Histoire des Églises orientales en France
Les Chrétiens d’Orient sont les premiers disciples du Christ, puisque c’est à partir de Jérusalem que les apôtres ont été envoyés par le Seigneur : "Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit" (Mt 28,20).
Pierre, puis Paul, sont passés à Antioche et y ont rassemblé des disciples convertis du judaïsme et des disciples convertis du paganisme : réunis en une seule communauté, ils ont reçu pour la première fois le nom de "chrétiens" (Ac 11, 26).
L’Evangile a donc été porté progressivement dans tout le bassin méditerranéen et même au-delà de l’Empire romain, en Mésopotamie, en Perse et jusqu’en Inde par l’apôtre Thomas. Appelées Eglises, des communautés chrétiennes ont été constituées dans les principales cités de l’Empire et dans sa capitale, Rome, où Pierre et Paul ont subi le martyre ; l’évangéliste Marc, disciple de Pierre, a fondé l’Eglise d’Alexandrie. De proche en proche, les campagnes ont été évangélisées à partir des cités.
En 313, l’empereur Constantin, converti au christianisme, met fin aux persécutions générales du IIIème siècle et du début du IVème en accordant aux chrétiens la liberté de culte : désormais, le christianisme est une religion reconnue comme les cultes païens. Soucieux de préserver la paix religieuse et civile de l’Empire, perturbée par l’hérésie d’Arius, il réunit à Nicée le premier concile oecuménique, en 325. Les évêques défendent la foi en la divinité du Christ, consubstantiel au Père ; il règlent quelques questions canoniques et liturgiques, et fixent l’ordre des patriarcats : Rome, Alexandrie, Antioche. En 330, Constantin confirme solennellement le transfert de la capitale de l’Empire en Orient, dans la ville qui portera son nom : Constantinople est la "nouvelle Rome".
L’institution des patriarcats répond à la nécessité d’assurer l’unité de l’Eglise : l’évêque de la ville la plus importante d’une région reçoit la charge de veiller à la communion des évêques des villes de sa région. Ainsi, le patriarche d’Alexandrie est responsable de l’unité en Egypte et en Ethiopie, celui d’Antioche, dans tout l’Orient, l’évêque de Rome étant patriarche d’Occident. Le concile de Constantinople, réuni en 381, promeut l’évêque de la capitale au rang de patriarche, avant ceux d’Alexandrie et d’Antioche. Enfin, le concile de Chalcédoine ratifie en 451 l’ordre des cinq sièges patriarcaux : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem.
Les Eglises ainsi organisées pour manifester dans le monde la communion de l’unique Eglise catholique, ont pour mission de faire vivre l’Evangile dans les cultures des différentes provinces de l’Empire où elles sont implantées : ainsi s’explique la diversité des "rites", c’est-à-dire des traditions canoniques, liturgiques, spirituelles, théologiques. A partir de Rome, le rite latin se développe en Occident, tandis que Constantinople adopte le rite byzantin, Alexandrie, le rite copte, Antioche, les rites syriaque et maronite, et, en union avec Jérusalem, le rite chaldéen.
Cependant, le risque de séparations n’est pas évité. L’Eglise arménienne affirme son autonomie dès le IVème siècle, et s’accorde avec les Eglises syriaque et copte pour refuser les formules christologiques du concile de Chalcédoine de 451, par fidélité à celles du concile d’Ephèse de 431. Ces Eglises, dites "monophysites", sont en rupture avec Rome et Constantinople, de même que l’Eglise "nestorienne" qui se développe en Mésopotamie et en Perse.
Après ces premiers schismes, des ruptures de communion, temporaires, apparaissent entre Rome et Constantinople : des conflits de pouvoirs entre le pape et le patriarche, qui a pris le titre d’"oecuménique", les interventions des empereurs, des polémiques sur les usages liturgiques respectifs ou sur les formules théologiques se déroulent sur fond d’éloignement progressif, culturel et politique, entre l’Occident latin, qui incorpore les peuples barbares, et l’Orient grec, qui développe une riche civilisation byzantine et doit faire face aux invasions musulmanes. Le schisme est officiellement déclaré en 1054, et la rupture s’approfondit à la suite du sac de Constantinople perpétré par les Croisés en 1204.
Des « Conciles d’union » réunissent Grecs et Latins pour restaurer l’unité de l’Eglise : Lyon II en 1274, Ferrare-Florence en 1438-1445. Cependant les accords officiels ne sont pas reçus par les fidèles et les moines d’Orient, si bien que la division demeure. Plus dramatique encore, la prise de Constantinople par le Sultan Mahomet II en 1453 met fin à l’Empire byzantin ; les chrétiens reçoivent un statut spécial dans l’Empire ottoman, sous la responsabilité religieuse et civile des patriarches. De son côté, l’Eglise de Russie s’affirme autonome, avec Moscou « troisième Rome » selon certains ; le patriarcat de Moscou est érigé en 1589 et son premier patriarche sacré par le patriarche oecuménique de Constantinople.
Le désir d’unité subsiste dans la conscience chrétienne malgré les difficultés et les divisions. Au Proche et au Moyen-Orient, comme dans le monde slave, des évêques, à la tête de leurs Eglises, se rapprochent de Rome pour être en communion avec le pape. Ainsi naissent les Eglises catholiques orientales qui gardent toutes les traditions théologiques, spirituelles, canoniques, et les rites liturgiques qu’elles partagent avec les Eglises orthodoxes, mais dans la communion de l’Eglise catholique.
Dès le XIXe siècle, mais surtout lors des deux guerres mondiales, les communautés chrétiennes d’Orient, orthodoxes et catholiques, sont victimes des guerres et des persécutions, notamment les Maronites en 1860 et les Arméniens, en 1916-1920. Beaucoup de chrétiens cherchent refuge dans les pays occidentaux (France, Etats-Unis, Canada, Australie). Cette émigration s’est aggravée depuis les années 1960, à la suite de la guerre civile au Liban, du conflit entre Israël et les Palestiniens, de la guerre en Irak.
La France accueille donc des chrétiens de toutes les Eglises d’Orient, puis, après la Grande Guerre, des chrétiens du monde slave. La plupart, comme les Arméniens ou les Maronites, s’installent à Marseille, Lyon et Paris. Signalons qu’à la suite de l’expédition de Bonaparte en Egypte, les Melkites catholiques deviennent assez nombreux à Marseille, pour que la paroisse Saint-Nicolas de Myre soit érigée, dès 1822, par Louis XVIII. Entre les deux guerres, des communautés russes catholiques se regroupent à Lyon et Paris. Après la deuxième guerre mondiale, outre des Coptes et des Syriaques catholiques, des Chaldéens quittent leurs pays -Turquie, Irak- par villages entiers, pour Marseille, Lyon et surtout la région parisienne, où ils construisent leur propre église Saint-Thomas Apôtre, à Sarcelles.
Le tableau de leur implantation en France est révélateur de la diversité des Eglises orientales, et témoigne de la richesse de leurs traditions et de leurs liturgies auprès des catholiques français appelés à les découvrir dans une conscience plus vive de l’unité de l’Eglise dans sa diversité.