Journée diocésaine des malades 2017
Le jeudi 23 février 2017, à Notre-Dame des Champs, la conférence sur le thème “Se lever à l’écoute de la parole de Dieu” a été suivie d’une messe pour les malades célébrée par Mgr Thibault Verny, évêque auxiliaire de Paris.
Le service diocésain de la Pastorale de la Santé a proposé une messe des personnes malades et handicapées le jeudi 23 février 2017 en l’église Notre-Dame des Champs.
– 10h30, accueil
– 11h : Conférence "Se lever à l’écoute de la parole de Dieu" donnée par le Père Jean-Marie Onfray. Directeur adjoint du Service Natinal Famille et Sociéte (SNFS), chargé du Pôle Santé-Justice (CEF).
– 12h15 : Messe présidée par Mgr Thibault Verny, évêque auxiliaire de Paris.
Concélébrée avec les aumôniers des aumôneries catholiques des hôpitaux de Paris et des différentes associations.
Instituée par Jean-Paul II en 1992, la Journée Mondiale des Malades est célébrée tous les 11 février, jour anniversaire des apparitions de Marie à Lourdes, lieu de guérison des corps et des cœurs.
Intervention du Père Jean-Marie ONFRAY à la journée des malades, Paris, le 23 février
Se lever, à l’écoute de la Parole de Dieu
Le 11 février a été célébrée, dans toute l’Église et de façon particulière à Lourdes, la XXVème journée mondiale des malades. Instituée par saint Jean-Paul II en 1992 et célébrée pour la première fois à Lourdes le 11 février 1993, cette journée est une occasion d’attention spéciale de toute l’Église pour ceux qui souffrent de maladie, d’un handicap ou de dépendance liée au grand âge.
Le pape François nous invitait cette année à entrer dans l’action de grâce de la Vierge Marie, devant l’action du Seigneur dans chacune de nos vies. "Le Puissant fit pour moi de grandes choses" (Luc 1, 49). Par la présence de son légat, le cardinal Parolin, il nous exprimait sa sollicitude pour tous les souffrants qui demeurent dans une inaliénable dignité, il rendait grâce pour l’action de tous les soignants et des visiteurs bénévoles et nous adressait sa bénédiction apostolique.
Depuis près de vingt ans, en France, la Pastorale de la santé invite les communautés chrétiennes à célébrer le dimanche le plus proche du 11 février (mémoire de la première apparition de Marie à Bernadette) un dimanche de la santé, pour mieux prendre la mesure de la place que doivent prendre dans notre vie chrétienne les œuvres de miséricorde corporelle.
Ainsi chaque année est proposé, aux communautés chrétiennes, un axe de réflexion qui s’appuie sur les textes de la liturgie. Cette année, le dimanche de la santé a été célébré le 12 février avec pour thème : "Choisis la vie". A cet impératif, nous avions ajouté un sous-titre pour préciser notre chemin : "Heureux qui marche dans la Loi du Seigneur".
La Loi que nous propose la Bible n’est pas d’abord un code de préceptes et d’interdits. Elle est chemin de vie qui ouvre un salut. Elle est la mise en oeuvre de l’expérience de la sortie d’Égypte où Dieu fait le choix de libérer son peuple après avoir entendu ses cris. La Loi biblique est exigence de justice, d’attention aux plus pauvres et aux plus petits, comme le rappellent les prophètes régulièrement.
Respecter la Loi, c’est vivre pleinement l’alliance que Dieu propose à son peuple. C’est donc répondre à l’invitation que nous avons entendu ce dimanche (19/02) dans la lecture d’un passage du Lévitique : "Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis Saint" (Lv19, 2). Respecter la Loi en se mettant à son écoute, c’est sanctifier le Nom du Seigneur, comme nous en exprimons le désir dans chacune de nos prières.
Jésus de Nazareth porte la Loi à son accomplissement et dans la finale du Sermon sur la montagne (nous l’entendions ce dimanche 19/02), il nous dit : "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5, 48). Marcher dans la Loi du Seigneur, c’est mettre nos pas dans les pas du Christ qui ne cesse d’être préoccupé par la dignité de tous ceux qu’il rencontre.
