« L’Œuvre d’Orient est résolument une œuvre de terrain »
Paris Notre-Dame du 29 mai 2025
Dans quelques mois, Mgr Pascal Gollnisch achèvera sa double mission de directeur général de l’Œuvre d’Orient et de vicaire général de l’Ordinariat des orientaux catholiques en France.
Alors qu’avait lieu, ce dimanche 25 mai, la Journée internationale pour les chrétiens d’Orient, il a accepté de livrer à Paris Notre-Dame son regard sur ses nombreuses années de mission, l’actualité des chrétiens d’Orient, les spécificités et le rôle de l’association.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud

Paris Notre-Dame – En quinze ans à la tête de l’association, quels axes avez-vous développés à l’Œuvre d’Orient ?
Mgr Pascal Gollnisch – L’Œuvre d’Orient est résolument une œuvre de terrain. C’est en nous rendant sur place et en écoutant les chrétiens d’Orient que nous faisons en sorte de nous déployer pour mieux répondre aux besoins nouveaux qui naissent dans leurs communautés, en lien avec des événements tragiques ou le développement de leurs missions. Mais avant tout chose, je veux rappeler que les chrétiens en Orient ne vivent pas dans une citadelle assiégée. Ils font partie d’un peuple ; et ils sont au service de ce peuple, au nom de l’Évangile, notamment dans l’éducation, la santé et la vie des communautés. Les événements tragiques – guerres, tremblements de terre, etc. – ont créé une émotion en France, qu’il nous appartenait de transformer en action de solidarité spirituelle et matérielle, et nous ont poussés à diversifier nos actions au fil des ans.
P. N.-D. – De quelle manière ?
P. G. – D’abord, en manifestant notre présence auprès des réfugiés – notamment les chrétiens d’Irak chassés par Daesh –, par une aide au logement, aux démarches administratives, à l’apprentissage du français, mais aussi en les rattachant à une communauté religieuse en France, dimension très importante pour la vie sociale en Orient. Nous nous sommes aussi beaucoup investis dans la défense du patrimoine matériel et immatériel des chrétiens, régulièrement menacé ou détruit par les extrémistes fondamentalistes ; détruire, c’est fragiliser une communauté, en lui faisant perdre le sens de ses racines et de son enracinement pour les générations à venir. Il s’agit donc de reconstruire les églises – comme en Irak – ou d’organiser des expositions, en France, pour sensibiliser à cette cause, comme en ce moment à l’Institut du monde arabe, avec l’exposition sur les richesses archéologiques de Gaza. Enfin, nous sommes particulièrement vigilants sur les discriminations et les atteintes aux droits humains, en déployant tout ce qui est de l’ordre du plaidoyer ; nous portons la cause des chrétiens d’Orient dans les médias, mais aussi auprès des pouvoirs publics, nationaux, européens ou mondiaux, notamment auprès du Haut-commissariat aux droits de l’homme, à l’ONU.
P. N.-D. – Vous travaillez aussi de manière étroite avec l’Église de France…
P. G. – En effet, nous avons renforcé nos liens ecclésiaux, avec un certain nombre de services de l’Église de France : le conseil épiscopal de la charité, le service des relations avec les musulmans, de l’œcuménisme, des migrants, le secrétariat général et la présidence de la Conférence des évêques de France (CEF). L’Œuvre d’Orient se veut vraiment au service de l’Église de France pour les relations avec les chrétiens d’Orient. Nous sommes la seule œuvre catholique à être exclusivement au service des chrétiens d’Orient, en étant axée, non pas d’abord sur la détresse, mais sur l’Orientalité. La raison d’être de l’association, c’est de faire connaître les chrétiens d’Orient – notamment par le travail des délégations dans les diocèses et la sensibilisation dans les écoles, collèges et lycées – et de favoriser la communion spirituelle. Le soutien financier vient en seconde intention, comme la traduction de ces deux premières réalités.
P. N.-D. – Comment accueillez-vous la nomination du pape Léon XIV, qui a manifesté dès son élection sa proximité avec l’Ukraine ?
P. G. – La guerre en Ukraine – subie par les Ukrainiens – est extrêmement cruelle. Là, comme ailleurs, nous aidons les catholiques orientaux à soutenir la population qui a vu ses villes et ses vies détruites. Nous aidons l’Ukraine depuis plus d’un siècle, quand les gréco-catholiques ont été martyrisés – lors du génocide par la faim, l’Holodomor – par les communistes russes… déjà !
