Interview : « Il ne faut pas opposer religion et liberté »

FigaroVox – 9 février 2021

Interview du père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les Professionnels de l’Information.

FIGAROVOX.- À l’occasion des débats politiques autour du projet de loi « confortant les principes républicains », certains élus ont évoqué la question de la liberté de conscience des enfants qui reçoivent un sacrement chrétien. Que leur répondez-vous ?

Laurent STALLA-BOURDILLON.- J’observe que la « conscience » est l’objet de bien des attentions souvent contradictoires : tantôt promue pour défendre la liberté de conscience contre les religions, tantôt pour en contester l’exercice dans la sphère médicale par exemple. Toute proposition d’un contenu positif de foi est interprétée comme une atteinte à la liberté de conscience de l’enfant. On ne nourrit pas la liberté d’un enfant en le soustrayant à la connaissance des vérités, fussent-elles du domaine de la foi.

Au-delà de la séquence sur la première communion, je note que chez certains de nos élus, il n’y a plus de réelle capacité de faire confiance à la joie de la foi. Ils opposent religion et liberté, les jugent inconciliables et mettent en doute systématiquement l’effectivité de la liberté de conscience. Il appartient aux parents de donner à leur enfant ce qu’ils estiment juste et bon pour favoriser leur vie spirituelle. Cette réalité est devenue pénible pour tous ceux qui ne veulent plus que l’on parle de vie intérieure, de transcendance ou de vie surnaturelle.

Par ailleurs, il faut redire que les enfants ne sont jamais contraints à la réception d’un sacrement. Tout sacrement se déploie à condition de notre liberté. Il s’agit donc d’apprécier si la demande de l’enfant est bien motivée. J’ajoute qu’il serait erroné de croire que l’enfant ne puisse pas se décider par lui-même. Il faut ne jamais avoir vu ce que représente la joie de communier pour la première fois dans le cœur d’un enfant. Cela ne préjuge pas de la suite de sa vie de foi, mais c’est une heureuse découverte pour l’enfant de sa vie intérieure.

Dans les rangs de la France insoumise, on a également soulevé un débat quant au voile que portent les mariées chrétiennes jusqu’à l’échange des consentements. Le marié, lui, n’en porte pas… Est-ce un symbole de soumission ?

Ces débats font apparaître au grand jour les représentations baroques qui se sont formées dans l’esprit de certains de nos élus. A l’évidence, les choses ont pris des significations très différentes. Ces élus projettent sur le voile de la mariée un préjugé qui frôle le ridicule. L’usage rituel du voile dans une cérémonie de mariage catholique, qui n’est en rien obligatoire, est riche de sens. C’est un dévoilement ! L’épouse ne sera pas astreinte au port d’un voile.

En deux mots, il faut redire que dans toutes les traditions, l’usage rituel du voile permet de signifier symboliquement une réalité inaccessible, une réalité cachée. Autrement dit l’épouse entre voilée, gardienne d’une dimension invisible et donc inaccessible, que l’époux dévoile en entrant en alliance. En relevant son voile, l’épouse donne accès à l’invisible en elle. S’ouvre alors naturellement un chemin vers une possible fécondité.

On aime ou on n’aime pas, on comprend ou ne veut pas comprendre, mais le sens est là. Nous ne voyons pas assez combien le retour du voile (y compris musulman) dans nos sociétés correspond à un besoin de rappeler la permanence d’un invisible, d’un inaccessible à moins d’un dévoilement.

Je n’ignore pas l’instrumentalisation politique du voile islamique, mais il faut prendre le sujet dans toute son extension. Si l’on perd le sens du signe mais qu’on en conserve l’usage, alors le voile devient vite captif d’interprétation sexiste liée à une vision très négative. Les choses ont généralement plus de sens que nous ne le pensons. Il faut accepter d’aller à un autre niveau, celui du symbole. Hélas notre époque souffre de ne plus lire les symboles tant dans le domaine de la culture que des cultes.

Lorsque Saint Paul parle du rapport de l’épouse à son époux, il lui enjoint tout de même d’« être soumise »...

Vous faites référence à un passage d’une lettre de saint Paul qui dit « soyez soumis les uns aux autres ; les femmes à leur mari… » Une lecture littérale comme le propose les adversaires de l’Eglise et des chrétiens est affligeante. Elle trahit en vérité un esprit fondamentaliste qui refuse d’en comprendre la variété des sens. Ces mots sont surtout l’expression d’une immense responsabilité pour le mari à l’égard de sa femme, qui implique qu’il soit lui-même soumis au Christ.

Mais, nous avons développé une telle intolérance à la seule évocation de la notion de « soumission » que le mot est piégé. Etre « insoumis » serait aujourd’hui le gage de la grandeur de l’homme libre, libéré de toute tutelle religieuse ou norme sociale. Je m’étonne que nous ne comprenions pas combien l’obéissance ou la soumission demeurent des conditions de croissance et d’harmonie. Nous devons bien obéir aux lois de la République pour que l’ordre sociale soit préservée.

De même nous allons tous nous soumettre à des principes de respects de l’environnement pour donner un avenir à notre civilisation. Les chrétiens ne forcent personne à les suivre et s’ils permettent de rappeler qu’il n’y a pas d’ordre sans principe d’ordre, ils auront rendu un précieux service à notre société. Nous allons guérir je pense, de notre hybris libertaire et dépasser la connotation seulement péjorative de la soumission.

Les parents sont soumis aux besoins de leur nouveau-né. C’est pesant mais c’est ainsi qu’ils assurent sa vie. La jeune génération est plus sensible à une certaine forme d’obéissance aux lois du vivant, et ce n’est pas un séparatisme que je sache, mais au contraire une voie vers l’harmonie.

Certains parlementaires ont eu l’occasion de discuter de la légitimité de la présence d’élus de la République à des cérémonies religieuses. Interdire à un élu d’assister officiellement à une cérémonie religieuse relèverait-il d’une acception trop zélée du principe de laïcité, ou au contraire d’une clarification nécessaire ?

En effet, des parlementaires se figurent qu’en s’interdisant ostensiblement toute participation à une cérémonie religieuse, ils donneront des gages de leur esprit républicain. De nombreux élus souffrent de la peur d’être pris en flagrant délit de transgression de laïcité. Ils ont intériorisé une suspicion permanente sur leur éthique républicaine.

Pour eux, moins on s’approche des cultes et plus on est un bon responsable politique. C’est un vernis qui ne convainc pas. Je pense qu’il faut se décoincer. Participer à une cérémonie ne préjuge pas de l’affiliation de l’élu à ce culte, qui pourrait le croire ? C’est au contraire l’expression de l’estime et de la considération républicaine qui n’est pas une entorse à la loi de séparation. Ce n’est pas en assistant à un culte que l’élu s’égare, mais c’est lorsqu’il cède au clientélisme électoral.

Nous sommes allés très loin dans l’intolérance politique à l’égard des religions. De l’indifférence au mépris affiché, l’éventail des signes de défiance s’est considérablement accru ces dernières années. Pour nous éviter un retour du religieux en politique, il faut se reprendre, et pour que la séparation voulue en 1905 soit effective, il appartient au politique de reconnaître et de nommer le rôle des religions, et aux religions d’enseigner l’authentique portée spirituelle du politique, dans le service du bien commun. Nous n’avons plus de temps à perdre.

Source : https://www.lefigaro.fr/vox/religion/il-ne-faut-pas-opposer-religion-et-liberte-20210209

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