Interview de Mgr Michel Aupetit dans La Croix

La Croix – 12 août 2021

Interview réalisée par Bruno Bouvet et Dominique Greiner.

La Croix : Vous présidez cette année le Pèlerinage national à Lourdes dont le thème « Tous appelés à la fraternité » résonne douloureusement après le meurtre du père Olivier Maire par un homme qu’il avait accepté d’héberger. Comment avez-vous réagi à cet événement tragique ?

Mgr Michel Aupetit : Par une très grande tristesse, évidemment. Quelle qu’en soit la raison, la pulsion mortelle de Caïn qui tue son frère Abel est toujours actuelle. Cela nous remet devant le grand mystère du mal. Quand Dieu interroge le criminel : « Où est ton frère ? » Ce dernier répond : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Oui, nous sommes les gardiens de tous nos frères et la seule réponse valable à toutes ces violences est donnée par Notre Seigneur Jésus-Christ : « Ce que tu fais aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que tu le fais. »

Comprenez-vous certains catholiques qui estiment que l’exigence de la fraternité doit aussi s’accompagner d’une certaine prudence, celle-ci ayant peut-être fait défaut eu égard au parcours de cet homme qui avait incendié la cathédrale de Nantes ?

Mgr M. A. : Jésus s’est fait le frère de tous sans exception. Comme dans une famille, on ne choisit pas ses frères et ses sœurs. On apprend simplement à les aimer. La prudence est une vertu capitale qui nécessite beaucoup d’humilité. Celle-ci nous pousse à ne pas nous croire omniscients et à demander aux personnes compétentes leur discernement. C’est probablement ce qu’a fait ce prêtre en recevant le conseil des juges et des psychiatres qui ont suivi professionnellement l’homme qu’il a accueilli.

Concernant la fraternité, mise à l’honneur durant le « National », n’avez-vous pas le sentiment qu’elle est parfois sérieusement mise à mal dans l’Église, comme viennent de le montrer les tensions nées de la publication par le pape François du motu proprio Traditionis Custodes, sur la célébration dans la forme extraordinaire du rite romain  ?

Mgr M. A. : Oui, la fraternité est mise à mal, mais pas seulement dans l’Église. La crise sanitaire a fait apparaître dans la société les concepts de « gestes barrières », de « distanciation » si bien que les édiles que je rencontre me disent tous : comment allons-nous rétablir la fraternité ?

Concernant le motu proprio du pape, je pense que François l’a publié au nom de l’unité dont il est le garant, en redonnant l’autorité aux évêques dans leurs diocèses. Le rite lui-même n’est pas remis en cause mais il faut que les fidèles de différentes sensibilités puissent se retrouver autour de la liturgie, même si elle s’exprime sous des formes différentes. Ce qu’il faut regarder d’abord, c’est le Christ, et non pas la manière dont on le célèbre et l’honore.

Comment comprenez-vous les divisions récurrentes entre les différentes sensibilités dans l’Église ?

Mgr M. A. : D’abord, je les ressens douloureusement. Ce qui nous rassemble est tellement plus important que ce qui nous divise. L’histoire le montre : l’unité de l’Église est une œuvre à recommencer perpétuellement.

La bonne volonté collective est évidemment utile mais il faut surtout se laisser dépasser par l’action de l’Esprit : la vérité n’est pas un concept qu’on peut lancer à la face des autres. La vérité est une personne, le Christ. Elle ne peut se laisser enfermer, car nous avons toujours à apprendre des autres. La première pierre de l’unité, c’est l’humilité.

Dans votre diocèse, vous avez été confronté cette année à une crise consécutive à votre décision de fermer le centre pastoral Saint-Merry, animé par des catholiques considérés comme progressistes. Quelles leçons en tirez-vous ?

Mgr M. A. : Après la démission successive de trois curés – l’un évoquant un climat de haine qu’il n’avait jamais vu auparavant et l’autre étant obligé de se reposer durant trois mois –, j’ai dû prendre une décision, forcément douloureuse.

C’est vrai que le centre pastoral Saint-Merry a été pionnier dans l’accueil des personnes pauvres et situées aux marges de la société. En confiant à partir du 1er septembre la paroisse à la communauté de Sant’Egidio, tournée vers les plus fragiles et les migrants, une certaine tradition se perpétue, je crois.

Que pourrait-on faire pour améliorer, dans l’Église mais aussi dans la société tout entière, cette « culture de la fraternité » dont parle le pape François dans l’encyclique Fratelli tutti ?

Mgr M. A. : La fraternité repose sur une paternité commune. Dans une famille, les frères et sœurs ne se choisissent pas ; pourtant, ils apprennent à s’aimer. Cela pourrait être une voie à suivre. Quand j’étais curé, je me réjouissais de voir qu’un professeur de médecine côtoyait une femme de ménage tamoule : cela n’aurait pas pu exister ailleurs. Nous avons la chance d’être une religion de l’amitié.

« Je vous appelle mes amis », dit Jésus, c’est incroyable, non ? Ce n’est pas une amitié, qui relève d’une accointance de l’âme, comme dirait Montaigne, elle prend sa source en Dieu qui nous choisit. La fraternité, ce n’est pas un élan du cœur, c’est une décision à prendre. C’est ce qui distingue le partenaire du prochain…

Les lois de bioéthique mais aussi la vaccination contre le Covid-19, parmi d’autres sujets, créent des fractures dans la société, révélant l’impossibilité d’un consensus. Quelles réflexions vous inspirent-elles sur le discours que doit tenir l’Église ?

Mgr M. A. : Tous ces sujets, comme la sauvegarde de l’environnement, mettent en cause les limites de la toute-puissance de l’homme. L’Église n’est d’ailleurs pas seule à s’y intéresser. Alerter avec lucidité sur ces limites me semble une œuvre de salut public, même quand ces sujets intéressent moins le grand public. Il faut bien que quelqu’un s’exprime, ce que nous faisons, avec plus ou moins de succès…

Plus largement, ce qui nous préoccupe, c’est comment chacun peut trouver sa place dans la société. Écoutons attentivement les différentes formes de protestation qui expriment un sentiment de déclassement, de déconsidération. Je suis aussi frappé par le désir des jeunes générations de ne pas suivre une voie toute tracée, mais de répondre à leurs aspirations profondes, qui se dévoilent progressivement au fil de leur vie.

Alors que la campagne pour l’élection présidentielle de 2022 va s’ouvrir à la rentrée, qu’auriez-vous envie de dire aux futurs candidats ?

Mgr M. A. : Je ne suis pas sûr d’être habilité à leur donner des conseils, restons modestes… Je pense néanmoins qu’il faudrait permettre aux Français de retrouver de l’enthousiasme pour se projeter à long terme. Notre pays est magnifique et nous ne savons même plus nous en rendre compte.

Il nous faut aussi revisiter paisiblement notre histoire, parfois très douloureuse, pour comprendre qu’elle est la source de ce que nous sommes aujourd’hui. Cet héritage n’est pas si mauvais. Notre pays s’en est toujours sorti par le haut, pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui ?

Dans Fratelli tutti, François fait le diagnostic que le manque de fraternité vient d’abord de la perte du sens de l’histoire…

Mgr M. A. : Effectivement, le fait de s’en tenir uniquement à l’immédiateté conduit nécessairement au conflit car notre regard ne se porte que sur les difficultés à résoudre. Regarder le passé oblige à prendre de la hauteur. Cela me semble indispensable aujourd’hui.

Revenons un instant à Lourdes. Que représente le sanctuaire pour vous ?

Mgr M. A. : Quand j’étais évêque à Nanterre, je venais tous les deux ans à Lourdes avec le diocèse. Il y a quatre ans, ma belle-sœur, qui est handicapée en fauteuil, s’est jointe à nous. Bouleversée par ce qu’elle voyait, elle m’a dit : « Ici, c’est le monde à l’envers ! » Et je lui ai répondu : « Non, ici, c’est le monde à l’endroit, les personnes malades et handicapées sont au premier rang comme elles devraient l’être dans la société. » J’ai toujours trouvé cela extraordinaire.

Source : https://www.la-croix.com/Religion/Mgr-Michel-Aupetit-fraternite-decision-prendre-2021-08-12-1201170461

Interventions

Interventions