Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Gervais pour le jubilé des 50 ans des Fraternités Monastiques de Jérusalem

Samedi 1er novembre 2025 - Saint-Gervais (4e)

– Solennité de la Toussaint

- Ap 7,2-4.9-14 ; Ps 23,1-6 ; 1 Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12a

C’est évidemment une joyeuse occasion, une joyeuse occurrence, que celle de la Fête de Tous les Saints et celle de la fondation de votre institut il y a tout juste 50 ans, et l’occurrence aussi du renouvellement des engagements, le renouvellement jubilaire des engagements pris par cinq d’entre vous.

Mais pourquoi fêtons-nous la Toussaint ? Je m’inspire de la lecture qui est à l’office et que nous avons lue aujourd’hui, la lecture de saint Bernard : pourquoi fêtons-nous les saints tous ensemble ? Pourquoi avons-nous entendu ce passage de l’Apocalypse ? Et pourquoi avons-nous entendu aussi cette proclamation des Béatitudes, comme chaque année, ainsi que la première Lettre de saint Jean : « Voyez quel grand amour nous a été donné » ? Pourquoi le faisons-nous sinon pour exciter en nous le désir, comme le dit saint Bernard : « Je sens au souvenir des saints monter en moi comme un violent désir. »

Un violent désir de communion, de communion avec tous les saints. Ils ont marché, ils sont devant nous et nous avons la grâce d’être dans leur compagnie. Voilà ce qui aujourd’hui nous fait les fêter tous ensemble, même si jour après jour nous en fêtons de nombreux et nous sommes attachés à l’un ou à l’autre davantage. Mais tous ensemble nous savons que nous bénéficions de la communion dans laquelle ils nous font entrer, ou plus exactement dans laquelle le Seigneur nous fait entrer avec eux. Parce que la deuxième raison que saint Bernard invoque, de ce désir violent qui l’habite au souvenir des saints, c’est d’être dans la communion du Seigneur, c’est d’être dans sa lumière, c’est de désirer d’un grand désir d’être avec Lui pour toujours, même si nous sommes encore en chemin et que la communion avec Lui, qui est déjà réelle, n’est pas pleinement accomplie et pleinement aboutie pour ce qui nous concerne, puisque nous sommes toujours sur le chemin.

Mais j’aime bien ajouter une troisième raison : c’est celle de nous apprendre à discerner, à découvrir, sur le chemin de la vie, la sainteté de ceux qui ne sont pas encore béatifiés ni canonisés, et de tous ceux qui sont dans la sainteté de leur vie discrète et presque inaperçue. Apprendre au contact des saints et avec la grâce de Dieu qui nous permet de vivre déjà avec Lui, apprendre à discerner la sainteté qui est autour de nous et qui nous est proposée, ce que le pape François désignait comme « la sainteté de la porte d’à côté ». Apprendre à la découvrir, apprendre à l’aimer, apprendre à être sur le chemin où nous discernons peu à peu où se trouve la vraie joie, où nous apprenons peu à peu à découvrir, comme le disait saint Irénée, que non seulement la gloire de Dieu c’est l’homme vivant que nous sommes, mais que la joie et la vie de l’homme c’est la vue de Dieu. Nous avons besoin d’apprendre à discerner cela dans la vie la plus quotidienne. Le Seigneur ne fait pas des saints au terme de leur vie, mais le Seigneur appelle les hommes et les femmes que nous sommes à devenir des saints au cours de leur existence.

Cinquante ans après votre fondation, sous l’inspiration de l’Esprit Saint et la conduite imaginative de votre fondateur, le Père Pierre-Marie Delfieux, vous voilà désireux de refonder et de redire au Seigneur la force de cet engagement et de le décrire à nouveau pour le monde d’aujourd’hui et pour les années qui viennent.

