Message aux Évêques de France réunis à Lourdes en Assemblée plénière (Etienne Lhermenault)
Pendant l’Assemblée plénière, le Président du CNEF a fait une intervention qui était très remarquée, sur ce que réunit et ce que divise catholiques et évangéliques.
Messieurs les Évêques,
Mesdames et Messieurs les représentants des religieuses et religieux, Mesdames et Messieurs les directeurs des services nationaux de la CEF, Chers sœurs et frères en Christ,
C’est avec joie et reconnaissance que j’ai reçu votre invitation à assister à vos travaux pour la seconde fois, et dernière en ce qui me concerne, puisque je vais quitter la présidence du Conseil national des évangéliques de France en juin prochain après 9 ans de service. Depuis un an, c’est peu de dire que le climat s’est alourdi et qu’il ne fait pas bon être chrétien. L’actualité ne cesse de nous renvoyer une image peu flatteuse parce qu’elle met en lumière les failles de nos structures et le péché d’une partie de ceux qui les servent.
Notez bien que j’utilise la première personne du pluriel parce que, avec vous, je suis chrétien et, comme vous, je suis touché par la souffrance des victimes d’actes pédophiles et je suis attristé par le mauvais témoignage rendu à Celui qui nous a sauvés.
J’utilise aussi la première personne du pluriel parce que les évangéliques que je représente n’ont guère de leçons à donner. Entre les scandales d’adultère mis en lumière par le mouvement #metoo chez des pasteurs évangéliques de premier plan aux USA et les rhétoriques agressives faites de racisme, d’homophobie, de rejet des immigrés… qui séduisent des cohortes d’électeurs évangéliques au Brésil et aux USA, il n’y a pas de quoi pavoiser. Et se désolidariser à peu de frais de l’attitude de mes coreligionnaires parce qu’ils sont de l’autre côté de l’Atlantique serait minimiser l’universalité de la condition humaine, en particulier en ce qui concerne la propension au péché. Les informations indirectes et partielles qui me parviennent me laissent malheureusement penser que, dans nos Églises évangéliques en France, il existe aussi des pasteurs et responsables qui ne sont pas indemnes des fautes qui sont reprochées à certains des vôtres.
Si vous me permettez encore une remarque sur ce sujet douloureux, je ne crois pas aux solutions simplistes qui consistent à dire qu’il suffirait que les prêtres soient mariés... Vous connaissez la suite. J’appartiens à une tradition qui ne valorise pas le célibat comme condition du sacerdoce et qui, du coup, connaît tout à la fois le privilège, les limites et aussi les souffrances d’un pastorat exercé avec charge de famille. Je crois plutôt que nous payons tous un lourd tribut à l’hypersexualisation d’une société qui a cru trouver dans la libération des mœurs un remède à son mal-être et à ses aspirations et qui récolte, quelques décennies plus tard, une tyrannie des désirs qui asservit et qui s’exerce au détriment des plus vulnérables, jusque dans des foyers chrétiens qui paraissent au-dessus de tout soupçon.
Dans ma tâche pastorale, je suis troublé, parfois même accablé, par la lourdeur des fardeaux que portent nos contemporains. Bien souvent issus de familles décomposées (ce qu’elles sont avant d’être recomposées !) dans lesquelles la traîtrise et la haine ont laissé plus de trace que l’amour, ils se débattent avec une profonde culpabilité, de sérieuses addictions, des pensées suicidaires ou des envies de vengeance. Ils ont eu des parcours chaotiques, leur personnalité est souvent mal structurée, mais la pensée unique leur intime l’ordre de pratiquer une sexualité décomplexée, une vie de famille à géométrie variable, une filiation déconnectée bientôt de toute forme de procréation !
Je n’ai pas besoin de vous convaincre en la matière sauf à dire que, malgré les turbulences traversées, il ne nous faut pas baisser les bras. L’Église, les Églises doivent rester prophétiques et dire avec force que la liberté revendiquée par nos contemporains est une folie. Nous voyons sauter les uns après les autres les garde-fous instaurés par la loi, autrefois largement inspirée par la morale chrétienne, parce que nos gouvernants, de droite comme de gauche, préfèrent suivre l’opinion, consacrer le désir, encadrer la « transgression » plutôt que dire le droit, réfréner la convoitise et préparer l’avenir. La sagesse humaine, en faisant fi de toute transcendance, se condamne à n’avoir pour mesure qu’un horizon sans limites qui confine à la folie. Sans Dieu dans le ciel, il n’y a plus de règles intangibles sur la terre et plus de bornes au péché qui défigure l’être humain.
Dans ce contexte, plaider en faveur des vertus chrétiennes, dire sans faiblir que faire volontairement des enfants sans père et louer un ventre pour faire un enfant sans mère, c’est préparer le malheur de notre société et même son effondrement nous rend furieusement impopulaire. Faut-il pour autant nous taire ? ou plus subtilement taire les raisons de notre indignation ? Je ne le crois pas, d’abord parce c’est au Christ que nous voulons obéir, pas à l’opinion publique ; ensuite parce que ce rôle prophétique trouve aussi le chemin des cœurs par l’Esprit et convainc des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, que Jésus seul peut répondre à leurs aspirations les plus profondes et l’Église, les soutenir et les accompagner sur le chemin d’une vie vraiment libre.
Je vous sais actif dans ce domaine. Nous le sommes aussi. Et c’est tellement réconfortant de savoir, pour nous en tout cas, que nous ne sommes pas seuls dans ce combat.
Il me reste à vous dire un mot du Forum chrétien francophone que nous venons de vivre à Lyon à la fin du mois d’octobre. 220 chrétiens d’une vingtaine de confessions de France, Suisse, Belgique, Égypte se sont retrouvés pour dialoguer selon une méthode qui a désormais fait ses preuves : témoigner de son cheminement de foi avec le Christ en petits groupes. Des évangéliques ont ainsi découvert la profondeur de la spiritualité de frères orthodoxes ou l’engagement coûteux de frères et sœurs catholiques. Des catholiques ont découvert que les évangéliques étaient des chrétiens trinitaires et qu’ils confessaient la double nature du Christ ! Certes, cela ne résout pas tout et n’efface pas les distances théologiques et spirituelles qui nous séparent, mais cela permet de se découvrir mutuellement disciples du même Seigneur et d’envisager de se tendre la main d’association dans un monde qui se perd. Et c’est déjà beaucoup.
Comme le dit Jésus : Il nous faut accomplir les œuvres de celui qui celui qui m’a envoyé tant qu’il fait jour ; la nuit vient où plus personne ne pourra travailler (Jn 9.4).
Il le dit pour lui à ce moment précis de son bref ministère sur terre, mais je ne peux m’empêcher de l’entendre pour nous qui nous débattons dans un monde en déroute : la nuit vient, mais tant qu’il fait jour, il nous faut accomplir les œuvres de Celui qui nous a appelés et précédés.
Que le Seigneur bénisse vos travaux et donnent à toutes nos Églises de le suivre fidèlement !
Étienne Lhermenault, président du Conseil national des évangéliques de France
Lourdes, le 6 novembre 2018