Lettre apostolique “Desiderio desideravi” du 29 juin 2022 sur la formation liturgique du peuple de Dieu

Cette lettre du Saint Père est adressée au clergé et à tous les fidèles, l’enjeu est indiqué : la formation liturgique du peuple de Dieu.

La finalité exprimée : « aider à la contemplation de la beauté et de la vérité de la célébration chrétienne » (1) [1] car la liturgie est « la première source de la spiritualité chrétienne » (61).

Lire la lettre apostolique “Desiderio desideravi”

I. Le pape François justifie les restrictions apportées à l’usage des livres liturgiques d’avant la réforme liturgique du concile Vatican II

L’articulation de Desiderio desideravi avec Traditionis Custodes

Desiderio desideravi fait partie du magistère ordinaire du souverain pontife. La lettre veut nourrir notre réflexion et stimuler notre foi, mais elle se réfère aussi à l’action de régulation que le pape François a exercée dans son motu proprio Traditionis custodes. Celui-ci avait été adressé aux évêques pour réguler l’usage du missel de 1962, en affirmant la prééminence exclusive du missel de Paul VI.

« Les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, sont la seule expression de la lex orandi [2] du Rite Romain. » (TC 1).

Ce faisant le pape François revient explicitement sur l’article 1 du motu proprio de son prédécesseur Summorum pontificum du 7 juillet 2007 qui disait :

« Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la lex orandi de l’Église catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par saint Pie V et réédité par le bienheureux Jean XXIII doit être considéré comme expression extraordinaire de la même lex orandi de l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la lex orandi de l’Église n’induisent aucune division de la lex credendi de l’Église ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain. » (SM 1).

Evaluation des effets des motu proprio Ecclesia Dei et Summorum pontificum

Le pape François revient sur ce point précis sur ce qu’affirme son prédécesseur : il n’y a pas deux mises en œuvre possibles du même rite. Cependant le souci pastoral et la préservation de la communion ecclésiale entend garantir la possibilité pour les groupes de fidèles qui y tiennent, la faculté de pouvoir bénéficier de l’usage du missel de 1962.

Le revirement déstabilisant du motu propio Traditionis Custodes doit se comprendre à partir du bilan tiré de l’application des dispositions prises par les papes Jean-Paul II et Benoit XVI, le pape François s’en explique :

« La possibilité offerte par saint Jean-Paul II et avec une magnanimité encore plus grande par Benoît XVI afin de recomposer l’unité du corps ecclésial dans le respect des différentes sensibilités liturgiques a été utilisée pour augmenter les distances, durcir les différences, construire des oppositions qui blessent l’Église et en entravent la progression, en l’exposant au risque de divisions » [3].

La congrégation pour le culte divin relaie clairement la volonté du Saint Père et explique les motivations de cette décision dans la continuité des décisions des papes saint Jean-Paul II et Benoit XVI :

Le Missel de 1969 est « l’unique expression de la lex orandi du Rite romain (cf. Traditionis custodes, n° 1). C’est la direction dans laquelle nous voulons marcher et c’est le sens des réponses que nous publions ici : chaque norme prescrite a toujours pour unique but de préserver le don de la communion ecclésiale en marchant ensemble, avec conviction d’esprit et de cœur, dans la ligne indiquée par le Saint-Père » [4].

L’autorité du missel rénové de saint Paul VI

La Constitution apostolique de saint Paul VI, citant saint Pie V, qui promulgue le missel de 1970, affirme pour l’ancien missel que celui-ci laisse place « à des différences légitimes et à des adaptations » mais on ne peut donc dire que l’usage du missel ancien puisse entrer dans la cadre des adaptations et des différences légitimes. Pour autant le pape François dans la lettre d’accompagnement de son motu proprio fait un exposé des motifs de ces décisions, et il commence en faisant le bilan de l’action de ses prédécesseurs saint Jean-Paul II et Benoît XVI qui s’exprimèrent dans le motu proprio Ecclésia Dei de 1988 et Summorum Pontificum de 2007. Voici ce que dit le pape François :

