Un temps pour mourir – Derniers jours de la vie des moines
Nicolas Diat
Un temps pour mourir – Derniers jours de la vie des moines, de Nicolas Diat, Récit, Ed. Pluriel.
Prix du Cardinal Lustiger, Grand Prix de l’Académie française.
Fiche de lecture rédigée par Viviane Tourtet. Pastorale des funérailles du diocèse de Paris. 2022.
Nicolas Diat nous invite dans cet ouvrage consacré à la fin de vie des moines de divers monastères, les Abbayes de Lagrasse, En-Calcat, Solesmes, Sept-Fons, Citeaux, Fontgombault et le monastère de la Grande Chartreuse, à entrer dans l’intime de ces hommes qui, comme nous tous, sont parfois confrontés à la souffrance, tant physique que psychique, aux angoisses, à la peur mais qui, en amis de Dieu, attendent que la promesse de la vie éternelle se réalise.
La lecture de ce livre ne laisse pas indifférent, elle nous touche dans notre humanité la plus profonde. Elle laisse des traces, elle sème en nous les graines de l’espérance.
Comment ne pas être bouleversé par les témoignages des frères infirmiers, véritables anges gardiens pour la communauté et plus spécialement pour les frères malades, mourants ? Plusieurs rappellent le passage de la Règle de Saint Benoît : « Le soin des malades doit tout primer. On les servira vraiment comme le Christ, qui a dit : ‘ J’ai été malade et vous m’avez visité. ‘ » Ils veillent à ne pas s’occuper machinalement des malades, à leur porter une réelle attention, en pleine conscience, et rappellent qu’il convient sans cesse de redonner à la fraternité tout son sens. Ne serons-nous pas jugés sur notre charité ? Certains n’étaient pas préparés à ce travail exigeant, de tous les instants parfois ; mais aidés par la lumière de la foi, ils soignent le Christ lui-même.
Comment ne pas être touché par les confidences de certains Pères abbés dont le rôle est d’accompagner dans la démarche spirituelle, d’encourager les moines tout au long de leur longue vie monastique qui est meditatio mortis ; cela peut parfois relever d’un véritable défi lorsque des frères sont atteints de troubles psychologiques qui ne permettent plus aux moines de retrouver leur ancienne vie spirituelle et peuvent même mettre fin à leur vie.
Comment ne pas être sensible à la place qu’occupent les novices auprès des frères ainés au service desquels ils se mettent et ce, jusqu’au moment du passage.
Contre la peur de l’oubli, ce livre rappelle combien il est important de se souvenir des morts. Des notices biographiques sont ainsi écrites après le décès des moines qui sont lues de temps à autre au réfectoire. Il est aussi coutume, après le décès d’un frère, d’évoquer des souvenirs lors de la récréation. Le travail de mémoire est capital. L’auteur nous rappelle du reste qu’au Moyen-Âge, les abbayes possédaient un rouleau des morts où étaient inscrits le nom des défunts, rouleau qui circulait de monastère en monastère. Un moine de Cluny était chargé d’annoncer les morts et d’appeler à la prière. Le nom des derniers défunts était alors ajouté à la liste.
Il est intéressant de noter que dans le monde rural où se trouvent bon nombre d’abbayes et de monastères, il est parfois difficile de trouver des médecins, que les jeunes praticiens ont davantage tendance à faire de la prévention, à recourir aux hospitalisations. Force est de constater que la technologie a remplacé l’humain. Comme le constate Dom David, Père abbé d’En-Calcat « Il faut rester en lien avec Dieu, dont nous tenons notre souffle. Ce trait d’union ne peut pas être rompu. Le médecin soigne, mais c’est le malade qui guérit. Le rétablissement du corps reste toujours en lien avec Celui qui donne la vie. » Les moines se préparent toute leur vie pour vivre pleinement leur mort et parfois les traitements proposés, antalgiques, sédation légère ou profonde, mettent à mal leur désir d’offrir leur mort au Seigneur.
Comment ne pas être frappé par ce sens de l’obéissance qu’ont les moines jusqu’à lutter au moment de mourir pour ne pas quitter cette terre en l’absence du Père abbé, représentant du Christ dans la tradition bénédictine, qui n’a cessé de veiller sur eux. La mort s’invite parfois dans la chambre du mourant, à peine le Père abbé a-t-il franchi la grille d’entrée après une absence.
La mort dans les monastères est généralement paisible même si la souffrance peut être là, terrible. Les moines accompagnent le frère mourant, prient à ses côtés, dans sa cellule, le veillent pour le guider lors du grand passage vers l’éternité. Ils le veillent encore après, dans sa cellule, à l’infirmerie, dans l’église ou la chapelle. Ils se relaient 24h/24. Il est à noter que la force de la prière du moine exerce une influence certaine sur sa manière d’aborder la vieillesse et la mort et peut-être le lecteur y trouvera une belle piste à suivre.
La plupart des abbayes souhaitent que les frères meurent à l’abbaye et essaient d’avoir les meilleures relations possibles avec le personnel médical afin qu’au moment voulu, le malade puisse revenir là où Dieu l’attend, dans l’intimité de sa cellule, entouré de ses frères.
Cet ouvrage invite le lecteur à changer de regard sur la fin de vie et la mort : la vie terrestre a une fin, le corps a ses limites qu’il ne convient pas de repousser à tout prix. Dieu est là qui nous attend, nous ses enfants, il est là qui nous prend par la main pour nous montrer que les promesses de la foi se réalisent. Pour le moine, l’essentiel de la vie ne fait que commencer.
Les enterrements des moines sont toujours joyeux. L’auteur nous raconte que les familles des moines sont toujours très étonnées du climat paisible et serein qui règne à ce moment-là. C’est un « à Dieu » qui se vit et non un adieu. Nicole Diat utilise au sujet du monastère la belle image « d’antichambre d’un grand bonheur ». Un grand soin est apporté aux rites funéraires, les larmes sont rares. Dom Philibert à Solesmes explique : « Il ne faut pas y voir une sécheresse de nos sentiments. Nous savons où nos frères partent (…) Notre existence doit être un noviciat d’éternité. » Les moines accordent une grande importance à la veillée funéraire qui est un moment d’exception pour dire adieu spirituellement au défunt. Voici une autre piste de réflexion pour nous aussi, à une époque où ce temps n’est plus de mise.
Chacune des abbayes a bien sûr des spécificités, notamment la Grande Chartreuse, où le cimetière se trouve au centre du cloître. Les jours d’enterrement sont jours de fête, les moines sont autorisés à manger ensemble au réfectoire. Ayant mené une vie d’ermite toute leur vie, les chartreux sont peut-être davantage préparés à mourir et sont enterrés dans l’anonymat, à même la terre. Rayonnants, ils acceptent la nuit de la terre et attendent impatiemment le ciel, pour reprendre l’image de Dom Innocent.
Nous vous recommandons vivement la lecture de ce livre qui nous laisse entrevoir comment grâce à la prière, nous pouvons tous, chrétiens, cheminer sereinement pour nous unir à Dieu lorsque le temps sera venu et pour accompagner de manière bienveillante nos frères et sœurs en humanité, dans leurs deuils.