Les questions spirituelles ont leur place dans l’Hémicyle
Tribune du père Stalla-Bourdillon. Avant les législatives, l’aumônier de l’Assemblée (Directeur du service pastoral d’études politiques) invite politiques et citoyens à se pencher sur les questions spirituelles, essentielles à la société.
À quelques jours des résultats de l’élection de nos futurs députés, les experts se succèdent pour prédire les conséquences d’une large victoire ou les effets d’une absence de majorité absolue pour le nouveau gouvernement. La dramatisation médiatique ira croissante jusqu’au second tour. En vérité, une autre question se joue dans cette élection, beaucoup moins visible : celle de la représentation que se font les parlementaires du sens de la vie humaine.
Partons d’un constat : les parlementaires français ne parviennent plus à articuler une pensée sur le sens de la vie. L’état de décomposition de la vie politique en France semble le résultat de la disqualification systématique des questions d’ordre spirituel. En effet, comment y aurait-il un projet politique possible sans un sens de l’homme préalablement défini ? À quelques rares exceptions dans les différentes formations politiques, les parlementaires ne se préoccupent pas de la nature humaine. Cet aspect est sans doute sorti un peu trop vite du champ de la pensée politique. Et notre société se trouve d’autant plus fragilisée qu’elle assiste à une activité politique qui n’assume plus la dimension spirituelle d’une personne.
Rappelons que notre vie s’organise autour de l’ordre des corps (dimension matérielle), l’ordre de l’esprit (la dimension intellectuelle) et l’ordre de la charité (dimension spirituelle). Blaise Pascal, à qui l’on doit cette distinction, ne faisait que mettre des mots sur une réalité dont chacun fait l’expérience.
D’où vient cette absence de considération pour l’accomplissement humain qui fragilise tant l’autorité de la parole politique ? De deux erreurs.
La première s’appelle le matérialisme pratique. Il est devenu surhumain de réfléchir au sens de sa vie. C’est même un tabou, et l’on se censure pour ne pas trahir son propre questionnement et son ignorance. En refusant obstinément de s’attarder sur quelques questions essentielles, notre société accélère son délitement. Seule la conscience d’un appel à découvrir le sens de l’existence libère notre énergie et inspire l’engagement. Seul ce qui nous transcende nous humanise vraiment : la vie de l’esprit. Notre société souffre d’un interdit très oppressant qui a fini par contaminer la classe politique elle-même : l’interdit d’interroger le sens profond des choses et l’articulation des trois ordres.
La seconde erreur plonge ses racines dans une mauvaise compréhension de la loi de séparation de l’État et de l’Église. La loi de 1905 n’est plus seulement un cadre juridique nécessaire permettant à chacun d’exprimer ses convictions. Elle est devenue une étrange interdiction faite au monde politique de réfléchir aux choses spirituelles. On a substitué la notion de laïcité à l’effort intellectuel et spirituel qu’exige la vie. On a cru avoir résolu l’énigme en s’interdisant de la formuler. Cette norme s’impose désormais aux politiques eux-mêmes, qui sont les moins capables d’intégrer les questions religieuses et spirituelles. La laïcité les immunise contre tout risque de verser dans le questionnement même philosophique. Il y a une présomption de culpabilité à l’égard de celui qui s’interroge. Une réflexion existentielle est déjà suspecte d’accointance religieuse. C’est face à l’apothéose de la pensée matérialiste, gardienne de la légitimité politique, que l’on est en droit de s’inquiéter sur les travaux de la prochaine assemblée nationale.
Comprenons que toutes les réformes à venir, qu’elles soient économiques, culturelles, éducatives ou sociales, ressortent d’une certaine conception de l’existence. Le travail législatif ne peut faire l’impasse sur la diversité des représentations des uns et des autres. La loi ne définira jamais ce qu’est l’être humain, et c’est heureux, mais les lois votées ici ou là permettent d’en discerner une certaine représentation. Il est probable que cette mandature, comme les précédentes, sera appelée à légiférer sur d’épineuses questions d’éthique médicale ou de justice sociale. La possibilité de s’interroger sur la résonance spirituelle des décisions politiques est trop rarement évoquée.
Les espaces de réflexion pour les parlementaires sont rares où la conscience de chacun, l’écoute et le partage peuvent librement s’exprimer. L’idée que nous nous faisons de ce que nous sommes et de ce que signifie notre existence mortelle reste toujours à préciser. Ce progrès ne vient pas d’abord d’une utilisation débridée de nos techniques, mais d’une idée plus juste de ce qui fonde notre commune dignité. Pour résister aux effets d’une économie mondialisée, aux technologies toujours plus envahissantes ou à la tyrannie de l’instantanéité, il serait bienvenu de discuter en politique de quelques fondamentaux de l’humain. Il revient aux citoyens d’y encourager leurs élus.
Le Figaro du 31 mai 2017.