Je n’ai pas dit au revoir à mon bébé
Catherine Radet
Je n’ai pas dit au revoir à mon bébé - Comprendre et traverser le deuil anténatal, de Catherine Radet, Ed. Quasar.
Fiche de lecture rédigée par Viviane Tourtet. Pastorale des funérailles du diocèse de Paris. 2022.
Sujet délicat, douloureux, tabou mais que Catherine Radet, médecin pédiatre du Comité d’aide à la réflexion éthique au Centre hospitalier de Cholet, nous invite à aborder avec délicatesse et professionnalisme. Pour cette femme qui a rédigé ce livre au terme d’une enquête de plus d’une dizaine d’années, ce livre est « une ouverture et une invitation à la rencontre… un chemin d’humanité, le seul qui rende possible l’au revoir à son bébé. »
L’auteur propose aux femmes qui ont perdu un enfant à naître (IVG, IMG), né mort ou mort prématurément de le rencontrer, de se rencontrer elles-mêmes, de rencontrer leur histoire, leur passé, leurs proches pour partager la souffrance et oser l’espérance.
La souffrance comme dans tout deuil est là mais rappelons-nous cette phrase de Paul Claudel que cite le Pr. et croyant Emmanuel Sapin dans la préface, « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer. Mais il est venu la remplir de sa présence. »
Pleurer les enfants qui ne sont pas nés vivants, c’est reconnaître qu’ils ont existé.
Au fil des chapitres, Catherine Radet, nous conduit de l’événement extérieur à la profondeur de notre être, du corps au cœur.
À l’époque actuelle la mort est un sujet tabou. Comme l’auteur l’explique « le refus de laisser émerger ses émotions ferme l’accès des personnes à leur inconscient et, d’une certaine manière, à leur conscience… Cette méconnaissance de soi par défaut d’introspection devient un interdit de souffrance. » Il est donc aisé de basculer dans l’enfermement sur soi, dans l’isolement.
Mais le plus à craindre est certainement la banalisation de la mort anténatale qui conduit à la non reconnaissance d’une vie humaine.
Dans un second chapitre, l’auteur nous expose les différentes étapes du deuil, la sidération, le choc de la réalité, le déni, la colère, la culpabilité, le repli sur soi, voire la dépression. L’avenir bascule.
Le deuil anténatal a sa spécificité, son intensité et sa durée sont très différentes d’un deuil classique. Pour la mère, le sentiment de culpabilité est très fort, l’image de soi est anéantie, la blessure narcissique profonde. Mais ce qui rend particulièrement compliquée cette « épreuve du berceau vide » pour reprendre une expression d’Isabelle de Mézerac, c’est que les trois facteurs généralement reconnus indispensables pour surmonter le deuil que sont le corps, le rituel et le soutien social, sont ici absents.
Au chapitre III Catherine Radet nous expose combien les conséquences d’un deuil non résolu sont importantes, non seulement dans le couple mais aussi chez les enfants, les aînés mais aussi les puînés pour lesquels il conviendra d’être à l’écoute car les conséquences peuvent être durables. Puis, dans le chapitre suivant, l’auteur explique combien les trois étapes nécessaires au « travail psychologique » du deuil, mise en représentation, symbolisation et mentalisation, sont difficiles ici et qu’il convient souvent de commencer par restaurer une représentation « humanisée » de l’enfant à naître.
La perception de l’être prénatal est toute relative et dépend d’un grand nombre de facteurs, milieu social, socio-économique, religion, valeurs, entourage familial, entre autres. Par ailleurs le statut de l’être fœtal n’a, à ce jour, pas été défini ce qui rend le travail de deuil d’une mort anténatale très complexe.
Pourtant nous savons bien aujourd’hui que le fœtus est capable de percevoir, de ressentir, d’avoir une vie intérieure bien à lui et d’entrer dans une relative relation avec l’extérieur ; il est loin de cet être biologique qui ne ressentirait rien et serait insensible. Il attend d’être reconnu, aimé. Il est ainsi aisé de comprendre comment l’absence ou la rupture de la relation entre la mère et l’enfant à naître rend le deuil anténatal difficile, d’autant plus qu’elle est le plus souvent niée ou minimisée.
Avant les témoignages bouleversants d’un certain nombre de femmes qui ont eu suffisamment confiance en l’auteur pour accepter de partager autour de leur souffrance, ou celle de leur conjoint ou de leurs enfants, un chapitre est consacré à la réconciliation, thème pour nous, croyants, d’une importance capitale.
L’absence de possibilités d’exprimer ses émotions à l’échelon tant familial, amical que sociétal fait que la perte d’un enfant avant ou à la naissance pousse au retrait social, à l’isolement de la femme, du couple. Mais le silence n’est pas toujours synonyme de désespoir, de solitude, il peut aussi être source d’une découverte de soi. C’est au creux de ce silence salvateur que l’on peut se réconcilier avec soi-même, accepter d’être vulnérable, fragile, accepter son histoire et son humanité.
À partir de là et seulement à partir de là, on peut redonner du sens à l’incompréhensible, on peut reconnaître l’identité du petit défunt et lui dire au revoir, accepter de s’en séparer du moins physiquement lorsque cela est possible pour l’intégrer autrement dans sa mémoire, dans la généalogie familiale, et faire de lui ou d’elle un petit d’homme.
Se plonger dans la lecture de ce livre nous encourage à tendre la main à celles qui n’ont pas dit au revoir à leur bébé, à les écouter de manière silencieuse et attentive, à relire sa propre vie si nous avons connu cette épreuve du deuil anténatal, à se remémorer cette citation que nous trouvons en Jérémie 1:5 " Avant de te former dans le ventre de ta mère, je te connaissais… "