Extrait de la conférence “Sainte Jeanne d’Arc et sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, deux saintes au cœur de la première guerre mondiale”
Conférence donnée par le père Nicolas Van der Maelen, dans le cadre d’un cycle sur les saints de Paris.
Extraits.
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I. 1. Sainte Jehanne d’Arc devant Paris
Quand sainte Jehanne vient à Paris, elle passe par ce qui sera un jour le 18e arrondissement, dans le quartier de La Chapelle.
Nous sommes en 1429, au cœur de cette guerre fratricide dite de Cent ans, et les Anglo-bourguignons, en la personne du duc de Bedford, ennemis jurés du roi de France Charles VII, occupent notre chère capitale.
Depuis 9 ans (1420) Paris est occupée. Le roi Henri V d’Angleterre, bien assuré de la coopération des bourgeois parisien par l’octroi de nombreux privilèges, ne fait plus que compter nos lys dans ses grandes armes du Royaume-Uni et de France. Il tient bien en main notre capitale avec le concours des autorités civiles de Paris oublieuses de leur roi légitime.
Sainte Jehanne d’Arc, nous le savons, après bien des péripéties du côté des châteaux de la Loire, a retrouvé son gentil Dauphin qui avait du mal à croire en lui pour le faire parvenir jusque dans la ville qui fait les rois, Reims. Depuis sainte Geneviève, sainte Clotilde, les saints Rémy et Waast, cette cité est devenue celle qui sacre nos rois, à l’exception d’Henri IV qui le sera à Chartres. Si l’on est roi de par sa naissance (Le roi est mort ! Vive le roi !), le sacramental du sacre avec le saint chrême et la cérémonie solennelle qui l’entoure, fait du roi de naissance le roi de fait, incontestable et incontesté pour tous les Français comme pour les monarchies étrangères.
Charles VII a été sacré le 17 Juillet 1429. Désormais, on peut reconquérir la capitale du royaume pour asseoir son autorité bien que la ville et ses habitants félons soient désormais apeurés du résultat de la prise de la ville.
Les armées royales viennent camper près du tombeau de l’apôtre de notre cité, à Saint-Denis, où repose l’oriflamme de gueule. Jehanne, elle, va occuper le quartier de La Chapelle Saint-Denis, encore petit village situé à mi-chemin entre Paris et Saint-Denis (l’annexion à la capitale se fera en 1860). Et de là, l’assaut s’organise.
Malgré les avis contraires, le 8 septembre 1429, après avoir prié et communié dans l’église de La Chapelle, située juste à côté de la basilique actuelle qui porte son nom et celui de Saint-Denys, brandissant son si cher étendard qui est une véritable profession de foi au Christ, à Marie et aux saints Anges, elle lance l’assaut sur la porte Saint-Honoré (actuellement sur le boulevard de l’Opéra).
Malheureusement pour elle la tentative est un échec et les Parisiens apeurés de la réaction royale défendent âprement leur ville contre leur propre roi. Sainte Jehanne sera blessée à la cuisse par un carreau d’arbalète et les troupes royales devront abandonner leurs positions.
Si elle n’ira pas plus loin, ce quartier comme les Parisiens auront été marqués par sa ferveur, sa jeunesse et l’aura qui se dégage de sa personne. Jehanne, elle, restait persuadée de réussir le lendemain tandis que, dans Paris, le parti des Armagnac relevait la tête. Cependant, arriva l’ordre royal de ramener toutes les troupes et la Pucelle à Saint-Denis...
Trois lieux témoignent jusqu’à aujourd’hui de sa présence parisienne.
Dans le quartier du Louvre nous avons sa statue équestre dorée mais aussi un buste, rue Saint-Honoré presque en face de la Comédie Française, en mémoire de l’assaut raté. Nous avons une autre statue équestre se trouve devant la paroisse Saint-Augustin. Enfin la basilique qui lui est dédiée et dont nous reparlerons, dans le quartier de La Chapelle.
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II. 2. Le miracle de la Marne
Au début de septembre 1914, l’attaque de la 1ère armée allemande sur Paris, mettait notre capitale en grand danger. À Compiègne, dès le 2 septembre, l’ennemi annonçait son entrée dans Paris pour le 4. L’avant-garde n’était qu’à 50 km. On entendait déjà le bruit du canon. Le gouvernement, replié sur Bordeaux avait ordonné aux troupes de se retirer derrière la Seine. Gallieni, gouverneur militaire était chargé de défendre la capitale et de miner les ponts.
À Paris, les églises étaient pleines. Les foules venaient demander à la bienheureuse Jehanne d’Arc et à sainte Geneviève d’intercéder auprès de Dieu et de Notre-Dame en faveur de la France. C’est dans cette ambiance de panique, de détresse et d’attente angoissée qu’il faut situer le vœu qui est à l’origine de la nouvelle église dédiée à la future sainte à Paris. Sans ce vœu, cette église n’existerait pas.
L’armée allemande progresse dangereusement vers Paris et tous se souviennent du terrible blocus qui affama la capitale en 1871 comme des atrocités de l’armée d’occupation. L’abbé Margand, curé de la paroisse de Saint-Denys de la Chapelle invoque aussi Jehanne d’Arc qu’il considère comme une sainte. 485 ans auparavant, presque jour pour jour, elle avait prié dans cette église où lui-même prie et officie. Il fait le vœu de lui construire une basilique sous son patronage (elle n’est pas encore canonisée et un titulaire d’église ne peut normalement pas être un bienheureux, ce qu’elle n’est pas encore…) à la condition que Paris soit préservée des armées allemandes. Celui-ci prêchait à ses fidèles :
De même qu’en 1870, on a fait vœu d’élever la basilique du Sacré-Cœur, prenons l’engagement solennel d’élever en ce lieu une basilique à Jeanne d’Arc si Paris n’est pas touché par les armées allemandes.
Tous les fidèles applaudirent leur curé et Le Figaro du 7 septembre 1914 relate le fait et souligne :
C’est un engagement d’honneur. Paris voudra le tenir.
Ce même jour, 2 événements inattendus se produisent : le général Gallieni constitue une armée en mobilisant tous les soldats qu’ils trouvent, et peu importe leur état, ainsi que tous les taxis parisiens pour lancer une ultime contre-attaque. Du côté allemand, inexplicablement, le général Von Klück, au lieu d’avancer tout droit sur Paris vers une victoire certaine, oblique vers l’Est et se dirige vers Meaux.
Ces deux décisions débouchent sur la fameuse bataille de la Marne, première victoire française, qui stoppe l’avancée allemande et permet aux Parisiens de conserver intacte leur capitale. Depuis le ciel, Jehanne d’Arc continuait de veiller sur les Français.
Le 4 septembre fut le jour le plus angoissant de la guerre. C’était le 1er vendredi du mois, jour consacré au Sacré-Cœur. En l’absence du Cardinal Amette qui était à Rome pour le conclave qui allait élire Benoît XV, Mgr Odelin, vicaire général, célébrait la messe à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Après la messe, dans la chapelle des armées dédiée à saint Michel et à la bienheureuse Jehanne d’Arc, il faisait lui-aussi le vœu d’élever une église à Paris en l’honneur de la future sainte si la capitale était épargnée. Il s’agissait d’un vœu conditionnel fait au nom du Cardinal Archevêque de Paris encore absent. Il voulait soumettre ce vœu à l’approbation de l’Archevêque dès son retour de Rome.
Dès l’instant où les deux vœux furent émis, l’avancée allemande fut brutalement bloquée.
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Le 9 septembre, le Cardinal revenait de Rome et était informé du vœu conditionnel de son vicaire général durant son absence. Il répond qu’il réfléchira avant de rendre ce vœu officiel et définitif.
Le dimanche 13 septembre, la victoire de la Marne était acquise mais la guerre était encore loin d’être gagnée. Ce jour-là, le Cardinal Amette présidait à Notre-Dame de Paris la procession des reliques des Saints de France. 30.000 fidèles prièrent dans notre cathédrale, sur le parvis et dans les rues avoisinantes.
Depuis le commencement de la guerre plusieurs ont exprimé la pensée de promettre par vœu l’érection d’une église à Jeanne d’Arc, dans la capitale, pour obtenir la victoire.
Nous avons devancé ce désir puisque depuis plusieurs années déjà, nous avons résolu de construire à Paris une église à Jeanne d’Arc. Eh bien, aujourd’hui, je fais vœu de poursuivre au plus tôt la construction de cette église et de la dédier à la bienheureuse Jeanne d’Arc, en ex-voto commémoratif pour le salut et le triomphe de la France.
Après la guerre, en 1919, le Cardinal Amette confirmera publiquement son vœu.
Il rappela que le pape saint Pie X avait bien voulu lui permettre, par une rare infraction aux règles canoniques, de dédier une église à une simple bienheureuse.
Nous canoniserons Jeanne d’Arc, avait dit le Saint-Père, avant que l’archevêque n’ait eu le temps de lui élever son église.
L’année suivante, le 16 mai 1920, Benoît XV qui avait succédé à saint Pie X, déclarait Jehanne d’Arc, sainte.
Si Notre Dame a protégé Paris, comme le disait les soldats allemands, Ste Geneviève et Ste Jehanne y furent aussi pour quelque chose. Les vœux s’étant accomplis, il fallait maintenant les honorer et ériger une église en l’honneur de la future sainte.
II. 3. L’érection de la basilique
Après la guerre il faut trouver un endroit pour construire la nouvelle basilique. Les paroissiens de Saint-Denys de la Chapelle et leur nouveau curé, l’abbé Georges Derroitte, demandent au cardinal Dubois, nouvel archevêque de Paris, qu’elle soit construite dans le quartier-même où Jeanne d’Arc avait résidé, près de l’église où elle avait prié, seul édifice parisien qui garde le souvenir de son passage devant notre capitale. L’église existante était trop petite pour les besoins de la paroisse. La proposition fut acceptée avec l’intention d’adapter les bâtiments aux nécessités du moment.
Le curé de la Chapelle envoie l’un de ses paroissiens à Lourdes, pour demander de l’aide à Marie car il faut désormais trouver et le terrain et l’argent pour en faire l’acquisition. C’est le 11 février – et dire que certains ne croient pas en la Providence… – qu’un contrat est signé pour l’achat du terrain mitoyen de l’église de Saint-Denys. Le terrain tout proche de l’église et dans le prolongement de l’école paroissiale de garçons est acheté par l’Archevêque. La construction sera mouvementée et durera plus de 30 ans, de 1929 à 1964 (pour des raisons financières mais aussi politique avec l’occupation de la 2e guerre mondiale). Elle fut consacrée par le Cardinal Feltin, le 10 mai 1964, année du cinquantenaire du vœu et de la bataille de la Marne.
Pour des raisons financières, la basilique Sainte-Jeanne d’Arc ne fut pas construite selon ses plans d’origine. Elle est néanmoins imposante : sa nef est la plus large de toutes les églises parisiennes. L’église n’a pas été élevée au rang de basilique mineure mais tous l’appellent lui confère ce titre en souvenir de la prière de Ste Jehanne et de la réalisation du vœu. On voulait inscrire sur sa façade cette inscription : « À Jeanne d’Arc qui sauva deux fois la France » ; mais elle n’y figure pas car cette partie de l’église n’a jamais été achevée.
Le 7 Juin 1929 la première pierre est posée et bénie par le cardinal Dubois. La bénédiction apostolique, demandée au pape Pie XI par le cardinal Verdier, est accordée à tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, participent à cette œuvre. Le 8 mai 1932, le cardinal Verdier vient bénir le chantier. 3 ans plus tard, le 12 mai 1935, il bénit et ouvre au culte le premier tiers du projet, déjà réalisé. Les travaux reprendront en mars 1955. On fait une collecte dans toute la France pour réunir les derniers fonds nécessaires mais le projet, beaucoup trop onéreux, est abandonné.
L’inauguration de la basilique Sainte-Jeanne d’Arc a enfin lieu en 1964, cinquantenaire du vœu et de la victoire de la Marne. Le 10 mai 1964 elle est consacrée par le Cardinal Feltin.
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