Douleur et gloire
Pedro Almodóvar
Paris Notre-Dame du 30 mai 2019
Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, récompensé par le prix d’interprétation masculine pour Antonio Banderas, le nouvel opus de l’espagnol Pedro Almodóvar est sans doute un des films les plus personnels du réalisateur. La critique du P. Denis Dupont-Fauville.
C’est une des bonnes nouvelles de ce printemps : le nouvel Almodóvar est arrivé. Après trois ans d’attente, nous retrouvons ses couleurs, son art de la mise en scène, ses interrogations existentielles. De plus, une rumeur le précède : dans ce nouvel opus, le plus illustre des cinéastes espagnols se serait surpassé lui-même, acceptant enfin de s’exposer, accédant à une profondeur nouvelle. Comment ne pas s’y précipiter ? Dès le générique, en effet, nous voici transportés dans son univers si singulier, avec la force qu’il sait insuffler aux images et aux acteurs qui l’accompagnent depuis longtemps, pour suivre une histoire qui, sans prétendre à une totale véracité, nous parle évidemment de lui. Plusieurs scènes sont d’une force extrême : celles où le héros accompagne sa vieille mère malade, où il se raconte au théâtre par l’intermédiaire d’un double longtemps abandonné, où il retrouve presque par hasard son grand amour, où resurgit en lui l’irruption du premier désir. Le tragique affleure souvent, comme lors de l’évocation d’une opération, l’humour parfois, notamment dans la description de l’addiction. Pourtant, cette mise en abyme virtuose, cent coudées au-dessus de tant de productions contemporaines, ne convainc pas totalement.
Elle perd en émotion ce qu’elle gagne en allusions. Le discours du cinéaste, en renonçant à sa distanciation coutumière, nous devient paradoxalement plus extérieur. Les séquences s’enchaînent sans parvenir à se fondre. L’affiche internationale du film nous en fournit comme une illustration symbolique, composée d’une mosaïque de photos du fi lm non pas assemblées mais séparées les unes des autres : si chaque tesselle évoque clairement une scène, le tout n’est pourtant pas unifié. Après l’infinie pudeur et la tension de Julieta, Dolor y gloria semble, jusque dans son titre, un peu emphatique. Il lui manque la puissance onirique capable de sublimer le tout, de transformer rires et larmes en autant de fulgurances. Le désir de cinéma ne rejoint pas la quête mystérieuse d’un Huit et demi ; il cherche la sérénité d’un (somptueux) bilan plus que l’émerveillement d’une découverte. Reste que les éclairages donnés sur la blessure, le désir, le pardon, la faiblesse et l’amour comportent quelque chose d’inoubliable. Jusqu’au sublime et surprenant dernier plan, où Almodóvar se filme filmant une femme et son jeune fils allongés selon une disposition improbable dont le seul équivalent se trouve au portail des cathédrales, quand l’enfant couché au-dessus de sa mère figure par anticipation le sacrifice et l’action de grâces. Manière de faire du cinéma un équivalent moderne de la contemplation liturgique ? Rappel, en tout cas que, par-delà les trajectoires personnelles, la femme reste l’avenir de l’homme, soutien de son repos et gage de sa croissance.
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