Veillée de prière pour la vie 2018 à Notre-Dame de Paris
Le mercredi 16 mai 2018, les évêques d’Île-de-France ont invité les uns et les autres à la prière pour œuvrer toujours plus en faveur du respect de la vie humaine. Cette année, la Veillée de prière pour la vie a pris une dimension particulière en raison des débats liés aux États généraux de la bioéthique.
Comme chaque année, les diocèses d’Île-de-France ont organisé à Notre-Dame de Paris une grande Veillée de prière pour la vie. L’ensemble des évêques ont confié les uns et les autres dans la prière pour œuvrer toujours plus en faveur du respect de la vie humaine (début et fin de vie, handicap, exclusion des plus faibles, des plus âgés, des malades...).
Cette année, la 10e Veillée de prière pour la vie a eu une dimension particulière, en raison des débats liés aux États généraux de la bioéthique et à la révision des lois qui suivra.
C’est la raison pour laquelle tous les évêques d’Île-de-France se sont mobilisés dans une courte vidéo. Ils nous interpellent :
« Les techniques médicales et les biotechnologies apportent des possibilités formidables, elles posent aussi des questions, que nous devons regarder en face. »
« Comment encourager en toute circonstance le respect de l’être humain dans sa dignité et dans sa vulnérabilité, et comment éviter le risque de fabriquer des êtres humains selon nos désirs ? »
« Accepterons-nous de rester présents aux personnes et de nous entraider dans les situations douloureuses ? »
« Nous osons croire qu’un monde fraternel est possible »
– Lire l’homélie de Mgr Michel Aupetit lors de la 10e édition de la Veillée pour la vie 2018
– Revoir l"intégralité de la Veillée de prière pour la vie 2018
Témoignages
Constance et François de Regloix
mariés, ayant renoncé à la PMA,se re-convertissant à l’Île Bouchard
Bonsoir,
Nous sommes François et Constance et nous avons respectivement 39 et 36 ans. Nous sommes mariés depuis bientôt 15 ans et nous sommes un couple heureux en espérance d’enfant.
Après un long et difficile parcours d’Aide Médicale à la Procréation, nous avançons maintenant sur le chemin de l’adoption. Nous espérons qu’un enfant Français ou Philippin nous soit confié.
Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous sommes apaisés et avons la joie d’être ici ce soir pour témoigner de notre parcours.
Nous nous sommes mariés en 2003. Et très vite nous sommes partis en Chine où nous avons passé 7 heureuses années.
Les 2 premières années furent insouciantes. Dans le tumulte de notre vie trépidante à Shanghai nous étions sans inquiétude de cet enfant qui n’arrivait pas.
Nous avons commencé nos premières démarches médicales en Chine où les procédés et la psychologie étaient très différents par rapport à la France.
Finalement nous décidons de rentrer en France pour avancer sur ce désir d’enfant. Pour moi ce fut difficile d’accepter de modifier ma carrière pour ce projet…
En France, nous avons d’abord été boostés et stimulés… Je regardais Constance faire ses prises de températures ou piqures quotidiennes, ses opérations chirurgicales, parfois très douloureuses. J’étais démuni…
Puis s’est posée la question des Fécondations In Vitro… Nous avons démarré notre mariage plein de convictions et d’idées préconçues sur la vie. Mais nos difficultés à concevoir un enfant nous ont bousculés. Je me souviens d’avoir passé plusieurs mois à réfléchir sur la FIV et plus généralement sur le sens de la Vie.
– Peut-on demander à la médecine de se substituer à Dieu
– Comment sont sélectionnés les embryons ?
– Qu’allons-nous faire des embryons s’il en reste ?
Nous avons fait plusieurs FIV. Cette décision fut très difficile à prendre, parfois comprise et parfois ouvertement jugée et reprochée.
La vie des couples sans enfant est difficile au quotidien. Je me souviens des pleurs de Constance à l’annonce des grossesses de la famille et des amis. Je me souviens de cette déception qui revenait tous les mois.
Ma plus grande tristesse a été de voir ma femme souffrir et d’être impuissant à la soulager !
La médecine n’a pas trouvé de cause à notre infertilité…
Fatigués par 10 ans d’Aide Médicale à la Procréation rythmés par plusieurs inséminations et fécondations in vitro où la mécanique et la technique ont pris le dessus, nous décidons de tout arrêter.
