Est-il possible de réussir son mariage ?
Dans son ouvrage, La Famille, Mgr André Vingt-Trois, alors archevêque de Tours, répond à “15 questions à l’Église”. Dans l’une de ses réponses, il insiste sur les moyens de réussite d’un mariage chrétien.
Si nous prenons les statistiques les plus hautes des divorces, nous sommes à environ 40% par rapport à une année de mariage. C’est évidemment considérable. Mais cela veut dire aussi qu’il y a 60% des mariages qui tiennent et qui assurent un réel bonheur aux époux et la stabilité aux enfants. On ne peut donc pas dire que la fidélité à ses engagements conjugaux est une impossibilité ou un choix héroïque dont ne seraient capables que des gens exceptionnels ou particulièrement motivés par une foi religieuse. La fidélité à la parole échangée et les efforts pour s’entraider dans cette fidélité sont réalisés par des gens ordinaires qui ne sont ni meilleurs ni pires que les autres.
Le message de l’Église apporte-t-il quelque chose d’original sur le sujet ? (...) La conviction de l’Église est que, en Jésus-Christ l’amour a vaincu la haine, la violence et la mort. Si l’amour est plus fort que tout, c’est en s’appuyant sur l’amour que l’on peut vivre dans la fidélité. Mais justement, les difficultés de beaucoup viennent de ce qu’ils disent ne plus s’aimer ou aimer ailleurs. Beaucoup de chances de réussir un mariage vont venir de la conception que l’on se fait de l’amour et de la manière de mettre cette conception en pratique dans al vie de tous les jours. Inversement, on peut dire que l’échec d’un mariage est toujours le résultat d’une crise de l’amour mal surmontée.
(...) Bien souvent, nous nous apercevons que l’un des facteurs déterminants de l’échec est l’absence de dialogue entre les époux, l’extension d’un champ de non-dits, qui s’empoisonne de suppositions, puis de soupçons et d’accusations. Il y a donc un enjeu décisif à appeler les couples à un dialogue régulier sur leur existence commune et sur les questions de la vie quotidienne.
(...) Quand on réfléchit au processus qui se conclut par des ruptures, on est souvent impressionné par la disproportion entre les débuts de la crise et ses conséquences. Pour nous aider, représentons-nous l’image d’un angle, pas très ouvert (dix à vingt degrés). Quand on est encore tout près du sommet de l’angle, la distance entre les deux côtés est très faible, il n’y a pas encore de dérive grave et une correction légère de demanderait pas beaucoup d’efforts. Mais dès qu’on s’éloigne de ce sommet, l’écart devient de plus en plus grand, la dérive s’accentue, et rejoindre l’autre position devient de plus en plus difficile.
Le sommet de l’angle, ce sont les époux au moment de leur mariage. Ils avancent sur la même trajectoire. Leurs deux lignes de vie se superposent, si elles ne se confondent pas. Puis il arrive quelques dérives de peu d’ampleur. Ensuite, chacun s’habitue à suivre sa trajectoire en oubliant de mesurer la dérive par rapport à l’autre. C’est une image qu’il ne faut pas prendre au sérieux je crois qu’elle nous aide bien à comprendre le processus de rupture. (...)
Bien évidemment, il y a dans tout cela une condition préalable, sans laquelle rien n’est possible. C’est de croire que l’échec n’est pas fatal. (...) Si l’un des deux ou les deux doutent de la force de [l’]amour, de sa capacité à rouvrir un dialogue et à réajuster le chemin commun, il n’y a pas grand chose à faire.
Pour les chrétiens, cette confiance dans la force de l’amour s’enracine dans la foi en Jésus Christ, vainqueur de la mort, de la haine, de la violence. Elle s’alimente dans la communion à cet amour du Christ, telle qu’elle nous est offerte dans al vie sacramentelle. Deux chrétiens qui se marient devant Dieu doivent être logiques avec leur démarche. S’ils croient que Dieu peut quelque chose pour les aider dans la réussite de leur vie conjugale, ils ne peuvent compter sur lui que si eux-mêmes prennent les moyens de vivre avec lui les ressources de la foi et de la vie chrétienne.
Les moyens nous les connaissons. Il s’agit d’abord de l’expression de la foi de chacun des époux et, chaque fois que c’est possible, de leur foi commune. Leur foi s’exprime dans la prière faite ensemble, dans la participation commune à la messe du dimanche. La pratique du sacrement de réconciliation est aussi une bonne école pour se reconnaître pécheur, pour identifier les fautes commises envers le prochain. Le prochain le plus proche n’est-il pas l’époux ou l’épouse ? Comment pratiquer le pardon et la miséricorde entre époux si d’abord chacun ne fait pas l’expérience de la miséricorde et du pardon de Dieu ?
L’expression de la foi, c’est aussi notre manière de vivre dans notre existence quotidienne. Mettons l’Évangile en pratique dans notre vie, et d’abord le commandement de l’amour mutuel. (...) L’enseignement du Christ se résume à un commandement d’amour qui relève d’un apprentissage sans cesse renouvelé. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 12-13)
(...) Ne laissez donc pas tomber les moyens de la vie chrétienne : la prière, la pratique sacramentelle et le service des frères, car ces moyens sont la source du dynamisme de l’amour dans nos existences. Il n’y a pas trente-six manières d’aimer. On aime ou on devient indifférent. Le cœur aimant devient chaque jour capable d’aimer davantage. Le cœur indifférent devient chaque jour moins capable d’aimer. Si vous laissez s’assoupir l’amour de Dieu en vous, ne croyez pas que vous pourrez aimer vraiment votre conjoint et vos enfants. En tout cas cet amour sera fragilisé et cèdera au premier assaut. Rappelez vous la parabole de la maison bâtie sur le sable (Mat 7, 24-26). (...) [A vous de] décider sur quelles fondations vous voulez bâtir votre maison.
Mgr André Vingt-Trois, La Famille, Coll. Parole d’Église, Mame/Plon, 2002