Interventions de Mgr Michel Aupetit lors de la réunion des conseils pastoraux sur le thème “Réfugiés-Solidarité au cœur des paroisses”

Saint-Denys de la Chapelle – 13 janvier 2018

 Lire le compte-rendu de la matinée.

Introduction Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris

Bonjour à tous,

Merci à vous tous, prêtres, curés, responsables de mouvements, paroissiens, diacres, laïcs en mission ecclésiale d’être venus.

Cette journée avait été voulue par le cardinal André Vingt-Trois parce que la question des migrants est récurrente et prend vraiment aujourd’hui une dimension importante. Cela ne fait que dix jours que je suis là et les questions des journalistes qui reviennent toujours, sont relatives aux migrants. C’est bien une question très importante pour notre monde d’aujourd’hui.

Il y a eu le 15 août dernier pour l’Assomption, le discours de notre pape François. Ce discours traitait justement des migrants, en particulier à travers quatre verbes : Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer.

Ce discours a été bien reçu, mais il a aussi posé quelques interrogations. Certains ont mal compris ce discours. Je disais récemment que nous sommes confrontés avec les personnes qui arrivent à deux questions, à deux principes. Le principe fondamental, c’est l’accueil inconditionnel des personnes. C’est tout à fait évangélique, le Christ a dit en Matthieu 25 : « j’étais un étranger et tu m’as accueilli ». Nous devons reconnaître le Christ dans ces personnes. Le deuxième principe, c’est que nous avons aussi, non seulement en fonction de la Doctrine sociale de l’Église mais en tant que citoyen, le souci du bien commun. Nous voyons que, comme d’habitude, comme pour l’amour et la vérité, nous sommes sur une ligne de crête et qu’il faut arriver à conjuguer les deux.

Est-il contradictoire de tenir le souci du bien commun et le souci des personnes qui sont là ? C’est ce que l’on appelle maintenant la tension éthique, c’est-à-dire que c’est justement-là que se situe l’éthique, c’est-à-dire la réflexion sur ce qu’il est bon de faire.

Nous sommes effectivement dans ce domaine de la compassion. « Souffrir avec », c’est « être avec ». Est-ce que la souffrance des autres nous touche ou est-ce qu’elle nous laisse indifférents ?

Comme ici aussi sans doute, quand j’ai relayé l’appel du Pape en 2015 sur le diocèse de Nanterre, tout le monde s’est mis en route. Pratiquement partout, des appartements se sont libérés, des gens ont accueilli dans leur maison, des écoles catholiques se sont ouvertes. Il y a donc eu une vraie réponse à cette souffrance de ceux qui viennent jusqu’à nous.

Cette souffrance effectivement touche notre cœur. Il y avait parmi ces gens un Egyptien dont on avait coupé les doigts, une autre famille dont l’ensemble de la famille avait été massacré. Forcément, cela nous touche. On ne peut pas être indifférent à ces souffrances-là, et tout de suite cela a ouvert les portes, parce que ces gens étaient en danger de mort, en danger de mort dans leur pays, en danger de mort immédiate. Là, effectivement la compassion prend le pas sur tout, et c’est bien.

Et puis, il y a une autre question. Nous voyons qu’aujourd’hui il y a de plus en plus de migrants confrontés à des problèmes économiques dans leur pays ou même simplement des changements climatiques qui entraînent des sécheresses. Ils n’ont plus les moyens de vivre dans leur pays et donc ils viennent ici chercher simplement des moyens de leur survie.

Nous sommes, nous, confrontés à un discours sur l’insécurité. Mais l’insécurité, ce n’est pas seulement le danger de l’ennemi comme, par exemple, celui des djihadistes islamiques. Non ! L’insécurité culturelle tout simplement ! Nous vivons dans un pays, dans une culture, nous sommes chrétiens et nous avons peur que d’autres prennent notre place et nous imposent une culture qui n’est pas la nôtre. Et ceci joue beaucoup dans nos réflexes de défense.

Alors comment faire ? Je crois qu’il faut déjà regarder ce qui s’est déjà fait. C’est ce que nous allons voir ce matin. Il y a des paroisses qui ont réagi devant cette souffrance. Certaines simplement parce que la souffrance était à leurs pieds. Quand on voit les gens dans la rue, devant chez soi, on a immédiatement le sentiment de vouloir les aider. Ensuite, on voit aussi, quand ils vivent à côté de chez soi, toutes les difficultés que posent la présence de ces personnes. Donc, on est partagé. Les paroisses qui sont impactées ont rapidement réagi et vous le verrez dans ce qui va suivre. Il y a aussi des paroisses qui ne sont pas impactées parce que là où elles sont situées, il n’y a pas de présence massive de migrants, mais ils se sont néanmoins mobilisés et vous le verrez aussi.