Ces procédures sont trop longues, trop violentes et nous épuisent. Les doutes reviennent, aurons-nous des enfants un jour ?
Nous traversons les tourments liés à notre situation, les grossesses dans notre entourage se multiplient, nous perdons confiance en Dieu, nous sommes révoltés et nous nous sentons abandonnés sur le banc des couples sans enfant.
Ma foi en a pris un coup aussi… Nous avons beaucoup prié et demandé à Dieu d’exaucer notre vœu… Notre famille et nos proches ont aussi beaucoup prié pour nous. Nos grand-mères ont égrené des chapelets, une adorable cousine m’a assuré des prières de son couvent…
Mes prières restant à mes yeux sans réponse, je commençais à trouver Dieu inutile, j’étais en colère contre Lui… à quoi bon le prier puisque cela fait plus de 10 ans qu’Il ne nous écoute pas…
Le Bon Dieu est venu nous chercher quand nous étions au plus profond de notre désespoir, à un moment où nous avions décidé de tout arrêter, nous ne savions plus quelle nouvelle direction prendre.
Le prêtre qui nous accompagne est une oreille attentive et consolatrice au moment où nous choisissons de nous confier. Il nous comprend et nous rappelle que le Christ porte avec nous nos souffrances.
Des amis nous parlent de la retraite pour les couples en espérance d’enfant organisé par l’Emmanuel à l’Ile Bouchard.
Ou est notre fécondité ? Quelle est la vocation de notre couple ?
J’allais trouver une réponse à l’Ile Bouchard. J’allais avec des pieds de plomb à ce WE et par miracle ces deux jours nous ont peut être sauvés. Je remercie ce soir les couples qui ont témoigné et organisé ce WE.
D’abord nous prenons conscience que nous ne sommes pas seuls. Que nos colères, nos souffrances et tristesses sont naturelles et partagées par d’autres.
Nous n’avons plus besoin de nous justifier, nous trouvons la consolation et l’apaisement. Le Bon Dieu nous rejoint dans notre souffrance, et porte avec nous la croix de l’épreuve. Nous découvrons que le Bon Dieu est toujours à nos côtés et ne nous a jamais abandonnés.
Si notre couple est toujours solide malgré cette épreuve, c’est peut être grâce aux prières de nos proches.
Nous remettons à Dieu notre fardeau et lui confions notre vie… « Fais de moi ce qu’il te plaira… »
Nous rentrons à la maison confiants, sereins et apaisés. Dieu est avec nous et nous comprenons enfin que Dieu a un projet pour nous et chacun de nous. Nous choisissons la Confiance et de nous en remettre à Dieu. Nous osons parler de conversion.
Je rêvais de pouvoir mettre un terme aux souffrances de l’Aide à La Procréation et de pouvoir nous ouvrir à l’adoption. Doucement l’idée prend place dans le cœur de Constance.
François a toujours pensé à l’adoption, il me soufflait son idée régulièrement. Je ne voulais pas en entendre parler, car j’associais l’adoption à un échec personnel dans notre parcours, de devoir recommencer à zéro, moi qui me suis battue pendant de si longues années pour avoir un bébé qui nous ressemble.
J’accepte le chemin de l’adoption qui me faisait si peur. Quelle grâce ! Nous osons parler de renaissance, nous aurons des enfants autrement.
Avec du recul je crois que la plus grande grâce que nous ayons obtenu, c’est la grâce de l’acceptation, la grâce d’avoir traversé cette épreuve ensemble, une épreuve qui divise tellement les couples et les familles.
Désormais le Bon Dieu nous accompagne dans nos démarches, nous arrêtons nos procédures d’Aide Médicale à la Procréation, nous acceptons cet autre chemin qui nous est offert et qui désormais nous apparait comme une évidence. Cet autre chemin pour aller chercher notre enfant en France ou au bout du monde.
Notre décision prise, nous ressentons comme une profonde libération, l’adoption est un parcours que nous vivons à deux, c’est un chemin où nous nous retrouvons ensemble et qui nous ressemble et nous rassemble. Nous rendons grâce à Dieu pour le chemin parcouru loin du marathon individuel et épuisant de l’Aide Médicale à la Procréation.
Il nous aura fallu 10 ans pour en arriver là, pour ouvrir notre cœur au projet de Dieu pour nous et l’accepter avec gratitude.
Nous nous sentons portés et accompagnés par notre entourage. Nous rencontrons des personnes qui accueillent avec bienveillance nos démarches d’adoption, les procédures nous semblent fluides et simples.
François, dans sa merveilleuse force de caractère m’a toujours dit que ne pas avoir d’enfants ne nous empêcherait pas d’être heureux.
Nous choisissons le Bonheur et d’être heureux maintenant, en s’efforçant de ne pas laisser trop la porte ouverte à nos doutes et angoisses.
Nous acceptons de transformer notre infertilité en chemin fécond.
Marthe Robin a dit que souffrir apprend la charité et l’abandon à Dieu. Nous nous engageons dans l’ Église auprès des jeunes de l’aumônerie. Nous sommes également investis dans une association caritative, Magdalena, au service des personnes qui vivent dans la rue et de la rue. Se donner et donner de notre amour et de notre temps est devenue une nécessité.
De notre souffrance vécue et acceptée nait un projet d’adoption et une volonté d’agir, nous comprenons et partageons la souffrance de l’autre. Nous avons le projet de monter un groupe de partage et de prières dans notre diocèse pour apporter aide et consolation aux couples en espérance d’enfants.
Nous choisissons la Confiance et l’Espérance. Une de mes amies m’a dit un jour « L’Espérance c’est d’être convaincu que le Christ n’a pas dit son dernier mot ». Je la remercie pour ses mots qui portent.
Ce soir nous remercions et rendons grâce à Dieu d’avoir gardé notre couple uni et de l’avoir rendu fécond.
Martha Kayser
épouse d’un homme handicapé moteur et mère de 5 enfants
Notre histoire, dont je vais vous parler ce soir, est avant tout une histoire humaine, et j’allais dire « ordinaire ».mais j’espère qu’elle témoignera que toute vie est précieuse.
Car je vais vous parler d’un homme qui était très lourdement handicapé, et vous savez, si on avait pu diagnostiquer son handicap avant sa naissance, je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui, on lui aurait donné une chance.
Et de quel trésor nous aurions été privés !
C’est pour cela qu’il est si important de laisser une chance a chaque vie…
Car vous allez voir, même si la vie de philippe n’a pas été tous les jours facile, elle témoigne qu’il faut prendre le risque d’accueillir toute vie, car on ne peut pas savoir comment dieu va y œuvrer.
J’aimerais vous raconter une histoire.
« Nous sommes un matin du mois d’août. Avec mes cinq trésors, âgés de trois à onze ans, nous nous trouvons autour de la table de la cuisine, dans notre maison de bois-le-roi. philippe, mon mari, arrive sur son fauteuil roulant électrique. Jean, qui vient d’avoir six ans, me demande de sa petite voix aiguë : « dis, maman, est-ce papa peut siffler ?
– non, jean, il n’y arrive pas, lui expliqué-je simplement.
– dis-donc, maman, papa ne sait pas faire grand-chose…., observe mon fils sans complexe.
– jean, tu sais bien que son handicap ne le lui permet pas », rétorqué-je tout aussi calmement.
Soudain, de l’autre côté de la table, Agnès, dont c’est aujourd’hui le huitième anniversaire, prend la parole avec une certaine vigueur : « moi, je sais ce qu’il sait faire, papa : papa sait aimer ! », et elle se précipite sur les genoux de Philippe, en l’embrassant de tout son cœur… du haut de ses huit ans, Agnès a vraiment tout compris ».
Philippe est né dans une famille pied noir en 1952 à Alger, il est devenu infirme moteur cérébral à cause d’une incompatibilité rhésus, suivi d’un manque d’oxygène. Très aimé par ses parents courageux, et après un parcours du combattant, des années de rééducation intensives, Philippe peut accomplir un minimum de tâches quotidiennes seul. C’est la conquête de l’autonomie. Philippe a su rapidement adopter le propre de ce qui fait l’humanité – le rire ! Il avait un éclat de rire communicatif, ce qui fait que quand on allait au cinéma, toute la salle riait à cause de lui ! Surtout, Philippe avait un accueil inconditionnel de la vie, et est parvenu à consentir à sa vie telle qu’elle était. « J’ai un rôle à jouer comme je suis » nous disait-il, et il habitait pleinement son corps fragile.
