Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe des étudiants d’Ile-de-France à Saint-Sulpice
Jeudi 16 octobre 2025 - Saint-Sulpice (6e)
- Ep 3,8-9.14-19 ; Ps 22 ; Mt 11, 25-30
Je ne sais pas ce que produit sur des étudiants l’évangile que nous venons d’entendre, qui ne s’adresse pas, semble-t-il, à des savants ni à des sages ! J’espère bien, ainsi que mes frères évêques qui sont là, que vous serez capables de devenir des savants, tout en ne vous imposant pas à tous comme des « sachants », et que vous deviendrez aussi des sages, des sages selon l’Évangile. En tout cas, pour être les sages et les savants que l’Évangile évoque, il faut savoir être des humbles aussi : des petits auxquels le Seigneur fait attention, des simples qui sont capables d’accueillir une parole qui les dérange.
Pourquoi cet évangile aujourd’hui ? Parce que nous avons choisi de lire les textes de la mémoire de sainte Marguerite-Marie, celle qui a reçu des visions du Sacré-Cœur de Jésus à Paray-le-Monial à la fin du XVIIe siècle. Et cet évangile dit en effet que c’est le cœur du Christ qui sait toucher ceux qui, même s’ils sont des sages et des savants, sont capables d’être des humbles, des petits et des simples devant le cœur de Dieu, devant le cœur de Jésus. Sainte Marguerite-Marie a vécu cette humilité au plus profond d’elle, elle a été extrêmement touchée par l’amour du cœur de Jésus qui l’a bouleversée. Elle a vécu humblement, comme une religieuse de la Visitation à Paray-le-Monial, et elle a non seulement vécu humblement mais elle a même été humiliée dans sa personne par ceux qui ne pensaient pas vrai qu’elle ait pu ainsi recevoir un tel témoignage de la gratitude, de l’amitié profonde du cœur de Jésus pour elle.
Le pape François, dans sa dernière encyclique qui date tout juste d’un an - Il nous a aimés, Dilexit nos - a longuement médité sur l’amour du cœur de Jésus et il a évoqué sainte Marguerite-Marie et bien d’autres qui ont été touchés par cet amour. Et il dit que Marguerite-Marie a découvert que l’amour de Jésus accueillait tous ceux qui se laissaient toucher par Lui, mais que l’amour de Jésus était aussi capable de ne pas avoir de rancœur contre ceux qui le rejetaient. Immense amour qui ne fait pas de différence ; immense amour qui espère sans cesse que tout homme, toute femme, qui entendra parler de l’amour du cœur de Dieu, du cœur de Jésus, pourra en être touché et se laisser convertir, se laisser transformer à condition d’avoir cette simplicité du cœur. L’expérience que Marguerite-Marie a faite l’a invitée à découvrir que le cœur de Jésus se répandait jusqu’à nous, et à travers au moins trois canaux disait-elle : le canal de la miséricorde, le canal de la charité et encore le canal de la perfection.
Le canal de la miséricorde : parce qu’il y a tant et tant de pécheurs dans le monde, dont nous sommes, il y a tant et tant de personnes qui vivent sans l’amour de Dieu, qui peuvent s’en éloigner, qui peuvent le renier, qui peuvent être inattentifs à Lui à un certain moment de leur existence et en désespèrent, que ce canal de la miséricorde peut les abreuver et cherche à les retrouver, sans cesse. Le canal de la miséricorde est fait pour nous, parce que nous ne sommes pas en permanence attentifs à l’amour de Dieu. Le canal de la miséricorde est fait pour passer à travers nous, de sorte que nous exercions aussi la miséricorde sur les autres et que nous leur montrions ce que le cœur de Jésus est capable de faire pour chacun d’entre nous et pour ceux dont nous percevons qu’ils s’éloignent. Et c’est le cœur de Jésus qui le fait davantage que nous. Mais c’est le cœur de Jésus qui le fait à travers nous si nous manifestons de la miséricorde.
Le canal de la charité : parce qu’il y a tant de monde autour de nous qui vit dans la pauvreté, qui vit dans l’inattention des autres, qui vit des conditions misérables, qui vit dans la guerre, dans la haine, dans les malheurs de la santé, de telle sorte qu’ils ont l’impression d’être oubliés, qu’ils ont l’impression de compter pour rien, sauf si nous commençons à faire attention à eux, sauf si nous commençons à croire que le cœur de Jésus, par le canal de la charité, peut nous transformer et nous rendre aussi aimables à eux qui souffrent, qui sont dans la peine, qui ont du mal à grandir, qui ont du mal à se faire reconnaître, qui ont du mal à être aimés et qui par conséquent ont peut-être bien du mal à aimer eux aussi.
