Entretien de Mgr Michel Aupetit dans La Croix

La Croix - Vendredi 19 avril 2019

« D’abord, ce fut l’effarement. Qui pouvait penser que Notre-Dame brûlerait un jour ? Depuis 850 ans, elle n’avait jamais brûlé. Après la sidération, est venue la tristesse, accompagnée d’une émotion générale. Dès le début de l’incendie, je me suis rendu sur le parvis. » Propos recueillis par Bruno Bouvet et Claire Lesegretain.

La Croix : Par quels sentiments êtes-vous passé depuis lundi 15 avril, jour de l’incendie de Notre-Dame ?

Mgr Michel Aupetit : D’abord, ce fut l’effarement. Qui pouvait penser que Notre-Dame brûlerait un jour ? Depuis 850 ans, elle n’avait jamais brûlé. Après la sidération, est venue la tristesse, accompagnée d’une émotion générale. Dès le début de l’incendie, je me suis rendu sur le parvis. De demi-heure en demi-heure, j’ai suivi le travail des pompiers, avec Anne Hidalgo, la maire de Paris, et le général des pompiers. Mais aujourd’hui, tous les risques ne sont pas écartés : l’édifice comporte encore des vulnérabilités, notamment dans le transept nord dont le pignon est très fragilisé. Des portions de la voûte sont tombées depuis l’incendie et d’autres peuvent encore chuter. Il n’est donc pas question de réinvestir le lieu avant plusieurs semaines.

Avez-vous ressenti de l’accablement ?

Mgr M. A. : Non, une tristesse profonde, mais pas d’accablement. À l’image de tous ces gens qui se sont mis à prier. Tous voulaient rester debout ! Comme ces jeunes que je suis allé rejoindre dans la nuit, place Saint-Michel. J’y vois un signe très important. Toute la France, et même le monde entier, ont manifesté leur soutien et le désir de nous aider. Nous sommes portés par cet élan de solidarité pour reconstruire le cœur vivant de la France, qui est le lieu le plus visité d’Europe. Je suis frappé de voir, par exemple, tant de groupes de Chinois visiter Notre-Dame avec un grand respect. Quand ils pénètrent dans la cathédrale, ils s’arrêtent…

S’ils me voient agenouillé devant le Saint Sacrement, ils ne peuvent pas comprendre pourquoi ce bout de pain a tant d’importance, mais ils respectent quelque chose qui les dépasse. Notre-Dame n’est pas un musée, c’est une âme ! Parce que c’est un lieu universel, la question de sa reconstruction s’est posée immédiatement.

L’ampleur des dons commence à provoquer une polémique, certains regrettant que ces sommes ne soient pas affectées aux plus pauvres. Comment réagissez-vous ?

Mgr M.A. : Les plus pauvres, nous nous en occupons depuis longtemps, tous les jours. Et cela ne va pas s’arrêter. La Fondation Notre-Dame qui recueille les dons pour rebâtir la cathédrale aide aussi les plus fragiles. Dans le diocèse, l’Association pour l’amitié (APA) organise des colocations entre des personnes vivant autrefois dans la rue et de jeunes professionnels. Nous coordonnons aussi l’opération « Hiver solidaire », grâce à laquelle des paroisses mettent des locaux et des bénévoles à disposition des sans domicile fixe.
En ce qui concerne les grands donateurs, respectons leur geste et ne jugeons pas trop vite. Qui sait ce qu’ils font aussi socialement ? Beaucoup ont des fondations pour les plus démunis. Surtout, au-delà des mécènes célèbres, je constate qu’une foule de personnes donnent 10 ou 20 €. Pour elles, donner pour Notre-Dame, c’est donner une part de leur cœur. Partout dans le monde, chacun a envie d’apporter sa pierre, au sens propre du terme.

Très vite, le mot « miracle » est apparu pour évoquer le fait que le feu n’ait pas atteint les poutres des tours qui supportent les cloches. Le reprenez-vous à votre compte ?

Mgr M. A. : Le miracle appartient à Dieu, pas à l’archevêque. Au début de la nuit, le général des pompiers disait « on va sauver le beffroi ». Puis est arrivé un moment où il n’en était plus sûr du tout. J’ai vu le courage et le professionnalisme des pompiers qui ont travaillé avec une justesse et une rigueur remarquables. Au même instant, des chrétiens priaient. Cette conjugaison entre le travail des pompiers et les prières a peut-être permis d’éviter le pire.

Faites-vous une lecture spirituelle de ce qui est d’abord un accident dramatique ?

Mgr M. A. : Il est toujours facile de faire une relecture a posteriori. Nous comprendrons le sens de tout cela plus tard. La seule chose dont je sois sûr, c’est que Dieu tire toujours le bien du mal. Au pied de la croix, alors que tout était fini, quelqu’un était debout : c’était Notre Dame. Et le troisième jour, le Christ est ressuscité. De la mort de son Fils, Dieu a sorti le bien : sa résurrection et le salut de tous les hommes. Avec le scandale des abus sexuels dans l’Église, Dieu nous oblige à revenir à l’Évangile, à la pauvreté, à nous ressouder autour du Christ. Comme l’a fait saint François : il avait compris qu’il fallait rebâtir San Damiano, puis il a relevé l’Église en la fondant sur les valeurs évangéliques.

Comment relever l’Église ?

Mgr M. A. : D’abord par la purification, en vivant dans la vérité, comme le Christ l’a demandé. Nous avons déjà entamé un chemin de purification dans le diocèse de Paris depuis plusieurs années : pour dénoncer sans faille les abus, pour accompagner les victimes. Samedi dernier, j’ai rencontré longuement des victimes d’abus des années 1940-1965. Ces hommes m’ont expliqué pourquoi ils voulaient me rencontrer. Ayant été rejetés par leurs camarades de promotion pour avoir dénoncé un aumônier apprécié, ils avaient besoin que je leur dise : « je vous crois ».

Certains semblent contester la nécessité de ce travail de purification, au motif que les scandales seraient amplifiés par les médias…

Mgr M. A. : Les médias font leur métier. Il est vrai que l’Église ne devrait pas être la seule à accomplir ce travail de purification. J’ai été témoin jadis, en tant que médecin, de bien des abus commis au sein des familles. Mais nous, en tant qu’Église, nous devons être exemplaires – car chez nous c’est encore plus scandaleux – et tant mieux si les autres nous imitent.

Les scandales d’abus sexuels entachent gravement l’image de l’Église et peuvent donner à certains fidèles la tentation de la quitter. Que leur dites-vous ?

Mgr M. A. : Il n’y a que peu de demandes de débaptisation. Au contraire, les fidèles ont souffert mais ils ont envie d’être partie prenante du relèvement de l’Église. Je ne perçois pas de lassitude, c’est exactement le contraire. À la messe chrismale, mercredi 17 avril au soir à Saint-Sulpice, il y avait 6 000 personnes et cela sera sans doute la même chose lors des prochaines célébrations. Quand on est à terre, il faut trouver la force de se relever. Et pour cela, une grâce nous est donnée.

Source : Propos recueillis par Bruno Bouvet et Claire Lesegretain, La Croix, 19 avril 2019


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