P. N.-D. – Ce mot de génocide, le reprenez-vous aujourd’hui ?
P. G. – Totalement. Par son comportement, le gouvernement Poutine manifeste un désir de faire disparaître l’Ukraine. C’est aussi un conflit interne au monde chrétien. Cela montre combien les chrétiens, comme les autres groupes religieux, ne doivent pas se laisser instrumentaliser par le pouvoir politique. En se laissant instrumentaliser, les religions ne peuvent plus assumer leur rôle prophétique. Contrairement aux groupes religieux nationaux, beaucoup plus soumis au pouvoir politique local, l’Église catholique est en communion avec l’évêque de Rome – comme nous l’a montré l’actualité récente –, d’où l’importance que le Vatican soit un État, gage de liberté pour le chef de l’Église catholique. Pour en revenir à Léon XIV, je voudrais dire deux choses. La première, c’est que Léon XIII – qui a appelé à donner à l’Œuvre d’Orient dans son encyclique Sancta Dei civitas – a joué un rôle important pour les chrétiens d’Orient, puisqu’il fut le premier à admettre que les orientaux pouvaient devenir catholiques et rejoindre la communion avec Rome tout en restant orientaux. La seconde, c’est qu’il y a certainement eu, de la part du pape Léon XIV, un discours plus clair ou plus affirmé devant les souffrances du peuple ukrainien ; le pape François avait parlé de l’Ukraine comme d’un pays martyr. Mais Léon XIV a eu une parole plus forte encore. Nous attendons une parole aussi forte sur le problème des Arméniens du Haut-Karabagh, qui était absent du discours du pape François.
P. N.-D. – Quelle est la situation en Arménie justement ?
P. G. – D’une part, il y a les menaces récurrentes sur la république d’Arménie, avec des attaques aux frontières de la part de l’Azerbaïdjan – qui ne cache pas ses intentions, puisque le pays ne cesse d’appeler l’Arménie « l’Azerbaïdjan occidental ». D’autre part, il y a la situation des 120 000 Arméniens, tous chrétiens, qui ont été chassés du Haut-Karabagh en une journée, en 2023. Comment aider cette population expulsée de chez elle et qui se retrouve complètement démunie ? Et comment travailler à leur droit au retour dans leur terre, dans leurs maisons et, pour ce qui nous concerne, dans leurs églises, qui sont régulièrement détériorées par les Azéris ?
P. N.-D. – Votre dernier voyage vous a mené en Éthiopie, un pays dont on parle peu…
P. G. – Le pays est en proie à des guerres civiles très violentes, qui détruisent les infrastructures et sont, par conséquent, suivies de famines. Actuellement, la famine fait des milliers de morts, en particulier dans la région du Tigré.
P. N.-D. – Et en Terre Sainte, quelle est la situation ?
P. G. – La situation de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem, est extrêmement problématique. Les chrétiens sont peu nombreux mais jouent un rôle important. Ils sont en difficulté, notamment parce qu’ils ne peuvent plus vivre des pèlerinages, qui se sont arrêtés. Là comme ailleurs, il convient d’aider les chrétiens à remplir leurs missions d’aide à la population, dans l’éducation, la santé et la recherche de la paix et de la justice. C’est, par exemple, l’attitude du patriarche latin de Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa. Il est à la fois celui qui proteste quand il y a des injustices qui sont commises, mais, en même temps, celui dont la porte est ouverte à tous – musulmans, juifs, palestiniens, israéliens –, de manière à essayer de trouver des chemins de paix.
P. N.-D. – Et concernant le Liban, la Syrie et l’Irak ?
P. G. – Le Liban est le seul pays de la région à vivre intégralement les droits humains. Cette liberté – notamment religieuse – est assurée par un système confessionnel, certes améliorable, mais à condition que cela ne détruise pas cet équilibre qui est un gage de liberté. Ensuite, il y a l’Irak, un pays où l’armée et l’État sont affaiblis, ce qui permet à des bandes plus ou moins armées de se développer ; c’est un obstacle pour établir la pleine citoyenneté pour tous. Cependant, toutes les églises qui ont été détruites par Daesh et la guerre de libération sont désormais reconstruites. En Syrie, les sanctions économiques imposées par l’Union européenne et les États-Unis – après une guerre civile qui a duré presque quinze ans – ont fait atrocement souffrir les populations, notamment en raison d’un blocage du système bancaire. Le régime Assad, qui se présentait comme le protecteur des chrétiens, était aussi un régime dur, qui ne permettait pas à ses citoyens d’avoir une parole politique. Nous avons soutenu plus de 120 projets en Syrie. Certains sont particulièrement dédiés aux jeunes adultes pour les aider à reprendre confiance, monter un projet entrepreneurial et, ainsi, rester dans leur pays.