Ainsi l’injonction "Choisis la vie" n’est pas un appel humaniste à garder le moral dans les situations difficiles, elle est l’expression du désir de Dieu sur chacun de nous. Dieu, non seulement n’est pas indifférent à notre histoire humaine, mais il l’assume et la partage. Il n’est pas un Dieu lointain et indifférent aux souffrances humaines, il se veut attentif à chacun en nous murmurant à l’oreille : "Tu as du prix à mes yeux !"
Parce qu’il nous a créés à son image, Dieu attend de chacun une réponse libre et responsable. Lorsque, sur les chemins de Galilée, Jésus de Nazareth rencontre un homme ou une femme blessé par l’existence, il pose la question : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?". Cette question, il ne cesse de nous la poser en frappant à notre porte…Chacun de nous est invité à entrer en relation avec celui qui nous cherche et nous demande hospitalité.
Dieu nous invite, sans cesse à choisir la vie...en particulier lorsque les évènements nous bousculent et nous fragilisent. Cette force de vie est en nous depuis que nous avons été façonnés dans le sein de notre mère. Elle s’exprime habituellement dans une volonté et une soif de vivre. Je suis étonné de constater cette soif de vivre chez mes frères et sœurs malades, en situation de handicap ou dépendants dans le grand âge.
L’épreuve de la maladie ne prévient pas. La fragilisation intervient dans nos vies lorsque le « vouloir vivre », qui nous constitue tous, est mis à mal par une épreuve inattendue. L’épreuve vient renverser un équilibre sans prévenir. Elle projette dans un espace sans repères. Elle provoque la sidération et le silence, puisqu’elle n’est pas intégrable immédiatement. Elles annihilent nos facultés d’adaptation. Elle fait entrer dans l’univers de l’inquiétude, de la démaîtrise. Elle laisse sans voix et parfois comme sans émotions.
Il faut intégrer la perte pour sortir de la fragilisation. Souvent, la blessure coupe même le désir de communication : « A quoi bon ! » … La fragilisation peut même nous conduire sur le chemin de la peur de l’autre, de l’isolement, du repli sur soi…car « personne ne peut comprendre. La fragilisation fait naître aussi l’incompréhension du « pourquoi moi ? ». Elle peut générer de la violence intérieure, de l’agressivité… L’épreuve fait vaciller le sujet. L’image de soi est profondément remise en question. Le corps devient une demeure hostile (« qui me délivrera de ce corps ! »).
Ne pensons pas que pour le croyant le chemin est plus facile. Les interrogations sont parfois renforcées. Un vrai combat spirituel peut s’engager dont nous retrouvons des accents dans le livre de Job ou dans le psaume 90 : « Seigneur, pourquoi me rejeter ? Pourquoi me cacher ta face ? » Accompagner des personnes fragilisées, ce n’est pas d’abord chercher à les consoler. La miséricorde n’appelle pas des réponses toutes faites ou des discours théoriques. Dans cette rencontre des vulnérabilités, le croyant redécouvre un Dieu qui se dit humblement.
Qui, dans notre société où trop souvent règne l’individualisme du "chacun pour soi", prête l’oreille à la souffrance ? Qui accepte d’être là, présent, tout simplement dans le silence ? Qui prend le temps de laisser mûrir une parole ? Qui invite à entendre la Parole de Dieu ?
Prendre soin de la personne atteinte dans son intégrité physique ou psychique, c’est être témoin d’une espérance (même sans parole !) au cœur de la souffrance spirituelle.
La miséricorde n’appelle pas des réponses toutes faites ou des discours théoriques. Tout cela ne fait plaisir qu’à celui qui veut masquer sa propre peur ! Dans cette rencontre des vulnérabilités, le croyant redécouvre un Dieu qui se dit humblement. Car la souffrance (je ne parle pas de la douleur) met l’homme en procès. Elle met l’homme en procès dans son désir de vivre, dans sa légitime aspiration au bonheur… L’expérience est souvent crucifiante. L’acceptation n’est pas première et suppose souvent un long travail. La souffrance heurte l’image de soi, l’estime de soi, la nécessaire confiance en soi… La souffrance fait douter de soi, de ses raisons de vivre. Elle peut nous faire entrer dans un cercle vicieux.
Beaucoup d’auteurs prennent les images du marécage ou des filets. Dans l’un comme dans l’autre, plus vous bougez, plus vous faites d’efforts, plus vous vous enfoncez ! Vous vous engluez dans la vase, vous vous emmêlez dans les mailles du filet. Alors, les belles paroles ne servent à rien… La souffrance partagée (et entendue) purifie et libère en libérant l’amour. L’amour qui est au fond de nous, comme dans une cage. L’amour qui ne demande qu’à s’exprimer, qu’à se libérer. L’amour sauve la souffrance de son ambiguïté… Nous ne donnons pas du sens à la souffrance de l’autre. Nous permettons à l’autre d’habiter sa souffrance et – peut-être – de lui donner un sens.
J’accepte d’être là, en silence, parce que je sais qu’une Parole nous appelle tous à choisir la vie ? Comme l’exprime le livre du Deutéronome : "je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance" (Dt 30, 19) Dieu ne nous demande pas de subir les évènements, mais dans les épreuves et les crises de poser le choix du chemin de vie.
Être à l’écoute de la souffrance de celui ou de celle qui traverse l’épreuve nous conduit aussi à l’envie de partager ce trésor de la Parole de Dieu en laissant les mots du Seigneur rejoindre l’autre dans son intimité douloureuse. Pour certains cette épreuve conduit à s’interroger sur le silence apparent de Dieu. Combien de personnes blessées traversent la nuit de Gethsémani ? Nous avons trop souvent l’impression que nos pauvres paroles vont cicatriser la blessure de la personne rencontrée.
Nous devons humblement nous effacer devant la force des mots de la Parole de Dieu qui invitent à se lever. Comme le dit le pape François dans son exhortation Evangelii Gaudium : "La joie de l’Évangile remplit le coeur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ, la joie naît et renaît toujours".
Il ajoute : "Le grand risque du monde d’aujourd’hui avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus. Même les croyants courent ce risque, certain et permanent. Beaucoup y succombent et se transforment en personnes vexées, mécontentes, sans vie. Ce n’est pas le choix d’une vie digne et pleine, ce n’est pas le désir de Dieu pour nous, ce n’est pas la vie dans l’Esprit qui jaillit du cœur du Christ ressuscité."
De cette rencontre, nous sommes responsables pour une part. Comment donner le goût de cette relation au Christ, comment laisser résonner sa parole ? Il importe déjà de la prier et de la vivre pour que des mots puissent germer sur nos lèvres. Souvent, comme les disciples qui empêchaient Bartimée d’approcher du Seigneur, nous sommes plus frein ou obstacle à la rencontre... y compris avec de bonnes intentions !
Notre présence est quasi-sacramentelle lorsque nous permettons à l’autre de se reconnaître digne d’intérêt, digne d’être aimé. Étonnement qui jaillit dans le regard de celui ou de celle qui se sent reconnu. Je repense à Jean, aveugle avec un chien, qui me disait que souvent les passants s’adressaient plus à son chien qu’à lui... Nous pouvons être cet Évangile en acte qui suscite le désir de vivre, de choisir la vie. Nous portons dans nos vases d’argile cette conviction en parlant du Christ : "Il est venu pour que nous ayons la vie en abondance !" (Jean 10, 10)
Accueillir l’évidence de la miséricorde, c’est entrer dans l’étonnement d’un amour qui dépasse notre entendement. Nous avons trop souvent à l’égard de Dieu une attitude d’esclave qui subit sans rien dire ou de marchand qui négocie sans cesse. Il nous faut accéder à cette relation filiale de celui qui se reçoit de l’amour d’un Père. Les évangiles nous montrent que c’est l’attitude quotidienne de Jésus le Christ. Il ne s’agit plus de parler de Dieu (positivement ou négativement) mais de parler à Dieu et donc de se mettre à son écoute. Il faut sortir de notre isolement ou de notre autosuffisance pour se présenter dans la pauvreté devant celui qui est la Vie.
Dans l’Évangile, Le Seigneur invite, ceux qui se tournent vers lui, à se "lever" : "Lève-toi, prends ton brancard et marche" (Mc 2). Se lever est une invitation à laisser la grâce de Dieu agir dans nos vies. Se lever est une manière de vivre la force ressuscitante de Dieu dans notre chair. Se lever est l’humble acceptation de laisser Dieu agir en nous, pour nous libérer de nous-mêmes et de tous nos enfermements.
