Allocution de Jacques Chirac lors de la visite du pape Jean-Paul II en France en 1980

Le 30 mai 1980, après sa rencontre avec les prêtres, le Pape s’est rendu place de l’Hôtel-de-Ville, où l’attendaient près de 60 000 personnes et où il a été accueilli par M. Jacques Chirac, maire de Paris, qui lui a adressé le discours suivant :

Très Saint-Père,

C’est une heure solennelle que cette heure où Votre Sainteté a voulu saluer sur la place de l’Hôtel-de-Ville le peuple de Paris rassemblé autour de son Conseil et de son maire.

C’est une heure historique qu’il aura fallu attendre près de deux siècles depuis le passage de Pie VII.

C’est en ces lieux, sous le commandement des tours de Notre-Dame, à portée de la chapelle où saint Louis a honoré la Passion, au pied de la montagne Sainte-Geneviève où flotte encore le souvenir de l’antique bergère de Nanterre, patronne de la capitale, sous le regard de la prestigieuse Sorbonne où tant de docteurs ont enseigné, c’est en ces lieux que la France sent le plus fortement battre son cœur.

Existe-t-il au monde un espace plus réduit et cependant plus chargé de pensée où, d’âge en âge, de siècle en siècle, des génies dans les arts et les sciences, la philosophie et la théologie ont œuvré pour accroître le trésor de la culture humaine ?

Oui, Très Saint-Père, vous êtes au cœur de cette ville qui, dans son patrimoine et sur cette acropole, a recueilli le triple héritage de Jérusalem, d’Athènes et de Rome et Paris est fier de vous recevoir en ce lieu où ont été célébrés les plus grands événements de l’histoire de notre pays et d’où, jusqu’aux quatre coins du monde, ont été portées les idées généreuses qui ont enflammé tant d·hommes en quête de dignité, de liberté et d’honneur.

Ceux qui croient et ceux qui ne croient pas sont venus pour vous dire les espérances que nous portons en vous, témoin vigilant et infatigable de la conscience et de l’esprit. en ces temps difficiles où il faut, avec la culture et la civilisation, sauver la vocation de l’homme.

Comment en ce jour pourrais-je oublier la longue fidélité qui unit la France à Rome ? Comment pourrais-je oublier que la ville de Paris et la ville de Rome sont des villes sœurs, heureusement jumelées ? Une même lumière les enveloppe, plus douce et blanche à Paris. plus éclatante et dorée à Rome. Mais c’est la même lumière : elle figure la lumière de l’esprit qui nous unit en ce jour historique où Votre Sainteté est venue visiter le peuple de Paris.

Source : La Documentation catholique, 15 juin 1980, N°1788.

Salut de Jean-Paul II au maire de Paris

Monsieur le Maire,

J’ai été très sensible aux paroles de bienvenue que vous venez de m’adresser, au nom du Peuple de Paris, de ses élus, et en votre nom personnel. Invité de la France pour quelques jours - et avec quelle joie ! - c’est dans sa prestigieuse capitale que j’effectuerai l’essentiel de mon séjour. A plusieurs reprises déjà, j’ai eu le bonheur d’y venir au cours des années passées, la découvrant chaque fois plus grande, plus belle aussi grâce aux efforts accomplis pour la mettre en valeur. C’est vraiment l’une des capitales du monde.

Aujourd’hui, le Successeur de Pierre la retrouve non sans émotion. Et sur cette Place située á deux pas de la Cité, le berceau de la ville, en ces lieux qui furent les témoins de grandes heures et en même temps des principales vicissitudes de son histoire, en ces lieux si symboliques à tant d’égards, il vient saluer la population parisienne avec toute l’affection de son cœur et tout le respect mérité par les pages glorieuses qu’elle a inscrites dans le registre des temps.

Ville lumière, comme on l’appelle à juste titre, je lui souhaite de le demeurer et pour son pays et pour le monde. Elle le peut sans doute par le rayonnement de sa culture, et elle le fait. Elle le peut par la fidélité à son patrimoine historique et artistique. De bien des côtés on regarde vers elle avec autant d’admiration que d’envie ; dans ma patrie d’origine aussi, on sait ce que l’on doit à Paris.

Mais le passé n’est pas tout. Il y a le présent, et le présent ce sont des questions très concrètes. Et il y a aussi l’avenir à préparer. Il y a ces multiples problèmes d’aménagement, d’organisation, qui sont le lot des grandes métropoles. Mais aucun de ces problèmes, même sous l’aspect technique, n’est dépourvu d’une composante humaine. Paris, c’est d’abord des hommes, des femmes, des personnes entraînées par le rythme rapide du travail dans les bureaux, les lieux de recherche, les magasins, les usines ; une jeunesse en quête de formation et d’emploi ; des pauvres aussi, qui vivent souvent leur détresse, ou même leur indigence, avec une dignité émouvante, et que nous ne pouvons jamais oublier ; un va-et-vient incessant de population souvent déracinée ; des visages anonymes où se lit la soif de bonheur, du mieux-être et, je le crois aussi, la soif du spirituel, la soif de Dieu.

Ma visite en France est une visite pastorale, vous le savez. Évêque de Rome, je suis affronté personnellement chaque jour, dans mon propre diocèse, à des situations similaires, même si le contexte peut différer en certains points. J’essaye ainsi de comprendre les préoccupations de ceux qui ont en charge, à différents titres, les problèmes d’une ville jumelée avec la mienne, et je pense y parvenir, du moins je l’espère.

Recevez, Monsieur le Maire, les souhaits fervents de votre hôte, pour la lourde tâche que les élus parisiens ont à assumer. Je demande au Seigneur de vous assister dans tous les efforts qui seront entrepris au service du bien commun, afin que le Peuple de Paris si cher à mon cœur trouve toujours davantage les conditions de son épanouissement, et fasse ainsi toujours davantage notre fierté.

Source : www.vatican.va

Jacques Chirac

Jacques Chirac et l’Église