Il faisait tomber les barrières, nous aidait à l’apprivoiser, parce qu’il savait que certaines personnes, à cause de leur sensibilité, avaient du mal à accepter sa forme de handicap.
Et puis, Philippe était persuadé qu’il pouvait rendre une femme heureuse, qu’il serait capable de faire le bonheur d’une femme qui oserait se laisser aimer par lui, ainsi que des enfants qui naîtraient de cette union.
Je suis née à Dublin, en 1963, j’arrive à paris à l’âge de 22 ans, avec mon diplôme de professeur d’anglais, et mon rêve d’épouser un jeune homme grand, beau, blond aux yeux bleus, et surtout, riche !!
Je travaille à paris et fréquente le même groupe d’amis que Philippe. Il ne correspond pas du tout à mon rêve, et pourtant, petit à petit, je me lie d’amitié avec ce jeune homme que je trouve « beau et élégant » malgré ses difficultés d’élocution et son fauteuil roulant.
Un jour, je découvre que Philippe désire se marier, et je me demande : « qui va accepter d’être son épouse ? » Je suis à mille lieues d’imaginer que je serai progressivement amenée à cheminer avec lui. À ma grande surprise et après bien des hésitations, je dois me rendre à l’évidence : j’aime Philippe.
Je me suis laissée saisir par son amour, sa joie de vivre, son humour qui emportait tout. J’ai été séduite par la beauté de sa personne, de son âme, de tout son être que j’ai découvert dans un corps déformé, certes, mais pour moi, tout de Philippe, était beau et aimable.
Ce début de notre histoire me semble loin. Je dis bien aux jeunes que je rencontre que je n’aurais pas imaginé ma vie ainsi, que bien sûr j’ai été remplie d’appréhensions devant ce handicap physique, comme tout le monde peut l’être, et c’était normal. Le combat fut difficile pour vaincre mes réticences, mais une fois que j’avais franchi un cap, ayant découvert le trésor qu’était Philippe, nous n’avons pas arrêté d’avancer sur ce chemin ensemble.
Me croiriez-vous maintenant quand je vous dis que le simple fait de vivre en sa présence me permettait de vivre un peu du ciel sur la terre, que je n’avais pas l’impression d’épouser la souffrance, alors que si souvent on comprend le contraire ? Combien de fois j’ai vu des gens qui me plaignaient de mon sort et qui s’apitoyaient sur moi.
Nous nous sommes mariés et nous avons vécu des années de bonheur à Bois-le-Roi, petite ville de Seine-et-Marne, sous le regard maternel de la sainte vierge, honorée sous le titre de marie reine immaculée de l’univers, tout près de la fraternité, une communauté religieuse dont nous sommes très proches.
Des jours et des années merveilleuses, remplies de joies profondes, de bonheur, de grandes richesses, et cinq beaux enfants qui croquent la vie à pleine dent, (trois filles et deux garçons, âgés maintenant entre 26 et 17 ans), conçus naturellement. Oui, Philippe était capable de donner la vie, et le handicap n’était pas héréditaire. Les jeunes me demandent parfois : mais madame, quelle autorité Philippe pouvait-il avoir sur ses enfants ? Je cite Philippe : « une mauvaise petite voix me chuchote qu’en grandissant avec un père comme moi, cet enfant sera, sinon traumatisé, du moins gêné dans ses rapports avec les autres, et je décide de ne pas l’écouter. » Après réflexion, Philippe décide de faire taire ses doutes sur sa capacité à être un bon père.
Il nous dit encore : « chacun de nos enfants aura sa place dans la société, et le fait d’avoir un père handicapé, non salarié et inapte au travail ne les empêchera pas de traverser le monde et de trouver leur vraie place, de même que leur père a trouvé la sienne malgré son handicap. » (D’ailleurs, à un camarade de classe qui dit à une de nos filles, ‘ton père est handicapé !, elle répond calmement : et alors ??)