L’autre question c’est : comment apprendre à changer son regard et son cœur ? Pour reconnaître le Christ dans les pauvres, quels qu’ils soient, il faut changer son regard. Ce qui est important, c’est la rencontre. Dans le mot étranger, il y a le mot « étrange ». Effectivement, nous sommes bousculés par rapport à l’étrange. Est-ce que nous arrivons à surmonter cette appréhension face à l’étrange pour nous dire que, peut-être derrière cet étrange, il y a quelque chose qui va nous-même nous aider.

Qu’avons-nous à craindre ? Un changement culturel ? Eh bien, je me dis que, peut-être il faut se poser la question : sommes-nous aussi satisfaits de la société individualiste qui est la nôtre ? Sommes-nous vraiment heureux de cette société ? Est-ce que nous sommes repus au point de dire qu’il n’y a rien d’autre à faire que de la maintenir coûte que coûte ? Elle est fondée, vous le savez, sur la liberté qui est une bonne chose, mais la liberté de chacun où le seul trouble à l’ordre public limite cette liberté. Est-ce que nous n’avons pas à réfléchir ?

Ce que nous allons faire ce matin, c’est réfléchir, non pas à partir de théorie, mais à partir de faits concrets, de témoignages de personnes qui sont dans la rue, de témoignages de ceux qui les ont accueillis et d’apprendre à partager comme l’Évangile nous le demande. Puisque la seule manière d’aimer, c’est de donner sa vie – « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie » - et que donner sa vie, forcément cela nous dérange, cela nous bouscule, ce matin, laissons-nous un peu bousculer !

Mgr Michel Aupetit,
archevêque de Paris

Conclusion Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris

Ce matin nous avons été, enfin je l’espère, bouleversés. C’est bon d’être bouleversé ! Quand l’ange est venu voir la Sainte Vierge pour l’Annonce, elle a été « toute bouleversée ». Etre bouleversé, c’est le signe que la grâce est passée ! Donc, a contrario, si par hasard vous n’étiez pas bouleversés…

Aujourd’hui, nous sommes aussi bouleversés parce que nous sommes à la croisée des chemins, nous sommes devant des grands bouleversements, c’est incontestable. Si nous ne le voyons pas, c’est que nous sommes aveugles. Devant les grands bouleversements, il faut se reposer les questions essentielles. La question essentielle, c’est celle que Dieu a posée un jour à son peuple : « Je mets devant toi la vie et la mort, tu choisiras la vie ». Jean-Paul II a parlé de notre société en termes de « culture de mort ». Dans son encyclique L’évangile de la vie, il a rappelé la valeur suprême de la vie sans laquelle rien n’existe que le néant.

Derrière la question bioéthique et la question des migrants, les questions qui vont arriver après relèvent de la même interrogation. Qu’est-ce que l’homme ? Quelle société allons-nous construire ? Qui est celui qui frappe à ma porte ? Car en réalité, l’enfant non désiré qui survient nous dérange, notre parent âgé qui perd la tête nous dérange, le malade qui se plaint d’être mal ou de souffrir nous dérange, le migrant qui dort sur nos trottoirs nous dérange. La question est donc : est-ce qu’on accepte d’être dérangé ?

Le regard d’un handicapé, le regard d’un réfugié, c’est la même chose. Il fut un temps où j’ai soigné des personnes handicapées. Il y en avait un qui s’appelait Jacky et qu’on avait l’habitude de regarder comme un légume. Un jour, Jacky m’a regardé dans les yeux, et j’ai compris que plus personne ne pourrait dire que Jacky était un légume. Quand nous voyons la masse des migrants sous le périphérique, nous voyons des gens qui nous gênent, qui gênent notre regard surtout, mais si nous allons les voir et qu’ils nous regardent dans les yeux nous ne pouvons pas dire qu’ils ne sont pas humains et que nous ne pouvons pas les accueillir. C’est tout. Le changement de regard, c’est accepter simplement que quelqu’un nous regarde et que nous le regardions face à face.