« Je suis également attristé par les abus de part et d’autre dans la célébration de la liturgie. Comme Benoît XVI, je stigmatise moi aussi que « dans de nombreux endroits on ne célèbre pas de façon fidèle aux prescriptions du nouveau Missel, mais qu’il soit même compris comme une autorisation ou jusqu’à une obligation à la créativité, qui conduit souvent à des déformations à la limite de ce qui est supportable ». Mais je ne suis pas moins attristé par une utilisation instrumentale du Missale Romanum de 1962, toujours plus caractérisée par un refus croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II, avec l’affirmation infondée et insoutenable qu’il aurait trahi la Tradition et la « vraie Église » [5].

Il faut bien comprendre que le pape François déplore l’instrumentalisation de la liturgie pour alimenter une guerre fratricide qui ruine l’unité de l’Église. Unité déjà blessée par le schisme de Mgr Lefebvre et jusqu’à aujourd’hui non résorbé par les efforts des papes successifs. L’unité est aussi mise à mal, entre ceux qui mettent en doute la légitimité de la Réforme liturgique autant que par ceux qui s’en réclament pour justifier créativité et adaptation. Il y a donc pour nos communautés paroissiales une mise en garde concernant ce qui dans nos pratiques et nos mises en œuvre conduit à des « déformations à la limite de ce qui est supportable ».

La liturgie sujet de division et de frustration dans notre Église

Dans son exhortation apostolique sur la joie de l’évangile (EG 100) le pape nous adressait déjà une mise en garde contre la guerre entre nous, comment gérer les dissentiments, au moment même où nous réfléchissons à la synodalité ? Il y revient à la fin de Desiderio desideravi (65). Indépendamment de la « question traditionaliste », la liturgie est un sujet et un lieu d’affrontement où au moins de frustration comme en témoigne, pour notre diocèse, le document, fruit de la concertation diocésaine en vue du prochain synode romain sur la synodalité :

« Ce sujet (la liturgie) est celui qui fait l’objet du plus grand nombre de contradictions dans les groupes synodaux. Des positions peuvent sembler opposées et irréconciliables : « nous constatons une fracture » beaucoup s’interrogent sur « les différences de sensibilité » et les divisions dans la communion au cœur du sacrement de la charité ».

La différence des styles et des types de célébration est très large de la messe dans un oratoire, en passant par une messe des familles, une messe avec participations de communautés étrangères, une « grand-messe » paroissiale, avec chœur grégorien et tout ou partie en latin, une messe de pop-louange, une messe d’ordination sacerdotales ou diaconales. Richesse et diversité qui peut dans tous les cas produire du bon et du moins bon. Il y a une question de moyen mais certainement aussi concernant le moins bon, un déficit d’ars celebrandi, dont nous parle le Saint Père dans sa lettre apostolique.

La liturgie comme source et les conséquences sur l’ancienne forme du rite

Le pape insiste sur le fait que la liturgie est « la première source de la spiritualité chrétienne » (61). Ce point de clarification relevé le pape François, conformément aux dispositions de son motu proprio Traditionis custodes n’entend pas priver aujourd’hui ceux qui veulent bénéficier de l’ancienne forme. Ils doivent savoir que les dispositions sont prises localement par le diocèse pour qu’ils puissent y accéder. Dans notre contexte de la vie de l’Église, il faut nous garder des procès d’intentions, car beaucoup de bonne foi ne veulent pas remettre en cause les fondements du concile Vatican II en réclamant l’usage du Missel de 1962, tout comme ceux qui mettent en œuvre, par un engagement généreux la liturgie selon le missel de saint Paul VI ne veulent pas délibérément provoquer et scandaliser en usant des nécessaires et légitimes possibilités d’adaptation du missel en usage habituel.

