Benoît XVI, coopérateur de la vérité jusqu’au bout

Paris Notre-Dame du 4 mai 2023

C’est un autre testament, théologique cette fois, que Benoît XVI a laissé avec la publication post-mortem du livre Ce qu’est le christianisme [1], en mars dernier. Entretien avec le P. Éric Iborra, vicaire à St-Roch (1er), qui a relu et corrigé la traduction française du dernier livre du pape émérite.

© Charlotte Reynaud

Paris Notre-Dame – Comment présenter ce livre ?

P. Éric Iborra – Ce qu’est le christianisme compile les textes écrits dans les dix dernières années de vie de Benoît XVI, c’est-à-dire ses dix ans d’éméritat, après sa renonciation comme pape. Comme il le dit lui-même dans sa préface, après l’élection de François, il a « lentement repris [son] travail théologique ». Personnellement, en découvrant ce manuscrit, j’ai été touché de l’entendre parler outre-tombe et de voir que, même après sa renonciation, il a continué à développer une pensée théologique fine et précise, voir même courageuse sur certains sujets. Il n’hésite pas, par exemple, à affronter un œcuménisme facile avec le protestantisme, ou à mettre le doigt sur les points d’achoppement dans le dialogue interreligieux.

P. N.-D. – Comment comprendre le titre ?

E. I. – Il est, de fait, assez trompeur, car il donne l’impression d’avoir entre les mains une reprise de son livre, La Foi chrétienne hier et aujourd’hui, ou du moins une sorte de synthèse, une présentation organique de la doctrine chrétienne à la manière d’un catéchisme ; or, en réalité, cet ouvrage offre une pluralité de regards indépendants sur le fait chrétien, organisés en six grands chapitres définis et agencés par Benoît XVI lui-même. On y trouve, dans l’ordre, des écrits sur la religion en général, la religion chrétienne, les relations entre judaïsme et christianisme, des textes de théologie dogmatique ou traitant de questions morales, tandis que le sixième chapitre rassemble des textes de circonstance (remerciements). Cette réflexion théologique par touches impressionnistes, presque kaléidoscopiques, est parfaitement assumée par l’auteur, coutumier du fait dans de nombreux ouvrages. Lui-même voyait dans sa théologie comme « fragmentée » le signe d’un inachèvement, d’une incapacité sur la terre de pouvoir mettre tout mystère en équation. Il faut ajouter, dans l’agencement de ces différents textes, que Benoît XVI a choisi de clôturer le dernier chapitre et donc, par la force des choses, son dernier livre, par un texte personnel sur saint Joseph, son saint patron et patron de la bonne mort. Dans ses dernières lignes, il renvoie à son successeur, le pape François, en invitant chacun à lire la lettre apostolique Patris corde, qu’il qualifie de texte « qui vient du cœur et va au cœur ». Voilà un hommage d’une grande délicatesse !

P. N.-D. : Que retenir de cet ouvrage ?

E. I. – Pour Benoît XVI, la théologie est toujours en croissance. Il n’évolue pas dans un système fermé ou cadenassé, et ne refuse pas d’emblée la question moderne ; au contraire, il écoute ce que dit son interlocuteur ou ce que suggère l’esprit du temps contemporain, et voit si ces idées sont intégrables dans la synthèse catholique. Il s’appuie sur la tradition avec perspicacité, enracine toutes ses réponses dans l’Écriture et n’hésite pas à débusquer les sophismes de ces « adversaires ». Ce dialogue théologique bienveillant et profond, mené sans autre concession que celle de la courtoisie, est sa véritable méthode. En cela, il fait véritablement œuvre d’intelligence. Ses derniers textes témoignent d’une acuité et d’une pensée toujours actuelles, enrichies par l’expérience de ses années de pontificat ; certains textes, très techniques – sur le sacerdoce, l’eucharistie, les relations avec le judaïsme ou encore la supposée tolérance dans le polythéisme – attestent de cette exigence dans sa recherche inlassable de la vérité, lui qui avait choisi comme devise épiscopale « coopérateur de la vérité »... Une devise qu’il aura honorée jusqu’au bout !

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

[1Ce qu’est le christianisme, Benoît XVI, Éd du Rocher, Artège, 266 pages, 2023, 18,90 €.

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