Les chrétiens d’Orient, comme le sel dans l’Évangile
Paris Notre-Dame du 27 novembre 2025
Du 27 novembre au 2 décembre, le pape Léon XIV se rend, pour son premier voyage apostolique, en Turquie et au Liban. Il est accompagné, pour l’occasion, de Mgr Hugues de Woillemont, qui a pris ses fonctions le 1er septembre dernier comme directeur général de l’Œuvre d’Orient et vicaire général de l’ordinariat des catholiques orientaux résidant en France. Rencontre.
Paris Notre-Dame – Vous vous apprêtez à partir au Liban et en Turquie, à l’occasion du premier voyage apostolique du pape Léon XIV…
Mgr Hugues de Woillemont – L’ Œuvre d’Orient est née au Liban, il y a 169 ans. C’est un signe fort que le pape choisisse de s’y rendre – ainsi qu’en Turquie – pour son tout premier voyage. C’est, pour tous les pays du Moyen-Orient, un message puissant d’encouragement, de prière, de rencontres aussi avec les institutions politiques de ces pays, confrontés à des défis importants de stabilisation, mais aussi économiques et sécuritaires. Comme directeur de l’ Œuvre d’Orient, j’ai déjà eu l’opportunité de voyager dans plusieurs pays de la région, dont le Liban et l’Irak. Les communautés chrétiennes que j’ai visitées font mon admiration et nourrissent ma prière ; malgré une importante émigration, de nombreux chrétiens choisissent de rester. Je trouve cela très évangélique.
P. N.-D. – En parlant de pays confrontés à une forte émigration de chrétiens, qu’en est-il de la Syrie ?
H. W. – Est-ce que la Syrie se dirige vers une forme de gouvernance qui reconnaît le droit de chacun ou vers un État islamique ? C’est une question qui nous préoccupe. Nous attendons du président actuel et de son gouvernement qu’ils donnent des signes véritables d’une reconnaissance d’égale dignité et d’égalité des droits de tous citoyens, quelle que soit leur religion. Nous avons été inquiets, par exemple, de constater à Damas, en septembre dernier, que les manuels scolaires syriens étaient aujourd’hui révisés, afin de réécrire un récit national et d’effacer des représentations, telles que des statues grecques ou des petites filles en tutu. Nous sommes dans l’incertitude et la vigilance. Les prochains actes vont être décisifs. Nous n’oublions pas le passé du président syrien, mais il est au pouvoir. L’ Œuvre d’Orient ne s’engage pas politiquement. Les gestes que tout chrétien pose ont une dimension politique. Notre mission est d’être aux côtés du peuple syrien.
P. N.-D. – Et concernant la Terre Sainte et Gaza ?
H. W. – Avec quelques personnes de l’association, notamment le président de l’ Œuvre et son épouse, nous allons fêter Noël à Bethléem. C’est une manière de les soutenir, de les écouter et de témoigner de notre fidèle amitié. J’ai déjà eu la chance d’aller à Jérusalem il y a un an. Depuis longtemps, l’ Œuvre d’Orient demande à ce que le droit international soit exercé à Gaza. Nous attendons évidemment qu’un vrai cessez-le-feu puisse se stabiliser. Nous avons des contacts fréquents avec les trois communautés religieuses qui sont restées, ainsi qu’avec le curé de la paroisse latine de la Sainte- Famille. Nous avons déjà un projet d’école à reconstruire et sommes prêts à leur venir en aide dès que ce sera possible.
P. N.-D. – En quelques mots, pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
H. W. – Je suis prêtre du diocèse de Nanterre (Hauts-de-Seine) depuis vingt-six ans. Petit dernier d’une fratrie de cinq enfants, j’ai grandi dans une famille chrétienne et aimante. J’ai reçu un premier appel à la prêtrise à 12 ans, mais c’est surtout au début de ma vie professionnelle que cette vocation s’est de nouveau imposée, avec cette conviction que le sacerdoce serait, pour moi, un chemin de bonheur. Je suis entré au séminaire des Carmes et j’ai été ordonné en 1999. Dans ma vie de prêtre, on peut identifier trois périodes. Premièrement, j’ai passé dix ans en paroisse, comme aumônier des jeunes, vicaire puis curé. J’étais également directeur diocésain des pèlerinages, ce qui m’a permis de me rendre régulièrement dans de nombreux pays, notamment en Terre Sainte, et de découvrir ainsi une autre réalité d’Église, une autre manière de prier et de célébrer dans des contextes différents des nôtres. J’ai été ensuite, pendant dix autres années, vicaire général des trois évêques qui se sont succédé à Nanterre : Mgr Gérard Daucourt, Mgr Michel Aupetit puis Mgr Matthieu Rougé. Enfin, j’ai été, ces cinq dernières années, secrétaire général de la Conférence des évêques de France (CEF). Une conférence, c’est trois choses : aider au travail des évêques entre eux ; être l’interlocuteur des diocèses, de la Conférence des religieux et des religieuses de France (Corref), d’un certain nombre d’associations et d’œuvres catholiques ; enfin, avoir un rôle de représentation de l’Église en France auprès du Saint-Siège mais aussi des pouvoirs publics et d’instances européennes. Autant de missions qui sont utiles pour le directeur de l’ Œuvre d’Orient ! Ce mandat à la CEF m’a également permis de visiter, grâce à l’ Œuvre d’Orient, des pays du Moyen-Orient – Liban, Irak, Égypte ou encore Éthiopie – puisque tel avait été le souhait du président de la CEF, Mgr Éric de Moulins-Beaufort.
P. N.-D. – Vous connaissiez donc déjà l’Œuvre d’Orient avant d’en prendre la direction ?
H. W. – En effet, je connais depuis longtemps Mgr Pascal Gollnisch qui a vraiment accompli un travail magnifique, d’autant plus qu’il s’est investi dans une période – ces quinze dernières années – marquée par de nombreux conflits et événements tragiques, non seulement au Moyen-Orient mais aussi en Europe de l’Est. Mgr Gollnisch a su être présent, en s’engageant avec ses équipes pour répondre rapidement aux besoins. Une des forces de l’association, c’est d’être une œuvre d’Église reconnue par les papes dès sa création – en particulier Léon XIII ; nous fêterons d’ailleurs nos 170 ans l’année prochaine. Cela souligne combien nos liens avec ces pays – et les chrétiens qui y vivent – sont anciens et solides ; mais cette ancienneté n’empêche pas de rester attentif à des besoins nouveaux, en se mettant toujours à l’écoute des communautés aidées. On le doit au sérieux de notre engagement et par la présence de nos équipes sur le terrain, qui vivent au milieu des communautés chrétiennes. C’est notre ADN, ce souci de la relation et de la connaissance fine des situations, ainsi que les liens d’amitié et la prière que nous portons pour eux.
P. N.-D. – Et le soutien financier ?
H. W. – Le soutien financier est indispensable, et je remercie les donateurs. Les besoins sont immenses, notamment avec des enjeux de reconstruction dans des pays dévastés par la guerre. Notre ambition est de donner les moyens aux chrétiens qui le décident de rester dans leur pays. Même s’ils sont peu nombreux, c’est essentiel ; ils sont, je crois, comme l’image évangélique du sel. Peu nombreux, mais très importants, non seulement pour leur communauté, mais aussi pour ces pays, parce qu’ils sont, par leur accueil universel, des acteurs majeurs de fraternité et de liens entre différentes communautés.
P. N.-D. – Quelles ont été vos premières actions comme directeur de l’ Œuvre d’Orient ?
H. W. – Je suis encore dans un temps d’écoute et d’observation des équipes, afin d’identifier, d’ici le mois de janvier sans doute, les priorités des années à venir, pour toujours mieux servir notre cœur de mission : aider, connaître et faire connaître les Églises orientales. Cette mission, c’est d’abord une réponse à une proposition de Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris ; depuis deux mois, je mesure la chance que j’ai de pouvoir travailler avec des équipes de salariés et de bénévoles très engagées. J’ai aussi déjà effectué plusieurs voyages. Ces déplacements nous permettent de bien connaître ces pays et d’être des interlocuteurs reconnus, même par les pouvoirs publics. Ces derniers mois, j’ai ainsi pu échanger avec le groupe de travail des députés de l’Assemblée nationale sur les chrétiens d’Orient, le ministère des Affaires étrangères et différents ambassadeurs. Je me suis aussi rendu devant le Conseil des États suisses, au mois de septembre, car cette chambre étudiait la possibilité de voter la reconnaissance du génocide arménien. Ces différents exemples soulignent combien l’ Œuvre d’Orient est reconnue pour son expertise.
P. N.-D. – Et concernant votre mission de vicaire général de l’ordinariat ?
H. W. – L’ordinariat, qui compte vingt-cinq prêtres, est comme un diocèse pour les fidèles orientaux chaldéens, melkites, syriaques, syro-malabars, gréco-catholiques roumains et d’autres. L’évêque est Mgr Laurent Ulrich et je suis son vicaire général. Ces paroisses, nées en France au fil des différentes vagues migratoires, portent chacune une liturgie, une expression de la foi et une manière propre de faire vivre la communauté. L’enjeu est de pouvoir les accueillir pleinement, de respecter leur héritage oriental tout en favorisant leur intégration dans nos diocèses latins, notamment en les faisant mieux connaître. Visiter l’une des nombreuses paroisses orientales franciliennes, c’est honorer l’un des deux poumons de l’Église, selon la belle expression de saint Jean-Paul II, qui voyait l’Église respirer de ses deux poumons : l’Orient et l’Occident.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud
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