« Les saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, en approuvant les livres liturgiques réformés ex decreto Sacrosancti Œcumenici Concilii Vaticani II (selon les principes du concile), ont garanti la fidélité de la réforme du Concile. C’est pour cette raison que j’ai écrit Traditionis custodes, afin que l’Église puisse élever, dans la variété de tant de langues, une seule et même prière capable d’exprimer son unité [comme le dit la Constitution apostolique qui promulgue le missel de 1969]. « C’est pourquoi nous ne pouvons pas revenir à cette forme rituelle que les Pères du Concile, cum Petro et sub Petro [6], ont senti la nécessité de réformer, approuvant, sous la conduite de l’Esprit Saint et suivant leur conscience de pasteurs » (61).

Conclusion

Si Desiderio desideravi s’inscrit dans le contexte d’une réception difficile la finalité de cette lettre apostolique n’est pas ici de réguler l’usage d’un missel, mais d’inviter les acteurs de la liturgie, donc tout le peuple de Dieu, chacun à sa place pour « célébrer avec fruit » pour une participation de tous : à une célébration « pleine, consciente, active et féconde » comme exposé au début de ce commentaire (référence de Desiderio desideravi n° 5 à Sacrosanctum Concilium 11 et 14).

Liste chronologique des documents magistériels évoqués


II. Le pape François nous exhorte à nourrir notre foi dans la célébration de la liturgie

L’enseignement de Desiderio desideravi

Dans cette deuxième partie nous voudrions présenter l’enseignement du pape François en vue de nourrir notre réflexion sur ce qu’est la prière de l’Église puisque : « la liturgie la première source de la spiritualité chrétienne » (DD 61).

Entrer avec Jésus dans la liturgie

La Pâque juive devient à la dernière Cène le mémorial de notre salut célébré dans chacune de nos messes. La liturgie est plus que la messe mais l’eucharistie, la sainte messe est l’action et l’évènement liturgique par excellence, où se réalise la communion avec Dieu et avec les hommes. La messe n’épuise tout le sens du mot liturgie puisqu’elle est aussi la sanctification du temps avec la liturgie des heures. Parlant de l’actualisation du « repas ultime de Jésus et non reproductible » (4) dans « La liturgie nous garantit la possibilité d’une telle rencontre. » (11) le pape François nous invite à redécouvrir le trésor dont nous disposons pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Les métamorphoses d’une réalité immuable

L’adage lex orandi lex credendi, exprime l’importance de la prière publique de l’Eglise, la liturgie traduit notre foi. Avant la réforme liturgique qui suit le concile Vatican II, il existait plusieurs formes de célébration de la messe : messe basse messe chantée, messe solennelle et messe pontificale. La mise en œuvre des rubriques ne permettait pas de s’écarter, la forme était à suivre scrupuleusement. Avec la mise en œuvre du concile on aboutit à une diversification plus grande de « l’offre » liturgique, l’ordo missae [7] s’impose tout autant, mais la multiplication des lectures, l’utilisation de la langue vernaculaire, la prière universelle, l’échange de la paix et l’introduction d’usages non prévus au départ comme, la position du célébrant désormais quasi exclusivement face à l’assemblée et surtout l’élaboration et l’utilisation des chants liturgiques nouveaux avec pour corollaire l’abandon ou la marginalisation des pièces grégoriennes, avant que ne soit réédité le Graduale Romanum [8] tout cela a été vécu avec enthousiasme par le peuple de Dieu, mais a aussi suscité doutes et défiance pour une partie. Une conséquence peut-être inattendue de la réforme c’est qu’elle a permis l’expression liturgique d’une pluralité de sensibilités.

La liturgie dit ce que nous sommes

Celles-ci sont conditionnées en partie par notre rapport au monde. Or le monde est à la fois le monde du péché auquel nous n’échappons pas et en même temps le lieu naturelle où dans son ordre il s’organise légitimement lui-même et où l’Eglise annonce de la bonne nouvelle du salut. Notre liturgie a donc une dimension missionnaire même si elle n’est pas une prédication directe sur le forum de la cité, le rassemblement de la communauté locale dans un lieu et la manière dont il célèbre dit déjà quelque chose au monde.