Dans le Chapitre récent que vous avez tenu, vous avez voulu redire cet engagement à une vie monastique, pleinement monastique, dont vous avez parlé tout à l’heure dans l’introduction de cette eucharistie. Une vie pleinement monastique qui soit une vie fraternelle et communautaire, qui soit une vie de travail, une vie de prière et de liturgie vécue ensemble, une vie de service et d’accueil, notamment d’accueil de ceux qui marchent pauvrement sur le chemin, de ceux qui sont les plus pauvres, les plus oubliés, de tous ceux qui sont oubliés dans leur vocation spirituelle et qui en ont le désir mais ne savent pas comment, ou qui ont besoin d’être simplement accompagnés. Vous le faites en n’oubliant pas que l’Église chemine aussi, que l’Église au milieu de laquelle vous vous trouvez tâche sans cesse de renouveler et de comprendre, dans l’aujourd’hui qu’elle vit, quelles sont ses tâches, ses tâches qui ont besoin d’être sans cesse redites, rénovées et remises dans les situations du monde. Tout particulièrement, vous l’avez noté, l’accueil des pauvres : vivre avec eux, ne pas simplement rester à la porte de l’Église ni les laisser à la porte de l’Église, mais faire en sorte qu’ils trouvent leur place dans l’Église et leur permettre de ne pas être oubliés sur le chemin d’une vie spirituelle qui leur appartient aussi. Comme je le disais à l’instant, toutes sortes de pauvretés spirituelles dans le monde d’aujourd’hui requièrent notre attention, notre prière, et notre fraternité.

Mais aussi vous savez dire, redire, vivre jour après jour, et vous voulez que tous ceux qui vivent avec vous et qui viennent ici prier ne cessent de découvrir chaque jour de façon nouvelle, la centralité de la Parole de Dieu, le besoin de l’accueillir, le besoin de l’entendre commenter, le besoin de savoir qu’elle est une parole pour chacun, qu’elle est une parole non pas dite une fois pour toute et lancée à la cantonade, mais en permanence adressée à des personnes qui la reconnaissent pour source de vie. Et vous savez aussi que l’Église cherche de plus en plus, parce que c’est le chemin qui est devant nous, qui est là aujourd’hui et devant nous, comme nous l’a rappelé très vigoureusement pendant des années le pape François, le chemin de la synodalité. C’est-à-dire que tout ce qui concerne l’annonce de l’Évangile nous concerne tous et mérite d’être échangé et partagé. Quelles que soient la place et la fonction de chacun dans l’Église, l’expérience qu’il fait d’avoir reçu la Bonne Nouvelle pour lui, fait que son avis est important. Non pas pour les affaires de détail mais pour l’annonce de l’Évangile d’une façon qui soit profonde, efficace dans le cœur des hommes et des femmes de notre temps ; non pas pour reprendre des recettes anciennes mais pour imaginer vraiment ce qui est nécessaire aujourd’hui.

Le chemin de la sainteté est un chemin dans la vie ordinaire : il ne s’agit pas de survoler le chemin des autres ; il ne s’agit pas de se laisser aller à des envolées qui nous paraissent belles mais qui seraient sans efficacité, sans vigueur, sans le sentiment d’être proche des hommes et des femmes de ce temps pour leur annoncer l’Évangile. La sainteté que nous avons à vivre bien sûr nous avons la chance d’en savoir le terme. Le Seigneur transfiguré devant nous et nous indiquant le chemin des Béatitudes nous dit bien où nous allons, il nous permet de comprendre quel est le terme et la beauté de ce que nous avons à vivre, mais ce n’est pas parce que nous savons cela, ce n’est pas parce que la grâce nous est faite de cette révélation finale, que le chemin est accompli. Le chemin demeure un chemin de patience ; le chemin demeure un chemin de combat contre les forces les plus obscures qui sont au cœur de nos existences aussi, de nos paresses, de nos routines, de nos inattentions à la vie fraternelle, aux frères et aux sœurs, de nos engagements déviants, de nos oublis. Le chemin est un chemin ardu mais il est sans cesse porté par la connaissance de la fin, de l’objectif qui est d’être un jour associé à tous dans la lumière de Dieu.

Que le Seigneur vous donne, à vous frères et sœurs, que le Seigneur donne à tous ceux qui vivent dans votre proximité, à ceux que vous portez dans la prière et dans l’accompagnement, que le Seigneur vous donne à tous ce grand et violent désir dont parlait saint Bernard. Qu’il nous permette de ne pas oublier le terme devant les difficultés de l’existence et des combats qu’il faut mener. Et qu’il nous permette de ne pas oublier les âpretés de l’existence puisque nous savons où va le chemin.

Qu’il nous donne la joie de la sainteté vécue au quotidien.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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