Homélie à Tours
Homélie du pape Jean-Paul II lors de son voyage apostolique en France, célébration de la Parole avec les malades et les personnes qui souffrent, le samedi 21 septembre 1996.
Extrait.
2. Dans la société actuelle, nous connaissons trop de formes de pauvreté, de tristesse et d’affliction. La pauvreté matérielle, la maladie, la souffrance physique, les divers types d’exclusion qui frappent nos contemporains, ces formes du malheur sont multiples : personne ne peut être sûr d’y échapper au cours de sa vie. Certains en subissent même plusieurs, car elles s’engendrent mutuellement. Et il vient un moment où toute issue semble fermée, où la vie n’apparaît plus comme un don de Dieu, mais comme un fardeau. C’est alors que la béatitude des affligés prend tout son sens. Le Christ a osé proclamer que ceux qui pleurent sont heureux et seront consolés [3]. Il affirme qu’ils sont appelés au bonheur sans fin. Par son amour infini, le Seigneur répond ainsi au désir d’être heureux qui habite le cœur de tout homme. Qu’y a t-il, en effet, de plus grand et de plus important que d’être aimé et d’être reconnu pour soi-même, pour la beauté de son être intérieur, qui ne dépend ni des apparences ni de l’intérêt immédiat que l’on peut représenter pour les autres ?
Comme saint Martin, nous sommes invités à ouvrir les yeux et à reconnaître dans le pauvre qui meurt de froid à la porte de la ville dans l’étranger qui frappe â notre porte, un frère à accueillir et à aimer. Une société est jugée au regard qu’elle porte sur les blessés de la vie et à l’attitude qu’elle adopte à leur égard. Chacun de ses membres devra un jour répondre de ses paroles et de ses actes envers ceux que personne ne regarde, envers ceux devant qui on se détourne. Le pauvre d’Amiens, est-il dit dans la « Vie de saint Martin », « avait beau supplier les passants d’avoir pitié de sa misère, ils passaient tous leur chemin » [4]. Par leur indifférence, ils n’ont pas su reconnaître leur frère. En ignorant le prochain, ils ont bafoué une part de leur propre humanité. Ce jour-là, aucun d’eux n’a su voir le Christ qui mourait de froid dans la personne du pauvre.
Tout être meurtri dans son corps ou dans son esprit, toute personne privée de ses droits les plus élémentaires, est une vivante image du Christ. « Dans les pauvres et les souffrants, l’Église reconnaît l’image de son fondateur pauvre et souffrant » [5]. Par sa mort sur la Croix, le Christ, qui a connu la souffrance extrême, nous demeure proche. Mais en contemplant le mystère de sa Passion, nous découvrons l’espérance offerte par le Seigneur. Par son amour pour nous, Il nous a ouvert un chemin nouveau. Par sa Résurrection au matin de Pâques, Il atteste que la mort et la souffrance n’ont plus sur l’homme le dernier mot et qu’un avenir est toujours possible. Une existence qui, à échelle humaine, pouvait paraître engagée dans une impasse est devenue un passage. Oui, chers amis, vous sur qui pèse la souffrance, vous êtes au premier rang de ceux que Dieu aime. Comme pour tous ceux qu’Il rencontrait sur les routes de Palestine, Jésus a posé sur vous un regard plein de tendresse ; son amour ne vous fera jamais défaut. Parce que depuis votre origine vous êtes enfants de Dieu, vous avez, dans l’Église, Corps du Christ, une place de choix.
Devant la multiplication des atteintes à la dignité et à l’intégrité des personnes, devant l’augmentation du nombre des exclus, il faut trouver de nouveaux modes de vie personnels et collectifs qui permettent de surmonter les crises, surtout dans des pays qui, comme le vôtre, disposent d’abondantes ressources humaines et naturelles. De nouvelles formes de solidarité sont à mettre en place, aussi bien à l’intérieur de chaque société qu’entre les nations. Pour garantir à tous l’accès au travail, ne conviendrait-il pas de revoir certaines pratiques et d’aider à une plus juste répartition des biens ? Ceux qui ont la chance d’avoir des revenus suffisants sont-ils prêts à partager davantage avec ceux qui ne parviennent pas à vivre décemment ? Un style de vie plus sobre permettrait à beaucoup d’éviter le gaspillage et d’être plus attentifs aux besoins de leur prochain.
Chaque être humain, aussi démuni soit-il, est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et rien ne peut lui faire perdre cette dignité. Quelle que soit son origine, quel que soit le poids de son épreuve, refuser de le voir, c’est se condamner à ne rien comprendre à la vie.
– Lire l’homélie du pape Jean-Paul II à Tours.