L’autorité du magistère en matière de liturgie

Comme acteurs divers de la liturgie nous avons nos visions propres et diverses de notre rapport au monde et de ce que nous voudrions en manifester dans la liturgie. Ces dynamismes laissés à eux-mêmes peuvent se révéler centrifuges, ils doivent donc être régulés par le magistère de l’Église. Pour notre temps c’est dans la Constitution dogmatique sur la Sainte liturgie Sacrosanctum Concilium que les principes directeurs pour la « restauration et le progrès de la liturgie » (SC1) ont été donnés, en effet déjà le Missel de saint Pie V fut une étape importante dans l’histoire de la tradition vivante de l’Église, ce missel tridentin (issu du concile de Trente) fut régulièrement amendé jusqu’à saint Jean XXIII. La restauration signifie : retrouver une plus grande conformité à la Tradition, que les traditions et les usages ajoutés au cours du temps et commandés par les circonstances légitimes finissent pourtant par obscurcir. Le progrès n’est pas innovation gratuite mais concerne l’intelligence pour une bonne mise en œuvre de la liturgie confiée à l’Église.

La responsabilité des ministres ordonnés

Le pape François dans Desiderio desideravi (14 et 16) se réfère à la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium (n° 5, 10, 11 et 14) qui affirme que les sacrements coulent du côté du Christ sur la croix (SC 5). C’est bien l’œuvre de notre salut qui s’opère dans la liturgie. La liturgie est donc source pour nous régénérer et nous sanctifier et sommet par la charité du Christ à laquelle elle nous fait participer réellement (SC 10). C’est pourquoi il revient au célébrant de la mettre en œuvre fidèlement conformément aux normes édictées dans la perspective de permettre aux fidèles une participation « consciente, active et fructueuse » (SC 11). Cette participation active des fidèles doit être la préoccupation des pasteurs qui doivent « eux-mêmes (être) profondément imprégnés de l’esprit et de la vertu de la liturgie » (SC 14).

L’art de célébrer

Pour cela la constitution sur la liturgie promulguée au concile insiste sur la formation théologique et pratique des prêtres et des fidèles. Il y a donc un art de célébrer que doivent cultiver les prêtres et les diacres mais que ne peuvent ignorer ceux qui participent à la préparation et à la réalisation de la célébration liturgique et de la messe en particulier. Lecteurs, servants d’autel, de l’accueil, ministres extraordinaires de la communion, lecteurs, chanteurs et chantres, musiciens amateurs ou professionnels. L’art de célébrer n’est ni dans l’application mécanique de principes et de rubriques, ni dans leur ignorance.

Pour un examen de conscience la mondanité spirituelle

Dans Desiderio desideravi au n° 17, le pape François nous renvoi à l’exhortation Evangelii Gaudium, plus particulièrement au n° 94 où il nous propose une typologie des différentes attitudes non ajustées face la liturgie afin de nous garder de « la mondanité spirituelle qui se cache dans des apparences de religiosité » et qui dit-il plus loin illusionne ceux, c’est-à-dire nous aussi éventuellement, qui « sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique justement propre au passé ». « Le gnosticisme et le néo-pélagianisme comme les deux modes reliés entre eux qui alimentent cette mondanité spirituelle » (17) deux dangers ou poisons nous menacent donc dans l’Église : « la fausse jouissance d’une autosatisfaction égocentrique » (EG 94). Cela veut dire une Église auto référencée qui ne vit que du souci de son organisation interne et de sa perpétuation dans l’histoire.

