Avis de l’Académie des sciences morales et politiques sur le projet de loi ouvrant le mariage aux personnes du même sexe

L’Académie des sciences morales et politiques, l’une de cinq académies de l’Institut de France regroupant des juristes, économistes, philosophes, sociologues ou hommes politiques, a estimé lundi 21 janvier 2013 que le projet de mariage homosexuel défendu par le gouvernement "mettait en cause les droits" des couples hétérosexuels

Le projet de loi « ouvrant le mariage aux couples de même sexe » conduit à une transformation profonde du droit du mariage et de la filiation sur laquelle l’Académie des sciences morales et politiques souhaite appeler l’attention des pouvoirs publics.

En l’état actuel du droit français, le mariage, pour reprendre les termes retenus par la cour de cassation, « ne peut être légalement contracté qu’entre deux personnes appartenant l’une au sexe masculin, l’autre au sexe féminin » . Selon la jurisprudence tant internationale que constitutionnelle, cette solution ne porte pas atteinte au principe d’égalité et ne saurait par suite être regardée comme discriminatoire. Soucieux toutefois de permettre aux personnes majeures homosexuelles d’organiser leur vie commune, le législateur leur a permis en 1999 de conclure un pacte civil de solidarité (pacs) ouvert d’ailleurs à tous. Des réformes législatives diverses ont progressivement rapproché les effets du pacs de ceux du mariage dans les relations du couple.

Le droit de la filiation a connu, quant à lui, une évolution sensible au cours du siècle dernier du fait de l’égalisation du statut patrimonial des enfants légitimes et de celui des enfants naturels et des transformations du droit de l’adoption. Ces transformations ont permis l’adoption plénière d’enfants par un célibataire vivant avec une personne du même sexe, accompagnée de certains aménagements de l’autorité parentale.

En présentant le projet de loi, le gouvernement a souligné que « des différences subsistent entre le pacs et le mariage et que cet instrument juridique ne répond pas à la demande des couples de personnes du même sexe qui souhaitent se marier, ni à leur demande d’accès à l’adoption ». En vue de satisfaire à ces demandes, le projet de loi leur ouvre « le droit au mariage » et élimine par suite dans le code civil toute référence au sexe des conjoints. En outre il ouvre aux couples mariés de même sexe « l’accès à la parenté », via le mécanisme de l’adoption.

1 – L’Académie des sciences morales et politiques observe que la réforme proposée transforme en profondeur le droit français du mariage et de la filiation. En vue de répondre à la demande de couples de même sexe désireux d’organiser leur vie commune, elle impose cette transformation radicale aux couples de sexe différent. Opérée au nom des droits individuels des premiers, elle met en cause les droits des seconds.

Une formule plus respectueuse de tous aurait consisté à transformer le pacs conclu par des personnes du même sexe en une union civile comportant pour les partenaires de cette union les mêmes droits et obligations que ceux nés entre conjoints dans le mariage. Cette solution et d’autres inspirées d’exemples étrangers auraient dû être examinées à l’occasion d’un vaste débat organisé dans des conditions analogues à celles retenues en ce qui concerne la fin de vie. L’Académie aurait été heureuse de participer à un tel débat et demeure prête à le faire.

2- En tout état de cause, l’Académie appelle l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de respecter dans la loi et ses textes d’application le droit des couples hétérosexuels à demeurer « mari » et « femme » et « père » et « mère » de leurs enfants, que ceux-ci soient nés dans le mariage ou hors mariage.

3- La rupture envisagée par le projet de loi en ce qui concerne la filiation est plus profonde encore. L’adoption a pour but de suppléer l’absence de parents biologiques en leur substituant des parents de remplacement. Admettre qu’un couple unissant des personnes de même sexe puisse se substituer au père et à la mère biologiques soulève des problèmes sérieux en ce qui concerne le destin de l’enfant adopté. Des vues diverses ont été exprimées à cet égard et aucune étude approfondie n’a encore été opérée sur le sujet. Or, s’il n’existe pas de droit à l’enfant, il est des droits de l’enfant sur lesquels le législateur doit veiller face à ces incertitudes sérieuses. S’il est un domaine dans lequel la prudence est de rigueur, c’est bien celui-là.

4 – Le projet de loi soulève en outre des questions difficiles du fait que le mariage et l’adoption ne sont ouverts aux personnes de même sexe que dans moins de dix pays appartenant tous à l’Europe occidentale ou à l’Amérique du nord. Or les enfants adoptés en France proviennent à l’heure actuelle d’autres régions du monde et certains des Etats concernés pourraient se refuser dans l’avenir à placer leurs enfants sous l’empire du droit français. De plus le texte proposé ouvre le mariage non seulement aux personnes homosexuelles de nationalité française, mais encore aux étrangers, ce qui risque de créer de regrettables conflits de loi.

5- L’Académie relève enfin que, si le projet n’ouvre aux couples de même sexe que le droit à l’adoption, certains parlementaires envisagent de l’amender en vue de permettre aux couples de femmes de recourir à la procréation médicalement assistée (PMA). Elle relève qu’au nom du principe d’égalité, des couples d’hommes pourraient dans l’avenir souhaiter recourir à des mères porteuses en vue d’assurer leur filiation. L’Académie estime que ces revendications soulèvent des questions bioéthiques fondamentales qui ne concernent pas seulement les couples homosexuels et qu’il serait regrettable de légiférer en ce domaine à l’occasion du présent projet de loi. Là encore un vaste débat s’impose.

6 – En définitive, le projet de loi procède à un bouleversement du droit qui ne touche pas seulement les couples homosexuels. Aux pères et mères de l’enfant, il tend à substituer les parents. La parentalité prend ainsi la place de la paternité et de la maternité. Il tend à promouvoir un droit à l’enfant qui fait passer celui-ci de sujet à objet de droit. Il conduit à nier la différence biologique entre les sexes pour lui substituer un droit à l’orientation sexuelle de chacun. On comprend qu’il ait pu de ce fait susciter des soutiens enthousiastes et des oppositions affirmées, auxquelles il est temps encore de substituer un débat serein et approfondi.

Déclaration de l’Académie des sciences morales et politiques, 21 janvier 2013
Le mariage entre personnes de même sexe, points de réflexion

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