Notre humanité, notre civilisation s’est construite sur cette image de Dieu que nous sommes. Dieu a déposé cela en nous. Cette image de Dieu est à ce prix. Est-ce que nous nous laissons déranger ? Nous avons maintenant un choix à faire : ou une société qui s’humanise, et donc qui accepte de se laisser déranger, ou une société des encombrants. Le Pape a parlé dans notre société de la culture du déchet. Nous sommes à cette croisée des chemins. Notre pays a traversé bien des vicissitudes et des bouleversements. Le Haut Moyen-Âge a vu affluer des populations entières qui ont remis en cause la culture qui s’y était installée. Les guerres de religions ont ravagé le pays. La Révolution Française a bouleversé l’ordre établi en l’accompagnant d’une terreur effrayante. Les guerres mondiales ont semé la mort au XXe siècle… Eh bien, l’Évangile a survécu à tout cela ! Et alors ? L’Évangile a survécu parce que l’Évangile a été vécu !

On parle souvent de mission. Le cardinal Vingt-Trois, dès qu’il est arrivé en 2005, a lancé notre diocèse en mission pour que nous annoncions l’Évangile. L’Évangile rend heureux, bouleverse notre cœur, change la société. Etre missionnaire, c’est indispensable, « malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile » ! Mais être missionnaire, ce n’est pas raconter du baratin ! Etre missionnaire, c’est vivre l’Évangile. Nous avons entendu tout à l’heure les témoignages de ces réfugiés ; ils ont dit : nous avons été accueillis, on nous a donné à manger. J’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’étais dehors et vous m’avez accueilli dans votre maison… C’est cela l’Évangile. Il s’agit d’annoncer ce qui fait cet Évangile et qui est derrière cet Évangile, Celui qui est le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, et que nous devons reconnaître dans celui qui justement est peut-être défiguré à nos yeux.

Aujourd’hui, il nous faut choisir la vie, la vie au prix de la générosité qui supplante l’égoïsme. Un changement du regard sur tous, la personne handicapée, le vieillard abîmé par les ans, le malade qui geint, le migrant dépouillé de tous ses biens … Par où commencer ? Plusieurs ont dit qu’on ne savait pas par où commencer, mais ils ont commencé, parce que comme dirait Brassens, « c’est par le bout du cœur » qu’il faut commencer. Quant aux moyens, on les met en place après. J’ai été étonné de l’imagination et du génie que pouvait susciter la charité. C’est toujours possible. Aujourd’hui on dit : ce n’est pas possible ; on peut mettre cinq ans, on peut mettre six mois, peu importe, mais l’important, c’est de se mettre en route.

Tout est lié. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est notre pape François. De la même manière que nous avons pris conscience que le désir humain égoïste et sans limite détruit la planète, il nous faut prendre conscience que le désir humain égoïste et sans limite détruit ce qui fait notre humanité, c’est la même chose. L’écologie, l’écologie humaine, l’écologie intégrale dont parle le Pape c’est la même chose. Il n’y a pas d’un côté le tri des déchets et de l’autre, notre désir qui peut nous conduire à écraser tout autour de nous. Détruire la planète, détruire ce que nous sommes, c’est la même chose : est-ce que nous acceptons de nous laisser déranger ?

Que pouvons-nous faire ? Ouvrir nos cœurs, ouvrir nos portes ? Est-ce que cette matinée nous a fait prendre conscience de ce qui s’est passé ? Que puis-je faire ? Et pour quoi le faire ? Pour être heureux tout simplement ! On a entendu ce témoignage tout à l’heure : « on a reçu plus que ce que l’on a donné ». Mais oui, cela rend heureux de regarder les autres ! Cela rend heureux de les accueillir ! Cela rend heureux de se laisser bousculer même si au départ, cela nous ennuie !

On a parlé de ce que dit le Pape : accueillir, protéger, promouvoir, intégrer. Je vais citer justement ce qu’ont dit les évêques de France mercredi dernier : « Nous lançons ici un appel solennel aux chrétiens et à tous les hommes et les femmes de bonne volonté pour qu’au sein de leur paroisse, d’un collectif, d’un mouvement ou d’une association, ceux qui le peuvent, s’engagent sur l’une ou l’autre de ces priorités. »

J’ai commencé en parlant de la Sainte-Vierge. Elle a été bouleversée, mais après, que s’est-il passé ? Elle a chanté le Magnificat. « Voici la servante du Seigneur », elle a accueilli le Verbe de Dieu, le Verbe s’est fait chair en elle.

Maintenant nous avons à faire la même chose. C’est l’Esprit Saint qui nous guide. Pour nous permettre d’accueillir l’Esprit Saint comme elle, c’est vers elle que nous allons nous tourner pour qu’elle intercède pour nous, pour que nous puissions nous laisser faire par l’Esprit Saint.

Mgr Michel Aupetit,
archevêque de Paris

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