Hélas, en 2005, nous avons vu apparaître des signes d’un grave problème de santé chez Philippe : une compression de la moelle épinière au niveau des cervicales, dû à de l’arthrose va le priver de son autonomie, en le paralysant de plus en plus, et l’apparition de douleurs neurologiques vont le faire souffrir terriblement pendant cinq ans.
Notre vie bascule.
Nous devons réaménager notre maison, réorganiser notre vie de tous les jours, engager du personnel pour nous aider.
Philippe enchaîne les opérations, des séjours à l’hôpital, des douleurs indicibles, une perte d’autonomie totale pour cet homme qui se faisait un point d’honneur à passer l’aspirateur du haut de son fauteuil électrique.
« Tu sais, Martha, je comprends que mon métier, c’est de souffrir », me dit-il un jour. Puisque son état physique se dégradait, il fallait, de nouveau, accepter, et dire un deuxième oui. Philippe, après bien des efforts, m’a époustouflée par sa façon de vivre cette grosse épreuve : ce lutteur remontait le moral de sa femme et l’encourageait.
« Allez Martha, courage, confiance ! (…) on tachera de garder le sourire, de toujours faire jaillir la vie au milieu de ces souffrances.
On est bien d’accord que c’est avec la grâce de Dieu que Philippe pouvait garder son âme dans la paix au milieu de la fournaise, qu’il pouvait tout offrir par amour, qu’il pouvait continuer à aimer la vie, et à aimer sa vie.
Et nos enfants dans tout cela ?
Ils nous disent clairement qu’ils n’allaient pas toujours de gaité de cœur aider leur papa, faisaient la sourde oreille quand il appelait, négociaient entre eux quand il fallait rendre un service. Mais, malgré la lourdeur de son handicap, les journées plus au moins pénibles, les douleurs parfois écrasantes, Philippe rayonnait. Une de nos filles nous dit : « à travers tout il continuait d’être cette source d’amour intarissable. Avant d’être quelqu’un qui souffrait, papa était quelqu’un qui m’aimait. » Et un de nos fils : « c’est paradoxal qu’un homme fragile et souffrant, qui était couché presqu’en permanence, puisse devenir un héros. » Il voyait bien que son héros était sans force, mais il restait quand même son héros. « Dans sa souffrance, Philippe s’appliquait encore à faire le bonheur de ceux qui l’entouraient. »
C’est au cours d’un séjour de rééducation dans le sud de la France, le 2 juin 2010, qu’il est parti au ciel, soudainement, emporté par une infection pulmonaire.
Je l’ai appris par un appel téléphonique de l’hôpital, à quatre heures du matin. Un proche m’a dit que cela devait être une délivrance, après ces 5 années de souffrances continuelles : pour Philippe, oui. Pour moi, non !!! Absolument pas ! En toute honnêteté, j’aurais préféré vivre encore ce portement de croix, à cause de tout l’amour qu’il y avait en chemin. Nous voilà plongés dans le deuil et la tristesse. Un passage long et bien difficile pour toute la famille.
J’ai essayé, avec beaucoup de peine, de me mettre en face du caractère irréversible du départ de Philippe. Je devais, à mon tour, accepter de prononcer un oui en faveur de cette vie dont je ne voulais pas, et que je devais quand même re-choisir. Les jeunes me demandent souvent : si vous deviez refaire votre vie, poserez-vous les mêmes choix ?
Oui, mille fois oui !
Parce que j’ai vécu de si grandes et belles choses auprès d’un époux qui était pourtant si affaibli et diminué, auprès d’un homme qui était si peu performant aux yeux du monde, mais tellement exceptionnel. Philippe était un homme qui a aimé par-dessus tout, par-dessus sa propre vie. Vous serez d’accord avec moi : les grands vivants comme Philippe nous font du bien.
Je vous laisse avec ces quelques images de Philippe, de nos enfants, tout en sachant que la vie de Philippe va plus loin que les images.
Docteur Jean-Marie Gomas
ancien chef du service des soins palliatifs à Sainte-Perrine
J’ai accepté ce soir de témoigner de mes 35 ans de pratique comme médecin, à l’hôpital public ; je suis spécialiste de la douleur, de soins palliatifs, des questions éthiques de la fin de vie
Et vous savez à quel point ceci est un grand enjeu du débat actuel
Nous sommes tous submergés de communications, assertions, d’idées reçus sur la dignité, la fin de vie, sur le sens de la vie, dans cette société performative, toujours plus rapide, superficielle, où n’importe qui, même sans compétences, peuvent faire entendre sa voix et des contrevérités qui viennent engluer le débat.
