. Bâtir la trame d’une série télé autour de cinq jeunes hommes bien de leur époque qui osent entrer dans ce monde mystérieux et en retrait qu’est le séminaire : voilà qui relève bien du défi. On fera également crédit aux réalisateurs d’une réelle sympathie, mêlée de fascination intriguée, pour ces jeunes qui aujourd’hui encore tentent l’aventure du sacerdoce. Par ailleurs, les 8 épisodes de la série déploient une intrigue remarquablement dynamique et très imaginative, généreusement servie par de bons acteurs. La qualité dramatique et esthétique de cette production est indéniable ; elle possède un réel pouvoir de séduction. On sait que les auteurs, peu familiers de la vie ecclésiale et moins encore du monde des séminaires, ont su largement s’informer et se faire conseiller pour planter de manière suffisamment crédible le décor de leur fiction. Ont-ils finalement réussi à transformer l’essai ? Afin d’en mieux juger, il est important de commenter le contenu de cette série au regard de ce que l’Eglise vit vraiment lorsqu’elle forme ses prêtres, au séminaire et ailleurs. A ce titre, la fiction d’ARTE apparaît sous un jour beaucoup plus contrasté et ambigu.
Enfermement et tumulte
Des (vrais) séminaristes ayant visionné l’ensemble de la série ont été unanimes à éprouver une sensation d’enfermement dans laquelle ils ne reconnaissaient pas vraiment leur propre expérience. Le « Séminaire des Capucins », séminaire universitaire en bordure du Quartier latin de Paris, se donne à voir comme un vase clos à l‘atmosphère pesante. Alors que cette institution est présentée comme un îlot de liberté spirituelle au milieu d’une Eglise timorée et conventionnelle, il y règne en fait un christianisme sans joie à tonalité crépusculaire et paranoïaque. Malgré un certain nombre de moments très vrais et touchants, le scénario sonne souvent faux en nous offrant des dialogues étonnement sentencieux et moralisants, quand ils ne tombent pas dans une hystérie déconcertante. La liturgie y est triste et compassée, dans un éternel face à face entre les pères et les séminaristes. La fiction réussit sans doute à disposer le cadre d’une ambiance pieuse et religieuse, mais elle peine à exprimer la joie chrétienne et la vraie intériorité qui habitent généralement les occupants d’un séminaire !
Les (vrais) séminaristes interviewés ont également parlé d’un enfermement des personnes qui les a gênés. Ils ont vu chacun des séminaristes de la série très concentré sur un discernement personnel souvent traumatique. Sur ces chemins vécus de manière très parallèle, nos héros sont en grande demande de reconnaissance personnelle (« crois-tu en moi ? » est une question qui revient à plusieurs reprises), mais ils peinent à instaurer entre eux une vraie fraternité spirituelle. Rattrapés par leur passé ou leurs problèmes familiaux, bousculés par des expériences affectives et sexuelles de toute nature, nos jeunes candidats ont bien du mal à vivre un minimum de cohérence avec le choix qu’ils ont fait. Cependant, alors que le trop-plein fictif les entraîne rapidement hors du vraisemblable, ils n’en demeurent pas moins attachants et habités par une vraie sincérité jusque dans l’improbable désordre de leur vie.
Dans cette vie rendue extrêmement tumultueuse par les besoins de la fiction, les cinq séminaristes héros passent souvent et sans transition du vase clos des « Capucins » à des lieux tout à fait étrangers à leur formation et qui les accaparent beaucoup. La série fait pratiquement l’impasse sur leur engagement régulier dans des paroisses ou aumôneries où les candidats au sacerdoce vivent normalement une expérience de formation pastorale dans la durée. A ce titre, elle ne rend pas compte de manière juste des différents espaces où se déploie normalement la vie d’un séminariste.
De lourdes approximations
Les réalisateurs de « Ainsi soient-ils » ont certainement beaucoup consulté et travaillé pour montrer de façon crédible le fonctionnement d’un séminaire. Ainsi, la figure du Supérieur dans sa fonction de présidence de la communauté et d’animation spirituelle est assez bien rendue. Certaines scènes très vraies et touchantes montrent le Père Fromenger exerçant une belle attitude paternelle envers tel ou tel séminariste. De même, le Conseil des prêtres qui dirige collégialement la maison et évalue les candidats est bien montré dans son fonctionnement habituel. Le scénario présente cependant des imprécisions et des approximations dont certaines peuvent être graves.