"Se lever" et avec "s’éveiller" une manière de signifier l’œuvre de résurrection dans notre chair. Nous sommes appelés à nous lever pour marcher, c’est-à-dire pour vivre. Combien de fois ai-je vécu ce moment merveilleux où des êtres qui ne pouvaient plus physiquement se dresser, laissaient agir en eux la grâce de la résurrection. Le regard bouleversé de celui qui accueille la parcelle d’hostie consacrée, le geste de la main de celle qui vit le mystère de l’onction la veille de mourir... Que de visages dans ma mémoire de prêtre !
Même au bout de l’épuisement, la vie peut encore se choisir si elle s’inscrit dans la fraternité d’un regard posé, d’une présence affectueuse. Nous regardons trop souvent la fin de vie de manière technique et seulement en termes d’autonomie. La pastorale de la santé nous rappelle l’enjeu essentiel de solidarité, en particulier avec les plus fragilisés. Combien de personnes n’ont plus la force de manger parce que ce moment essentiel du repas n’est plus partagé !
Lève-toi et marche...Le Seigneur nous le dit à tous pour nous inviter à choisir la vie, pour ne pas seulement la subir ! Lève-toi et marche, avec tes douleurs et tes souffrances, avec ce qui marque ton existence et qui jusque là t’empêchait de trouver goût à la vie. Nous avons tous besoin que l’autre nous révèle cet appel à vivre, ce prix du rayon lumineux du regard qui se pose avec affection.
Ce brancard sur lequel nous étions immobilisés, ne nous paralyse plus, du moins spirituellement. Choisir la vie ne nous conduit pas à éviter le mystère de la croix. Nous la portons avec le Christ... "Prenez sur vous mon joug" nous dit-il en se faisant passeur de Vie. Choisir de suivre le Christ jusqu’à la croix, en ne gardant pas notre vie pour nous-mêmes, en risquant jusqu’au bout la relation pour sortir de l’enfermement qui a toujours goût d’enfer.
D’ailleurs, la maladie, le handicap, le vieillissement marginalisent, excluent… nous mettent « hors-jeu » et parfois j’ose dire nous « excommunient »…puisque les autres arrivent très bien à vivre sans nous ! La fragilisation fait naître aussi l’incompréhension du « pourquoi moi ? ». Elle peut générer de la violence intérieure, de l’agressivité… Le corps devient une demeure hostile (« qui me délivrera de ce corps ! »). Notre conception de notre dignité est blessée et parfois remise en question. Ces bouleversements nourrissent une souffrance qui a bien du mal à se dire. Comment partager l’indicible ?
Nous traversons les déserts de l’exil et même les ravins de la mort en gardant cette certitude spirituelle : Jusqu’au bout, Dieu nous appelle à choisir la vie, car il veut notre bonheur. Jésus nous le révèle comme chemin, vérité et vie. La traversée de la souffrance peut ne pas nous couper du bonheur si nous comprenons que le bonheur dont parlent les béatitudes n’est pas un bonheur de tranquillité ou de jouissance, mais un chemin humble et fragile de relations aux blessés de l’existence, comme Jésus l’a vécu sur les routes de Galilée.
Dans la première lecture du dimanche de la santé de cette année, nous avions un passage du livre de Sirac le Sage qui disait : "Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères". L’eau c’est la vie et la mort c’est le feu. L’eau a coulé sur nous le jour de notre baptême. Cette eau vive ne cesse de nous être proposée pour irriguer nos terres arides et les brûlures de nos existences.
Dans le mystère pascal, le Christ nous donne sa vie, comme dans tout geste sacramentel. Il nous rend participants de la vie divine qui est don et pardon. Accueillir cette vie sans vouloir la garder pour soi égoïstement, c’est le grand défi au cœur des épreuves que nous traversons, car nous sommes tous un jour ou l’autre fragilisés par l’existence.
Choisir la vie pour mieux pouvoir la donner. "Celui qui veut sauver sa vie la perd", nous dit le Seigneur. Il nous invite à aimer à sa manière, en faisant fructifier le don reçu, sans se laisser gagner par la peur. Ce que nous avons reçu gratuitement, ne peut qu’être donné gratuitement. Ce partage de vie est au cœur du message chrétien, en particulier en ce temps où nous mettons nos frères et sœurs malades, handicapées et dépendants au cœur de notre prière ecclésiale.
Oui, dans la force de sa Parole, le Seigneur nous appelle à nous lever, à nous redresser, à choisir la Vie, à ne pas la garder pour nous !...