Contradiction stupéfiante : on est obsédé par le soin du plus faible, de la personne handicapée, du migrant, du prisonnier, de tous ceux ont qui sont en danger., et c’est bien. Mais au même moment, là où l’homme se doit d’être aidé, soutenu, écouté, on veut abréger sa fin de vie pour des arguments approximatifs !
Nous entendons tous des phrases comme
– « il est évident qu’il faut abréger ses souffrances » mais notre devoir primordial de médecin devra être de soulager les douleurs, prendre en compte les souffrances. Au nom de quoi abréger cette existence ?
– « Bien sur cette vie n’est plus digne » comme si la vie pouvait se mesurer avec un dignitomètre !
Or nous sommes tous digne, c’est intrinsèque, ontologique, attaché structurellement à notre qualité d’humain. Des siècles de pensées judéo chrétienne, d’évolution de la démocratie, des idées philosophique, Kant, Hegel… ont forgé ce socle de notre société.
Et de plus la dignité n’est pas liée à l’état du corps ! même le plus malade d’entre nous a toujours sa dignité.
Notre autonomie qu’il faut bien sur respecter, n’est pas seulement physique, elle est relationnelle, pas seulement basé sur le fonctionnement du corps !
Je voudrai partager avec vous quelques données scientifiques
1. D’abord il faut bien savoir que douleur et souffrance ne sont pas superposables
Dans la loi Claeys lonettei, qui est une très bonne Loi sur beaucoup d’aspect ; il y a hélas cette phrase de l’article 3 qui dit qu’à la demande du patient « d’éviter toute souffrance » … Quel mirage de toute puissance ! Certes on peut s’approcher de la fin sans douleur ou avec peu douleur - à vous de bien choisir votre équipe médicale ! - mais on ne peut enlever toute souffrance.
Je vous confirme, pour avoir accompagné des milliers de malades divers et variés, de toute confession de toute culture, à domicile, à l’hôpital public, que la fin de vie ne peut se gommer d’un trait de plume sous prétexte qu’elle devient difficile.
Oui ce n’est pas facile mais cette vie est remplie de sens, sacrée vie, vie sacrée, et à vivre jusqu’au bout : les patients nous le montrent si on sait les écouter avec subtilité et humilité.
2. Ils nous le montrent comment ? Par leur manière de ne pas lâcher prise
Je vous livre les résultats de trois études de mon équipe qui montre toute l’ambivalence de la demande du malade : sa demande apparente explicite, est intriquée avec un non verbal, implicite.
A - d’abord on observe souvent comme une sorte de résistance aux médicament sédatifs : des doses importantes ne font forcement e facilement pas dormir le malade …ce qui en miroir, montre bien l’ambivalence de sa demande de dormir. La prudence et nos connaissances de la psychologie, exige qu’une demande ne doit pas se prendre au pied de la lettre, sans réflexion pour prendre le temps d’en décortiquer le sens profond.
B - nous avons fait une étude scientifique très précise sur le dernier souffle, : le dernier souffle ne se prend pas il se donne ; beaucoup de patient attendent que les visites soient sorties de la chambre pour décéder ; ou bien à l’inverse le malade attend la visite du fils en conflit ou de celui qui revient de l’autre bout du monde
Cela veut dire quoi : contrairement à ce que certain essayent de nous faire croire de manière dogmatique, la vie a du sens jusqu’au bout et le patient semble maitriser, même du fond de son coma parfois, la date et même l’heure de son dernier souffle.
C - Pour mourir il faut un corps abimé et un esprit qui lâche prise ; si votre esprit ne lâche pas prise, vous pouvez survivre avec des chiffres biologiques incroyables, pendant des jours et des jours.
Ces trois données nous montrent que même difficile, voire tragique, la fin du patient ne peut automatiquement être abrégée car au-delà des apparences, le malade garde son énergie psychique, du sens à sa vie.
Nous sommes là au cœur de la vie spirituelle de chaque personne.