Et enfin, le canal de la perfection : cela aussi c’est important, parce qu’il y a des gens qui sont sur ce chemin de la perfection de l’amour - et j’espère que vous en êtes - sur ce chemin de la perfection de la joie à partager, sur ce chemin de la perfection de la découverte de l’amour de Dieu et de sa transmission, sur le chemin de la ressemblance à Jésus Lui-même, sur le chemin de la ressemblance aux gens humbles comme Marguerite-Marie, comme la Vierge Marie et comme tant d’autres que, peut-être, vous ne connaissez pas encore mais que, dans votre vie, vous découvrirez jour après jour. Il y a tellement de sainteté à laquelle Dieu a appelé des hommes et des femmes, il y a tellement de sainteté qui s’est révélée à travers la vie de frères et de sœurs que l’Église a déclarés saints et saintes : vous ne les connaissez pas tous. Et puis peut-être en rencontrez-vous, autour de vous, des hommes et des femmes qui vivent dans la sainteté, c’est-à-dire tellement inondés de la douceur de l’amour de Dieu qui se révèle dans sa Parole et dans le don de l’eucharistie et des sacrements, dans le don de la charité, dans le don de la miséricorde, que l’on a envie de leur ressembler et de s’approcher de cet amour qui ne cesse de se déverser sur le monde qui n’y croit pas toujours, qui n’y croit pas assez, qui n’y croit pas tout le temps ?
Voilà un beau chemin.
L’apôtre Paul, dans la Lettre aux Éphésiens, nous ouvre aussi quelque chose d’extraordinaire. Quand il nous dit : « Découvrir la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur… ». Et puis il y a des points de suspension, la phrase n’est pas finie mais chacun de nous peut ajouter la suite : la largeur, la hauteur, la longueur et la profondeur… de l’amour du Christ qui est révélé, qui nous est apporté. La largeur de l’amour du Christ est manifestée par le Christ les bras étendus : elle comprend l’humanité tout entière. Le Christ va chercher large quand il invite ses disciples à jeter les filets ; c’est toute l’humanité qui est rassemblée dans l’amour du Christ. Le Christ va chercher très large, et nous ? Est-ce que nous allons chercher large aussi, dépassant les frontières naturelles qui sont dressées dans nos vies ?
Mais l’amour du Christ est aussi très long. C’est un amour qui ne se déçoit jamais, c’est un amour qui ne se fatigue jamais, il vient de très loin dans l’histoire des hommes et il ira très très loin dans l’histoire des hommes et du monde. L’amour de Dieu, l’amour du Christ, ne se fatigue jamais : le Christ nous montre qu’il est comme un coureur de fond.
Et puis la hauteur de cet amour : la hauteur de cet amour qui nous conduit jusqu’au Père. Nous ne sommes pas dans un amour qui se termine à nous, nous ne sommes pas dans un amour qui est simplement horizontal. C’est un amour qui nous mène à Dieu, qui nous mène à son Royaume, qui nous mène à sa paix, qui nous mène à sa joie. Cet amour ne s’arrête pas et ne nous met pas dans les nuages, il va aussi dans la profondeur de toute l’humanité. Une profondeur qu’il faut convertir, une profondeur qui semble si inatteignable au fond de nous, qui s’affronte aux résistances qu’il y a en nous, a une psychologie qui parfois a du mal à admettre tout cela, au péché qui est au fond de mon cœur aussi. Et cet amour, qui est si profond, est capable de nous retourner, de nous faire vivre et de nous donner toute l’énergie nécessaire pour lui ressembler : il est capable de nous transformer au fond de nous-mêmes.
Alors aujourd’hui nous voulions aussi prier pour la paix, et vous l’avez entendu dans la première oraison que j’ai prononcée : nous avons demandé la paix. C’est bien le moment de demander la paix : nous avons peut-être une toute petite fenêtre qui s’ouvre en ce moment au Moyen-Orient, on ne la voit pas encore s’ouvrir en Ukraine et dans une cinquantaine d’autres conflits qui sont dans notre monde. Mais la paix nous la désirons, nous savons qu’elle est capable de favoriser des relations davantage fraternelles. La paix, il faut la demander dans la prière. La paix commence chez nous, dans notre cœur et dans nos relations quotidiennes, en famille, avec des amis, et dans toutes les circonstances que nous rencontrons au cours de l’existence. La paix, nous voulons la demander avec insistance tous les jours, il le faut.
Et puis la paix peut se manifester, je pense, à travers tout ce que vous vivez, quand vous vous engagez comme scouts par exemple, quand vous vous engagez au service de plus jeunes que vous, quand vous n’oubliez pas les pauvres et les personnes âgées, quand vous vous engagez au service d’autres étudiants qui ont plus de mal que vous à vivre, vivre la paix, vivre les engagements. Vivre ce que nous vous proposons aussi dans les semaines qui viennent, il y aura les Rencontres européennes de Taizé. Avec Taizé, ceux qui en ont fait l’expérience le savent - et vous pourrez faire cette expérience à la fin de cette année et jusqu’au 1er janvier de l’année suivante - vous vivrez la largeur de l’amour du Christ pour toute l’humanité dans une rencontre internationale, dans une rencontre œcuménique entre chrétiens, ce qui est capital, nous préparant à des rencontres avec d’autres qui ne sont pas chrétiens, bien sûr. Et puis vous vivrez aussi cette exigence de recherche de la paix dont je parlais à l’instant.
Tout cela est présent dans l’eucharistie que nous célébrons, tout cela est présent au cœur de votre vie quotidienne, au cœur de votre vie d’étudiants, au cœur de votre vie d’adultes qui se préparent par leurs engagements à servir et à être des canaux de l’amour du cœur de Jésus pour tous.
Qu’il en soit ainsi pour chacun.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris