Jour de Noël !

Il était une fois Théo, un jeune garçon qui –tu le sais maintenant- n’a pas pu aller passer Noël chez son Grand-Père, à la campagne, parce que ce dernier vient d’être opéré du cœur. C’est pourquoi, le 24 décembre 2024, le soir de Noël, il est chez lui, dans l’appartement de ses parents, au quatrième étage d’un immeuble situé au fond d’une cour, comme il en existe des milliers dans la grande ville de Paris. Le petit sapin de Noël, acheté au marché aux fleurs, est toujours là, ses jolies branches couvertes de guirlandes dorées et de décorations multicolores. Devant lui Théo, aidé de ses parents a ajouté une petite crèche : on y voit Marie, vêtue d’une longue robe bleue, elle est à genoux à côté de saint Joseph reconnaissable à sa longue barbe - bien plus épaisse que celle du papa de Théo – il s’appuie sur son bâton. Derrière eux un petit âne gris baisse la tête, peut-être impressionné par un ange blond (on dirait qu’il vient juste d’atterrir grâce à ses longues ailes déployées derrière lui). Dans un coin, derrière trois moutons frisés, un berger tient dans ses mains son chapeau à larges bords.
Théo regarde la toute petite crèche.
– Viens voir Maman, on dirait que le berger attend quelque chose, tu ne trouves pas ?
Maman qui vient de mettre une belle robe, en prévision du réveillon, se penche vers les petits santons :
– Oui ! Il attend sans doute l’enfant Jésus, pose-le devant Marie. Tu verras, la crèche sera complète.
– Oh non Maman, s’écrie Théo, il faut attendre minuit.
Maman se pince les lèvres comme lorsqu’elle n’est pas d’accord, alors Théo continue :
– Mais si Maman ! Tu te rappelles le chant que l’on écoute toujours chez Grand-Père ; et prenant une voix grave il entonne Minuit, Chrétiens c’est l’heure solennelle.
Caroline se met à sourire devant l’interprétation très personnelle de ce célèbre cantique que Théo est en train de chanter.
– Oui, c’est vrai tu as raison. Attendons minuit, on mettra le petit Jésus en même temps que Papa débouchera le champagne !
Puis tout en regardant sa montre, elle change de sujet : tu n’as pas oublié qu’Olivia et sa maman viennent passer le réveillon avec nous.
– Oui, car le papa d’Olivia est de garde cette nuit, il doit rester à la caserne des pompiers, si jamais il y avait un incendie.
Sur ces paroles, Caroline part rapidement à la cuisine pour terminer les préparatifs du dîner de réveillon. Théo, quant à lui, continue à regarder la petite crèche. Décidemment, il manque quelque chose, mais ce n’est pas l’enfant Jésus.
– Je sais, s’écrie le jeune garçon, c’est l’étoile du berger ! L’étoile éclaire la crèche et ensuite c’est grâce à elle que les rois mages arriveront -enfin- le 6 janvier !
Pour l’instant Théo a laissé les trois rois mages et leur dromadaire dans le tiroir de la commode. Mais il s’en souvient bien, il n’y a pas d’étoile en réserve.
– Il me faut une étoile ! se dit Théo.
Aussitôt dit il part comme une flèche dans sa chambre, et il en revient avec des feuilles, des feutres, de la colle et des ciseaux. Il dépose sur la table de la salle à manger, sur la belle nappe rouge, tout son matériel. Et il se met au travail. As-tu déjà essayé de dessiner une étoile, une belle étoile ? Tu sais à quel point c’est difficile pour que toutes ses branches soient de la même taille et qu’elles s’étalent de façon bien régulière.
– Théo, demande un peu plus tard Maman, comme Papa n’est pas encore rentré je vais ouvrir les huîtres. Peux-tu mettre le couvert en attendant ?
Concentré sur la fabrication de son étoile, le jeune garçon répond machinalement :
– Oui Maman.
Cinq minutes après, alors que Théo était en plein coloriage, sa Maman l’interpelle de nouveau :
– Pour les verres, prends les grands qui sont dans le buffet. A côté tu trouveras des serviettes en papier argentées : places-en une par assiette s’il te plaît.
– D’accord, répond Théo, tout en se demandant s’il ne devrait pas coller une petite étoile sur la grande, pour faire du volume et que cela soit plus joli dans la crèche.
Pendant les minutes qui suivent d’étranges bruits s’élèvent de l’appartement du quatrième étage de l’immeuble situé au fond d’une cour, comme il en existe des milliers dans la grande ville de Paris. Ce sont des bruits de papiers froissés et de ciseaux mélangés à des coquilles d’huitres qui tombent au fond de l’évier en inox.
Théo et Caroline terminent leur dur travail en même temps. Le jeune garçon tient fièrement dans sa main une étoile à 7 branches ou plutôt 3 étoiles coloriées dans un dégradé de jaune-doré, et collées entre elles par le centre.
– Magnifique, s’écrie Théo fier de lui.