3. Mais que penser des patients qui veulent abréger leur fin de vie, qui demande « à ne plus vivre ça « : cela reflète évidemment beaucoup de souffrance, et souvent une envie d’échapper à la finitude en la maitrisant
Il y a surtout beaucoup de malade qui ne sont pas assez soulagées et entendus : la souffrance et la douleur pas assez calmées explique bien des demandes d’euthanasie
Dans l’état actuel de la réflexion et de la loi, cela ne peut pas être au corps médical de prendre en charge les conditions de ce qui peut s’apparenter alors souvent à un suicide assisté ; notre cadre éthique et législatif s’y oppose et de longue réflexion sur ce sujet seront à mener.
Prenons garde aux amalgames : récemment 156 de nos députés ont signé un manifeste simpliste, montrant leur méconnaissance de tels sujets complexes, un manifeste pro euthanasie et pro suicide assisté : De plus Ce texte prétend que la décision du patient n’engage que lui ! Ce n’est pas de notre seule liberté dont il agit, nous sommes tous liés, tous partie prenant de cette collégialité humaine.
4. La société contemporaine, fascinée par la toute-puissance, la maitrise absolue… n’a pas forcément raison quand elle veut bousculer les valeurs et les principes.
Oui, beaucoup d’évolutions de notre société sont positives, moi-même je suis progressiste, je participe activement aux évolutions dans le champ de la fin de vie. Mais toutes les évolutions de sont pas forcément des progrès ! Et les défis de la bioéthique exigent notre vigilance sur nos valeurs, sur le sens profond des réformes qui sont en discussions, avec nous tous. Il nous faudra travailler longuement pour trouver d’autres voies, du moins s’il faut en trouver.
Docteur Pascale de Lonlay
pédiatre, responsable d’une unité de recherche à l’hôpital Necker
Monseigneur,
Vous m’avez demandée de faire un témoignage sur la recherche, en tant que médecin pédiatre avec une activité de recherche à l’hôpital et en tant que chrétienne.
J’ai en charge un service de maladies rares ou maladies orphelines, qui sont des maladies génétiques. Les patients nés avec des mutations sur un gène, présentent une anomalie biochimique. Parce que la biochimie est importante pour le fonctionnement de tous les organes, ces patients présentent après la naissance, ou plus tard dans la vie, un coma, une dysfonction du foie, du cœur ou d’autres d’organes.
Les avancées diagnostiques de la génétique et de la biochimie ont été immenses ces dernières années dans le domaine des maladies rares. C’est un progrès. Pourquoi un diagnostic ? pour une famille il est important de mettre un nom, un mot à la maladie dont souffre son enfant. Mais aussi et surtout, le diagnostic est important pour comprendre la maladie. Si on comprend le mécanisme de la maladie, on peut essayer de trouver un traitement. Et ce traitement peut être simple. Être soignant chercheur, c’est mettre les outils diagnostiques au service des patients pour essayer de trouver des traitements. Cela ne marche pas toujours, malheureusement. Mais il y a aussi de belles découvertes, même si elles sont trop rares, et parfois ces recherches se font par surprise.
Trois exemples courts illustrent cette recherche que j’ai pu observer ou expérimenter en équipe :
– 1er exemple : Dans le dernier stage d’internat, je découvre les maladies biochimiques dont je m’occupe. Cette spécialité semble un peu magique pour certaines de ces maladies appelées « intoxication ». Un toxique s’accumule dans le cerveau ou le foie. Mon ancien patron était capable de sortir du coma ou d’une insuffisance hépatique ces enfants de façon simple, avec peu de médicaments (bien-sûr spécialisés), reversant l’évolution naturelle de la maladie. En l’absence de traitement, notamment dans des pays moins médicalisés, ces patients meurent en qq heures ou jours. Après la sortie de réanimation, ces enfants sont traités à vie, avec des médicaments et régimes spéciaux, qui pallient le déficit biochimique avec lequel ils sont nés. On les mène à l’âge adulte. Pour deux de ces maladies, les patients font des complications à long terme, qu’on n’imaginait pas avant qu’ils ne survivent, et nous devons faire des transplantations d’organes. Nous ne nous lassons pas de voir ces équipes pluri disciplinaires, ces longues chaînes de travail très orchestrées, techniques, avec un ensemble de soignants le plus souvent dévoués et admirables.
– 2e exemple à la fin de l’internat, nous faisons un master de recherche. Mon sujet va porter sur une maladie rare encore mal connue à l’époque et mal traitée donnant des hypoglycémies sévères du jeune enfant et à qui on doit enlever tout le pancréas. Il fallait démontrer le mécanisme de cette maladie afin d’éviter une chirurgie complète du pancréas. Par ce travail d’équipe nous avons compris le mécanisme de cette maladie et éviter une chirurgie invasive à beaucoup d’enfants. Et ceci à partir de pancréas préalablement opérés et conservés au laboratoire. Ces résultats ont été ensuite communiqués afin que les autres équipes dans le monde aient l’information et appliquent le nouveau traitement proposé. Cette recherche a permis un progrès incontestable, même si elle ne concernait qu’une maladie rare. Petit à petit, cet aspect complémentaire à celui de soignant, qui permet de progresser en termes de traitement pour les patients, m’est devenu une évidence et un devoir.
– 3e exemple, après 15 ans de médecine : nous avons participé à l’identification d’un gène responsable d’une maladie très sévère, 1/3 des enfants meurent au cours d’un épisode aigu de dysfonctionnement d’organe. Nous ne comprenions rien à la protéine impliquée dans cette maladie. Nous nous sommes alors attelés à comprendre le mécanisme de cette maladie. Nous avons travaillé sur des cellules de nos patients, à partir de biopsies de peau et de muscle, et réalisé une recherche fondamentale grâce à notre post-doctorant et notre ingénieur d’étude. Ce qui a conduit à comprendre le mécanisme de cette maladie, la reproduire in vitro dans le tube à essai, puis identifier un traitement pour les cellules de patients. Après plus de 5 années de travail, nous avons pu proposer un médicament pour les patients, après accord du comité de protection des personnes. Il y avait urgence. Plutôt que de fabriquer un médicament, ce qui est toujours très long, nous avons proposé un médicament déjà disponible dans d’autres indications, et dont certaines propriétés nous intéressaient. Cette maladie génétique devient traitable et la recherche va permettre de transformer son évolution naturelle. Aussi avec l’aide d’associations de patients et de fondations/instituts qui aident la recherche. Pour d’autres maladies rares, des thérapies innovantes arrivent grâce à des équipes académiques d’excellence, et des équipes industrielles. On ne peut rien faire seuls.
Après ces 3 exemples, je voudrais vous faire partager un sentiment : l’émerveillement de l’extrême complexité de l’organisme. Le fonctionnement d’une petite voie biochimique requiert une, deux, en fait des centaines de protéines, de lipides, de sucres, qui s’orchestrent de façon extrêmement fine et articulée. Nature incroyablement complexe et finement régulée que la recherche permet d’entrapercevoir. Plus les chercheurs fondamentaux avancent, plus c’est compliqué, et on n’aura jamais tout expliqué. Complexité infinie, qui malgré tous nos efforts et de grandes avancées, reste toujours très complexe.
Pour finir, revenons au patient. Il est important que la recherche se fasse auprès du patient et des équipes soignantes dont les heures ne sont pas comptées, dans les services où il y a des rires, mais aussi de la souffrance. Car la recherche a pour finalité de servir le patient dans sa globalité, non pas traiter un symptôme ni permettre une réalisation personnelle. Les services hospitaliers et les nuits de garde le rappellent. Ne pas négliger les traitements de rééducation, de support, autant de projets pour améliorer le quotidien d’un patient. Avec un souci éthique : un traitement innovant, une médecine de plus en plus technique doivent s’inscrire dans l’histoire d’un enfant lui-même ancré dans une famille. Parfois on ne peut pas guérir, on peut « échouer », on ne peut pas tout, et on ne saura jamais tout. En revanche, continuer de chercher à apaiser, maintenir un projet, aussi « minime » soit-il. Le chrétien a sa place dans cette activité, avec vigilance, avec, bien-sûr, des choix à faire dans le parcours de stages et activités. Alors, le don de persévérance et de travail en équipe, chacun avec sa créativité, de la recherche fondamentale à l’application clinique parfois toute simple, est un cadeau à fructifier.
– Voir l’album-photos et la vidéo de la Veillée de prière pour la vie 2017.