« Un pape qui parle comme un pasteur »

Paris Notre-Dame du 9 mars 2023

Le 13 mars 2013, une fumée blanche sort de la chapelle Sixtine, à Rome. Un nouveau pape est élu : François. Comment relire ces dix années conduites par Jorge Bergoglio ? Quels ont été les moments marquants de son pontificat ? Le regard du P. Augustin Servois, vicaire à St-Nicolas-des-Champs (3e).

Le P. Augustin Servois est vicaire à St-Nicolas-des- Champs (3e).
© D.R.

Paris Notre-Dame – Comment relisez-vous ces dix années ?

P. Augustin Servois – En dix ans, le style du pape François a profondément impacté l’Église, et au-delà. Rien que par le choix de son patronyme, Jorge Bergoglio a annoncé une grande nouveauté. C’était la première fois qu’un pape choisissait de prendre pour appui saint François d’Assise, un homme qui a mis au centre de sa vie la figure du pauvre, qui avait un rapport à la nature impacté par la rédemption... Jorge Bergoglio avait atteint sa pleine stature et avait trouvé son axe, il savait déjà d’une certaine manière dans quelle direction le Seigneur attendait qu’il gouverne l’Église. Les racines de ce qu’il porte et de ce qu’il offre aujourd’hui sont profondes. Sa pensée est construite. Il cherche à conduire l’Église, appelée par le Christ à une réforme permanente en tant qu’institution humaine et terrestre, dans son pèlerinage sur la Terre. Selon moi, il conçoit son pontificat comme le fait d’aider l’Église à passer d’une époque à l’autre. Il en parle dans son livre : Un temps pour changer, publié à l’occasion du premier confinement, en donnant une sorte de méthode, fruit d’une expérience de plus de trente ans. Confronté à une instabilité au sein de sa congrégation – les jésuites argentins ont souffert de grandes tensions entre partisans de la théologie de la libération et partisans du régime totalitaire – il a dû lui-même développer une logique de discernement et de navigation par gros temps : chercher des figures inspirantes, une manière de penser…

P. N.-D. – Quels sont, pour vous, les points marquants de son pontificat ?

A. S. – Je parlerais plutôt de thèmes que de points. Ce qui prime chez François, c’est le processus. On pourrait parler de sa visite à Lampedusa (Italie), en 2013, qui a été un coup de projecteur sur ce qui est devenu un mouvement de fond de son pontificat : construire une Église pauvre pour les pauvres. C’est ce qui va le conduire à écrire Amoris lætitia, Fratelli tutti, à mener, en 2019, le Sommet sur les abus sexuels… Il ne se contente pas d’une doctrine mais essaie de penser l’Église à partir des personnes. Le deuxième « thème » est intégré dans son discours à la curie de 2014 où il diagnostique les quinze maladies qui défigurent l’Église en appelant à agir de manière à ce que le Christ soit au centre. Un troisième thème serait illustré par son voyage en Irak. On retrouve là la patte de saint François d’Assise. Pour lui, il n’y a pas de limites à la parole de l’Église aux périphéries, y compris avec les autres religions comme l’islam.

P. N.-D. – Qu’apporte-t-il aux fidèles ?

A. S. – Ce qui est frappant chez le pape François, c’est qu’il a des paroles accessibles par tous, à commencer dans ses homélies données à la Maison Sainte-Marthe. Il y prêche quasiment en curé de paroisse avec un langage fleuri, imagé. Je suis très frappé de voir à quel point ses grandes encycliques ou documents sont impactants à l’échelle paroissiale. Il est facile de s’en nourrir, d’en faire des parcours, de construire une pastorale à partir d’eux. C’est un pape qui parle comme un pasteur, non pas d’abord pour instruire mais pour provoquer un changement. Le revers de la médaille, c’est qu’il s’expose à des imprécisions, des erreurs. Jamais un pontificat n’a été autant exposé à la critique, d’une rare violence parfois, surtout à l’intérieur de l’Église. Il a le courage de dire ce qu’il pense et le courage de ne pas se défendre. Il s’est fait beaucoup d’ennemis, certes, mais n’est-ce pas parce qu’à la manière évangélique il se montre dur avec les fils de la maison et miséricordieux avec les pécheurs ?

Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab

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