Gnosticisme et le néo-pélagianisme [9]

Le gnosticisme c’est la quête de la possession et de l’interprétation pour soi du « secret » c’est-à-dire d’une connaissance qui m’autorise à dominer les autres avec condescendance ; c’est l’individualisme. L’Église serait alors pour quelques-uns, et de l’intérieur de la forteresse on jouirait de la satisfaction de voir la perdition des non-initiés. L’initiation salutaire est pour quelques-uns, c’est le gnosticisme ; la liturgie est notre œuvre, c’est le pélagianisme, cette hérésie ancienne et récurrente qui court au long notre histoire avant même qu’elle ait reçu son nom du moine Pélage (Ve siècle), elle consiste à ignorer la grâce et à être présomptueux de nos capacités naturelles.

La dimension communautaire de la liturgie (19)

La beauté et la vérité de la liturgie sont à redécouvrir pour plonger dans le mystère pascal (Cf. SC 7). La liturgie eucharistique réalise la triple présence du Christ : dans le sacrifice actualisé, dans l’audition de la Parole et dans la louange du peuple. Le respect des formes liturgiques est au service de cette redécouverte (21-23). Le pape nous exhorte à cultiver l’émerveillement pour un don reçu dans la liturgie. Le pape réfute la critique selon laquelle la réforme consécutive au concile aurait entrainé une perte du sens du mystère (25) car pour lui, le mystère n’est pas dans l’obscurité, on pourrait dire que l’obscurité ne fait pas le mystère au sens chrétien du mot mystère. Le don divin ne se communique pas par la voie ésotérique mais il se donne de manière explicite et réelle et conduit à l’adoration.

La liturgie du peuple de Dieu

Le concile voulait rendre au peuple de Dieu sa « capacité à s’engager dans l’action symbolique » (26). Le contexte de la postmodernité [10], dont un des traits et la perte de confiance dans la raison et la perte du sens de la vérité (28) rend difficile l’appropriation du langage symbolique. Face au monde moderne, le concile dans ses grandes Constitutions engage une invitation au dialogue de la foi. Cette foi exprimée authentiquement par le concile et dont le pape dit qu’il est le gardien avec nous (29). Le pape François en citant le discours de clôture du concile de saint Paul VI : « La Liturgie est le premier don que nous devons faire au peuple chrétien uni à nous par la foi et la ferveur de ses prières » nécessité d’accepter la réforme du concile et de la comprendre en profondeur (30).

La formation liturgique de tout le peuple de Dieu

Pour cette compréhension il faut une formation pour la liturgie et une formation par la liturgie (34). « Rappelons-nous toujours que c’est l’Église, le Corps du Christ, qui est le sujet célébrant et non pas seulement le prêtre » (36) appelle à une « approche liturgico-sapientielle ou compréhension théologique de la liturgie » dans la formation au séminaire (37). La formation liturgique fait entrer dans sa dimension pédagogique mais plus profondément la formation doit permettre de nous laisser conformer par le Christ (41). La liturgie n’est pas une œuvre que nous faisons pour Dieu c’est Dieu qui nous donne accès à lui par les sens au moyen du sacrement (43).

L’action liturgique est langage symbolique

Le pape François encourage à retrouver la puissance symbolique de la liturgie (44-45) il emprunte ce concept au Père Romano Guardini (1885-1968) théologien de la liturgie, un des théologiens de ce l’on appelle le Mouvement liturgique, avec entre autres Louis Bouyer (1913-2004) pour le monde francophone. Le père Romano Guardini est allemand d’origine italienne. Il fut le maître de Joseph Ratzinger à Munich. Parmi ses ouvrages traduits on peut citer L’esprit de la liturgie (1918, 1948), 1930 pour la 1re édition française. Le symbole unit une réalité matérielle et sa signification spirituelle, cette perspective ne doit pas être absente de notre engagement dans l’action liturgique. Le langage symbolique nous permet d’éviter une conception des sacrements qui soit seulement matérialiste ou seulement spiritualiste (46-47).