Dans un raccourci sans doute commode, on voit des séminaristes présenter eux-mêmes leur dossier d’admission au Séminaire des Capucins, comme ils le feraient pour entrer dans une faculté ou une école. Ce procédé erroné fait oublier qu’un séminariste est toujours envoyé au séminaire par son évêque, au terme d’un premier temps de discernement durant lequel l’Eglise le connaît et l’accompagne ; ainsi sa démarche personnelle ne se vit pas dans l’isolement individuel, mais dans un contexte ecclésial repérable.
Beaucoup plus grave est le traitement réservé aux questions de conscience et à la confession sacramentelle. Avant d’entrer aux « Capucins », Emmanuel a gravement succombé à son homosexualité compulsive en usant d’un jeune prostitué à l’étranger. Lorsqu’il s’en confesse dans le cadre du séminaire, il obtient une absolution totalement automatique, sans aucune parole d’accompagnement. Revenant par la suite sur cette chute qui marque sa mémoire et pèse sur son discernement, il ne reçoit pour tout conseil de son père spirituel que le rappel du pardon déjà accordé. Comment imaginer que des formateurs puissent aborder un grave problème d’équilibre humain d’une manière aussi irresponsable et exclusivement spiritualisante ? Comment peut-on soutenir cette absence de dimension humaine sérieuse dans l’accompagnement des futurs prêtres ?
Dans un autre épisode, un curieux chapelain de la famille explique à Raphaël que la « Loi divine » lui interdit de célébrer la messe aux obsèques de son frère suicidé. Où est-on allé chercher une théologie aussi délirante qui ne correspond ni à la pensée ni à la pratique pastorale actuelle de l’Eglise ? Veut-on nous faire croire qu’elle refuse aujourd’hui sa compassion et sa prière à ceux qui ont vécu ce drame ? Dans quel but les réalisateurs se sont-ils risqués à un si grave cliché ?
L’Église n’est pas là
La dimension vraiment navrante de la série « Ainsi soient-ils » réside dans le lourd traitement qu’elle réserve à l‘Eglise. Celle-ci est d’abord vue à travers le prisme d’un corps hiérarchique et clérical travaillé par le sourd déchaînement des ambitions et des luttes de pouvoir. La personnalité caricaturalement cynique du cardinal président de la Conférence des Evêques est à peine sauvée par le jeu de l’excellent Michel Duchaussoy. Le Pape n’a pas cette chance, se trouvant transformé par les scénaristes en un vieillard gâteux, borné et manipulé par de sombres prélats.
L’Eglise est perçue d’abord comme une institution à bout de souffle qui s’accroche pathétiquement à des moyens très humains pour satisfaire les ambitions de ses dignitaires et, accessoirement, relancer son audience. Alors que l’on pensait utiliser le thème de la pauvreté par une campagne bien orchestrée, on se retrouve totalement bousculé par les sans-papiers qui envahissent le séminaire. Le crucifix de la chapelle des « Capucins », tombant par terre après avoir pris la pluie, est le symbole à peine appuyé d’une affaire qui n’a décidément pas d’avenir.
Fascinés par la dimension exclusivement cléricale de l’Eglise, les réalisateurs de la série ne parviennent pas à la faire vivre sous nos yeux. En ont-ils d’ailleurs jamais eu le désir ? Nos cinq séminaristes ne rencontrent pas un seul prêtre dans l‘exercice normal de son ministère. On ne les voit jamais évoluer dans une communauté chrétienne digne de ce nom. Le peuple de Dieu n’a pas ici de visage ; l’Eglise, dans sa réalité concrète de communion et de mission, n’apparaît pas.
Les gens heureux n’ont pas d’histoire, et l’on comprend qu’une fiction ait besoin de trouver ses ressorts dans le riche éventail des failles et des ambiguités de la nature humaine. La série « Ainsi soient-ils » n’échappe pas à cette fatalité. Sans lui dresser de procès d’intention, on se gardera d’y voir un témoignage crédible sur la formation des prêtres et la vie de l’Eglise. Dans le domaine original où elle s’est aventurée, la nouvelle fiction d’ARTE est décidément demeurée… très fictive !
P. Didier BERTHET
Supérieur du Séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux