Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Jubilé des prêtres d’Île-de-France à Notre-Dame de Paris

Jeudi 5 juin 2025 - Notre-Dame de Paris (4e)

 Lire le message du Saint-Père adressé aux prêtres à l’occasion de cette journée et voir l’album-photos.


 7e semaine de Pâques - Année C

- Ac 22, 30 ; 23,6-11Ps 15 (16) ; 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11 ; Jn 17, 20-26

Déjà à la fin du chapitre 15 des Actes des Apôtres, le message dont Jude et Silas sont porteurs auprès de la communauté d’Antioche, avec Paul et Barnabé, se terminait par ces mots : « vous agirez bien si vous vous gardez de tout cela - c’est-à-dire si vous évitez des comportements réprouvés. Bon courage ! » Et ici, à la conclusion du passage que nous venons d’entendre : « La nuit suivante, le Seigneur vint auprès de Paul et lui dit : Courage ! Le témoignage que tu m’as rendu à Jérusalem, il faut que tu le rendes aussi à Rome. »

Évidemment, il y a une gradation entre les deux appels au courage. Pour la communauté d’Antioche, il faut se garder du mauvais. Il n’y a pas spécialement d’envoi, mais l’appel à un témoignage de vie, fidèle, sans extravagance, sans croire que l’on doive faire des actions éclatantes pour se montrer les disciples du Christ ; mais seulement, ne pas chercher à imiter le monde, ne pas se laisser aller au gré des courants d’opinion, ou des intimidations d’influenceurs qui agitent les menaces et font jouer les scrupules malfaisants.

Pour Paul, c’est bien autre chose : il a reçu un ministère exigeant, il a déjà été inquiété à cause de sa hardiesse à annoncer la Parole de Dieu, et le salut procuré par le Christ pour tout homme. Il s’est dépensé et ce ministère va le mettre sur les routes dangereuses. Pour le Christ, il va continuer à donner tout ce qu’il est, jeter toutes ses forces dans une œuvre qui n’est pas la sienne, mais le combat même du Christ. Avec la force que le Christ va lui donner, il va s’engager dans un combat décisif pour que l’Évangile soit annoncé au cœur de l’empire, au départ de toutes les routes qui rejoignent le monde connu jusqu’à ses limites, ses frontières. Rejoignant le centre, il met l’Église naissante dans la capacité d’aller où les hommes de son époque vivent, et même là où se joue l’avenir. Au cœur du monde conquérant et souvent violent, non pas pour le dominer, mais pour le sortir de sa suffisance, pour lui révéler qu’il y a bien mieux que les manifestations de la puissance terrestre. Il y a la vie, il y a l’espérance de la vie donnée qui ne se laisse pas abattre, il y a la miséricorde d’un Dieu qui « en réalité n’est pas loin de chacun de nous » (Ac 17, 27), il y a la résurrection par laquelle nous vivons déjà auprès de Lui dans l’attente de Le voir.

Courage ! Oui, il en faut au peuple chrétien qui est invité à se démarquer du monde dans lequel il vit ; mais il l’aime aussi ce monde, puisqu’il est sauvé, puisqu’il est rempli de toute la création que Dieu a faite, et de nous tous qu’Il aime d’un amour indéfectible. Dans les circonstances que nous vivons aujourd’hui, dans l’incertitude des chemins que nos sociétés prennent, dans les violences et les soubresauts permanents des relations internationales qui font tant de victimes, tant d’orphelins, tant d’affamés, il faut bien que le peuple chrétien soit courageux, il faut bien que chacun des fidèles du Christ trouve de la force. Il faut bien qu’il trouve des aides dans les ministres que le Seigneur envoie, il faut bien qu’il trouve des raisons de tenir bon dans l’écoute de la Parole et dans la vie sacramentelle que ses ministres peuvent lui dispenser.

Il faut aussi que les ministres que nous sommes sachent qu’ils puiseront du courage dans la Parole du Seigneur, dans la prière qu’ils échangent avec Lui, dans les sacrements qu’ils donnent et qu’ils reçoivent également, et dans le peuple de Dieu lui-même. Ce qu’apportent les serviteurs de Dieu, ils le reçoivent aussi ; ce que nous recevons, nous ne le gardons pas pour nous. La grâce que Dieu nous fait ne peut pas s’arrêter à nous, elle doit sans cesse couler, déborder, partir au loin, inonder y compris là où nous n’en avons pas l’idée !

Qu’il est beau le message que nous venons de recevoir du Pape Léon, à l’occasion du centenaire de la canonisation de trois saints qui ont marqué notre histoire moderne. Le Saint Père en tire une leçon pour notre temps, je le cite : « Je ne retiendrai, dans ce bref Message, qu’un trait spirituel que Jean Eudes, Jean Marie Vianney et Thérèse ont en commun et présentent de manière très parlante et attrayante aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui : ils ont aimé sans réserve Jésus de manière simple, forte et authentique ; ils ont fait l’expérience de sa bonté et de sa tendresse dans une particulière proximité quotidienne, et ils en ont témoigné dans un admirable élan missionnaire. »

Il prend un relief spécial ce message qui déborde l’histoire personnelle et anecdotique de chacun de ces trois, lorsque nous lisons l’évangile d’aujourd’hui : « Père saint, je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. » Nous sommes comme entraînés à ne pas briser cette chaine. Nous sommes loin de préoccupations d’organisations, de territoires et d’argent qui parfois occupent le champ de nos pensées et de nos conversations : je n’ai pas dit qu’elles ne s’imposaient pas à nous aussi, parce que nous sommes incarnés, et que la bonne nouvelle du salut ne saurait se passer du temporel qu’il faut affronter, du charnel que Charles Péguy remet sans cesse sous nos yeux puisqu’il s’agit d’y insuffler l’Évangile.

Mais ces préoccupations sont finalisées dans le témoignage de l’espérance de cette année jubilaire ; notre ministère s’accomplit en ouvrant les yeux sur la prière du Christ qui nous rejoint ; notre ministère se réalise lorsque nous travaillons à l’Unité qui est son œuvre au milieu de nous et que nous prenons garde de ne pas blesser ni contredire ; notre ministère trouve son sens dans la joie du Christ qui est venu pour faire connaître le Nom du Père. Là aussi se trouve et se trouvera toujours notre joie.

Dans le monde qui s’étourdit de consommation et s’impatiente de nouveautés qui ne le satisfont jamais, nous percevons aussi que la joie renaît là où des personnes reconnaissent la chaleur d’une présence inattendue, la force d’une ouverture aux oubliés, le dynamisme inépuisable des vies données, la reconnaissance humble de sa propre fragilité et l’ouverture à un monde qui prend racine dès maintenant et s’accomplira pour toujours dans le don sans cesse renouvelé de la miséricorde divine.

Nous le constatons ces dernières années : le feu de Pâques brûle dans beaucoup de cœurs qui ne s’y attendaient pas toujours. Les catéchumènes, les néophytes, et tous ceux qui se relancent dans une vie à la suite du Christ voient tout ce que ces découvertes transforment en eux et autour d’eux. Nous l’avons senti, l’annonce d’un concile provincial sur ce sujet a suscité auprès de ceux qui l’ont entendue une espérance : « Le catéchuménat et le néophytat, un don de Dieu pour le monde, une joie et un défi pour notre Église. » Réunir sur ce projet nos huit Églises diocésaines est certes une tâche, une organisation, une occasion de débats, mais ce sera surtout une prière, une célébration – puisqu’un concile se célèbre - une action de grâce à Dieu qui agit dans notre monde.

Vous prêtres qui êtes venus vivre ensemble cette journée jubilaire, depuis les huit diocèses de notre province et avez voulu vivre cette célébration eucharistique dans Notre-Dame rebâtie, dans cette basilique métropolitaine, signe d’unité dans l’Église, votre ministère trouvera à s’exprimer tout au cours de ces prochaines années en étant de solides éducateurs de la foi, comme le demande le Concile de Vatican II dans Presbyterorum ordinis, ce texte sur le ministère et la vie des prêtres qui nous a accompagnés au long de cette journée.

Des éducateurs de la foi, c’est-à-dire des serviteurs du Seigneur qui cherche à se faire connaître et qui appelle chacun de ses disciples à vivre dans l’unité la variété des services de son amour. Ce don, Il nous le fait aujourd’hui encore. Et nous le supplions de le faire pour nous chaque jour.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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