P. N.-D. – Que vous a apporté, personnellement, cette mission à la tête de l’Œuvre d’Orient ?
P. G. – Durant ces quinze années, j’ai été amené à vivre une certaine dimension de catholicité. L’Église de France doit peut-être renforcer sa conscience de la dimension universelle du catholicisme. Parfois, j’entends que les églises sont vides. D’abord, c’est faux, et ensuite, c’est complètement hexagonal. Allez voir le dynamisme des communautés chrétiennes en Inde, en Éthiopie ou dans tous les pays qu’on a cités, vous verrez que l’Église ne dépérit absolument pas ! Cette catholicité, c’est aussi nous rappeler que l’Église latine n’est pas la seule composante de l’Église catholique : il y a toutes ces autres traditions, parfois plus originelles que nous, qui ont gardé une culture plus proche de celle de Jésus que notre culture gréco-latine. Dans cette dimension de catholicité, il y a aussi celle de la collaboration avec les pouvoirs publics. Cela suppose certaines règles qu’on se donne. Tout d’abord, tisser des relations de confiance – ce qui nous a poussés parfois à refuser de signer des pétitions ou de prendre des positions publiques parce qu’il était plus efficace de parler dans la discrétion avec les pouvoirs publics. Deuxièmement, rester libre ; l’Œuvre d’Orient n’est pas dépendante des positions de la diplomatie française. Troisièmement, manifester un certain respect pour les élus de la nation et ne pas leur prêter d’emblée des pensées perverses ou obliques. Et enfin, être capable de trouver un chemin de complémentarité. Par exemple, ces dernières années, l’État français n’était plus présent en Syrie, contrairement à l’Œuvre d’Orient ; cela a permis de nouer une collaboration à la fois pour le bien de la France et celui de la Syrie. Nous avons aussi créé le Fonds des écoles francophones chrétiennes du Moyen-Orient avec l’État, doté pour le moment de 4 millions d’euros, et cogéré à parité par quatre représentants du Quai d’Orsay et quatre représentants de l’Œuvre d’Orient. Cette présence dans la vie de l’État d’une structure catholique me semble un élément important du travail de l’association.
P. N.-D. – Quelle est la force des chrétiens qui vivent en Orient ?
P. G. – On me demande parfois combien sont les chrétiens d’Orient. Nous les Occidentaux, nous avons besoin de chiffres. La bonne question, c’est la vérité de leur parole. Ont-ils une parole à partir de laquelle les sociétés du Moyen-Orient peuvent envisager leur avenir ? Moi, je le crois, parce qu’ils portent la défense de la personne, quelle qu’elle soit, la promotion de la femme, la défense des plus faibles, des malades et des personnes porteuses d’un handicap... Et cette parole me semble tout à fait importante pour les sociétés du Moyen-Orient, au-delà du rapport de force numérique.
P. N.-D. – A contrario, quels points de vigilance identifiez-vous ?
P. G. – Je pense, par exemple, à plus de transparence dans les finances et de collégialité dans la gestion. Deuxièmement, dans ce temps de synodalité, il faut peut-être que la vie des Églises – qui pourtant, bien avant nous, connaissaient la tradition de synode –, puisse être davantage synodale. Enfin, puisque le pape s’appelle Léon, notamment en référence à Léon XIII, bien connu en raison de l’encyclique sociale Rerum novarum, je trouverais intéressant d’aider les chrétiens d’Orient à élaborer une version de la doctrine sociale de l’Église adaptée à leurs enjeux. Quels sont les vrais problèmes de doctrine sociale qui se posent à ces sociétés et comment l’Église peut-elle y répondre ? Cette réflexion pourrait être d’autant plus précieuse pour orienter ceux qui seraient susceptibles de s’engager dans la vie sociétale et politique de leur pays.
P. N.-D. – En tant que prêtre, comment avez-vous vécu cette mission ?
P. G. – Parfois, j’ai pu me demander pourquoi il était nécessaire qu’un prêtre soit à la tête de l’Œuvre d’Orient. Bien sûr, il y a cet enjeu fort de communion ecclésiale et spirituelle. Mais il y a autre chose. Cela m’est apparu tout particulièrement lorsque je suis allé à la rencontre de ces familles qui avaient tout perdu, chassées par Daesh, mais qui étaient quand même capables d’une parole manifestant un désir de pardon : « Priez pour que je sois capable de pardonner, parce que si nous ne pardonnons pas, nous sommes comme ceux qui nous ont chassés de chez nous. » Quand on est face à la souffrance des peuples, à la désespérance des gens qui ont vu leur vie détruite en quelques heures, à la violence des hommes, qui engendre à son tour un désir de violence, il y a là, effectivement, quelque chose qui rejoint la dimension sacerdotale…

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