L’ars celebrandi

Le pape aborde ensuite la question de l’art de célébrer (ars celebrandi) (48) qu’il définit comme la juste manière de mettre en œuvre l’action du Christ qui agit lui-même dans l’action liturgique, ce donc pas la seule observance minutieuse des rubriques, même si cela ne l’exclut pas. L’enjeu est que la liturgie serve l’action du Saint Esprit sans que nous y fassions obstacle, c’est l’exercice d’un art. Cet art concerne en premier lieu les célébrants mais aussi « tous les baptisés » (51). Les fidèles sont aussi conviés à mettre en œuvre cet art par les attitudes spirituelles et corporelles : silence, réponse, attitudes corporelles (52-53).

Pour une saine autocritique de nos habitudes de célébration

Quand il aborde les différents « modèles de présidence » (54) on peut être tenté de n’y voir qu’une simple critique à l’encontre des ministres ordonnés. Il est plus profitable de voir dans cette typologie une grille d’évaluation pour examiner nos pratiques comme célébrants. Ainsi sont stigmatisées les attitudes suivantes :

« Une austérité rigide ou une créativité exaspérante, un mysticisme spiritualisant ou un fonctionnalisme pratique, une vivacité précipitée ou une lenteur exagérée, une insouciance négligée ou une minutie excessive, une amabilité surabondante ou une impassibilité hiératique ».

Le pape souligne donc la responsabilité du ministre ordonné qui préside, pour ne pas tomber dans le subjectivisme et présider à l’autocélébration d’une communauté uniquement tournée sur elle-même. Le célébrant qui préside doit s’effacer devant le mystère qu’il célèbre, il est habilité à présider la prière commune en raison « de l’effusion de l’Esprit Saint reçue lors de l’ordination, qui le rend apte à une telle tâche. Le prêtre aussi est formé par le fait qu’il préside l’assemblée qui célèbre » (56).

Le pape ajoute à destination de celui qui agit comme Christ tête et qui ne doit pas négliger le corps : « Présider l’Eucharistie, c’est être plongé dans la fournaise de l’amour de Dieu » (57). Le prêtre doit se chauffer à ce feu pour trouver les bonnes attitudes et pratiquer l’ars celebrandi qui rend alors inutile les directoires [11]. Enfin le pape (59-60) montre comment le prêtre en exerçant son ministère dans la célébration se laisser former par ce qu’il célèbre et sert le peuple de Dieu.

« Raviver notre émerveillement pour la beauté de la vérité de la célébration chrétienne »

Pour permettre l’union des cœurs dans une prière unanime le pape François revient sur l’unité de la forme liturgique qui commande l’unité de l’Église :

« Comme je l’ai déjà écrit, j’entends que cette unité soit rétablie dans toute l’Église de rite romain » (61).

Il justifie ainsi ces décisions concernant l’usage de l’ancien missel.

Après cette mise au point, le pape nous invite à l’émerveillement, de la manière la plus simple en nous plongeant dans les richesses de notre liturgie (62), le déploiement de l’année liturgique, le sens du dimanche, la Pâque hebdomadaire du huitième jour, celui qui n’a pas de fin (64) dimanche après dimanche notre vie rentre de plus en plus dans les dimensions du sacrifice agréable à Dieu, de la communion fraternelle, et de la diaconie (65).

Appel à la communion

Conscient du contexte exacerbé de la question liturgique le pape nous supplie : « Abandonnons nos polémiques pour écouter ensemble ce que l’Esprit dit à l’Église. Sauvegardons notre communion » (65). Cette responsabilité est celle de chacun. Depuis le concile cette question reste douloureuse d’autant que la confiance a été éprouvée par le schisme, mais la peuple de Dieu doit pouvoir trouver en son sein les ressources spirituelles pour servir la communion.

Des ressources pour progresser dans le service de nos liturgies

Nous notons aussi que pour nos communautés, il y a toujours une marge de progrès pour se former et ce laisser former par l’ars celebrandi. Le diocèse de Paris dispose :

  • d’une proposition, pour la proclamation des lectures à destination des paroisses,
  • d’ateliers d’amélioration des homélies pour les prêtres dans le cadre de leur formation permanente,
  • d’une Commission diocésaine de musique liturgique qui forme les animateurs de chant liturgiques et fait la promotion d’un répertoire musical de qualité. Ce sont les Samedis musicaux des Bernardins.

Voici autant d’outils qui ne sont que des outils mais qui gagneraient sans doute à être d’avantage sollicitées par nos communautés paroissiales.

Vivre pleinement la prière de l’Église

L’horizon du pape pour la liturgie de l’Eglise c’est que « tous sont invités au repas des noces de l’Agneau ». En conséquence le souci de l’Eglise c’est prendre les moyens pour que tous puissent entendre l’invitation ? La perspective de la liturgie est donc missionnaire (5). Elle s’inscrit dans « l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation » (Desiderio desideravi 5 citant Evangelium Gaudii 27).

Père Jérôme Bascoul
Président de la Commission de la Pastorale liturgique et sacramentelle

Lire la lettre apostolique “Desiderio desideravi”

[1Sans autres indications les numéros entre parenthèses sont ceux de Desiderio desideravi.

[2Citation de l’adage ancien Lex orandi lex credendi qu’on peut traduire par : la prière de l’Église est sa règle de foi. L’Église ne change pas la foi mais elle l’explicite dans la rénovation de la liturgie. C’est le débat de la réception du concile Vatican II et tous les conciles de l’Église.

[3Pape François, Lettre d’accompagnement du Motu proprio Traditionis custodes adressé aux évêques.

[4Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, Responsa ad doubia (levée des doutes) sur certaines dispositions de Traditionis custodes, du 18 novembre 2021.

[5Ibidem

[6Cum Petro « avec Pierre » les évêques constituent le gouvernement de l’Église avec le pape à la tête du collège épiscopal qui succède au collège des apôtres. Sub Petro : « sous Pierre », le pape successeur de saint Pierre, exerce à ce titre, le ministère pétrinien de la primauté pontificale, pour garantir l’unité et l’union du collège des évêques. Cette expression illustre les modalités de l’apostolicité de l’Église, collégialité et primauté.

[7L’ordo missae, l’ordre de la messe, ce sont les textes nécessaires pour la célébration de toutes les messes qui sont rassemblés dans le missel.

[8Graduale Romanum, Graduel romain, recueil annotés en grégorien des textes du graduel c’est-à-dire des versets d’introduction, de l’Évangile, de la communion et de l’ordinaire de la messe en latin. Les éditions de Solesmes l’ont édité en 1995 en conformité avec le missel de Saint Paul VI.

[9Le gnosticisme mouvement hétérodoxe des premiers siècles de l’Église, selon lequel une il y a une connaissance ésotérique qui ne peut sauver que les initiés. Le pélagianisme et le semi-pélagianisme sont deux courants spirituels ils sont une négation de la nécessité de la grâce pour vivre chrétiennement. Saint Augustin combat cette tendance et après lui les réformateurs protestants ou Pascal montrent que la question du rapport entre nature et grâce est toujours récurrente.

[10La post modernité se définie par opposition avec la modernité qui la précède dans le temps. La modernité se caractérise entre autre par la foi en un progrès continu et en des idéologies socialistes et universalistes, la post modernité est consécutive aux désillusions engendrées par ces idéologies et elle se caractérise par une crise de confiance envers la raison, et la vérité. La post modernité se nourrie de scepticisme et d’individualisme.

[11Congrégation pour le clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, du 31 janvier 1994, cf. n°64 entre autres sur la célébration de la liturgie. Les prêtres ne peuvent se contenter de ne vivre qu’au seul niveau du respect des normes pourtant utiles, mais ils doivent se laisser saisir par l’Esprit-Saint.

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