– Magnifique, lui répond en écho Caroline, mais qu’est-ce que tu as fait ! Il y a des morceaux de papiers partout, tu as du feutre plein les mains et le couvert n’est pas mis !
Maman est en colère, comme rarement. Effectivement il y a des bouts de papiers répandus sur toute la longueur de la table et la boîte de feutres s’est renversée en partie par terre. Et c’est à cet instant que la sonnette de la porte d’entrée retentit.
Théo se tourne vers Caroline, il voit son visage se décomposer d’un seul coup et dans un souffle elle murmure :
– C’est Sophie ! Et jetant un dernier coup d’œil sur les papiers éparpillés, elle ajoute d’un ton désespéré : elle dont l’appartement est toujours impeccable !
Ensemble la mère et le fils ramassent tout ce qu’ils peuvent, le plus vite possible et le mettent dans un des tiroirs du buffet, à côté des rois mages et du dromadaire. De l’autre côté de la porte, les visiteurs s’impatientent : ils frappent et sonnent de nouveau. Enfin, il ne reste plus, sur la table de la salle à manger, que la belle étoile en papier. Alors Caroline enlève son tablier qu’elle lance d’un coup dans la cuisine, et elle se précipite pour ouvrir la porte :
– Joyeux Noël !
Olivia et sa maman Sophie, toutes les deux vêtues de gros manteaux et coiffées d’un bonnet de laine, les attendent derrière la porte.
– Ouf, s’écrie Olivia en prenant la main de Théo, j’ai cru que vous étiez déjà partis !
– Partis où, demande Théo ?
– Allez vite, enchaîne Sophie, votre cadeau de Noël vous attend, mettez votre manteau tous les deux !
– Mais Papa n’est pas rentré !
– Il nous rejoindra là-bas, répond Sophie en décrochant le manteau de Caroline.
– Mais où ?
– Ne t’inquiète pas Caroline, il est sûrement déjà arrivé !
– Et mes huîtres ? insiste Caroline toujours soucieuse.
– Elles attendront notre retour ! Vite, vite, vite !
Tout en riant Sophie et Olivia poussent Théo et sa maman dans l’escalier puis dans leur voiture, qui attend au pied de l’immeuble, toutes lumières clignotantes. Le trajet est plutôt rapide, le soir de Noël, beaucoup de Parisiens sont partis à la montagne ou à la campagne, enfin dans des endroits où on peut voir beaucoup plus facilement le ciel et ses étoiles.
Depuis l’arrière de la voiture, occupé à nouer ses lacets et à remettre son manteau correctement, Théo n’a pas bien pu suivre le trajet accompli. A peine garés, ils sont poussés hors du véhicule par Sophie et Olivia, qui, en riant, les entraînent à toutes jambes vers la mystérieuse destination.
Et tout à coup, là, elle apparaît devant eux. Oui vraiment.
– Notre-Dame ! s’exclama Théo !
Il a même l’impression que là-haut, sur sa tour, la chimère ne tire plus la langue, et, bien au contraire, lui fait un petit signe de bienvenue !
Et Caroline de s’exclamer :
– Pour une surprise…Qu’est-ce que l’on fait ici, s’étonne Caroline ?
– Venez, vous êtes attendus !
– A cette heure !
Mais déjà Sophie les pousse, non pas vers le portail de droite, là où une foule recueillie fait la queue, mais à gauche, vers le portail Sainte-Anne. Un pompier -c’est Eric, le papa d’Olivia- se tient là, et en les voyant, il leur dit :
– Troisième rangée en partant du chœur, sur votre droite, face à Notre-Dame du Pilier. Dépêchez-vous, la messe va commencer.
Et alors que le petit groupe remonte la longue nef, derrière eux, quelqu’un se met à jouer de l’orgue. C’est comme si Caroline et Théo avaient été attendus, ici, en ce soir de Noël. Pourtant ils ne sont pas seuls, les rangées de chaises sont toutes occupées par des gens de tous âges et de tous horizons. Autour les flammes de centaines de bougies -déposées au-dessus des chapiteaux- tremblent comme agitées par le souffle de l’orgue. Ils sont arrivés au milieu de la nef, quand dans le chœur, la Maîtrise chante :
– Les anges dans nos campagnes, ont entonné l’hymne des Cieux…
Le mélange des voix enfantines et des voix adultes donne vraiment l’impression que, ce soir, le ciel descend sur terre :
– Et l’écho de nos montagnes redit ce chant mélodieux…
Dans Notre-Dame, contre les voûtes, l’écho retentit. Théo croit voir les anges blonds des vitraux voleter au-dessus du chœur.
– Gloria in excelsis deo !
Mais bientôt Théo et sa Maman oublient les chants joyeux, les bougies lumineuses, les anges et la fatigue de l’heure tardive.
– Grand-Père ?
Encore quelques mètres à parcourir alors que l’orgue improvise sur les notes brillantes du Gloria.
Théo n’ose y croire, là au troisième rang, sur sa droite, face à la statue de Notre-Dame du Pilier, à côté de son Papa : c’est son Grand-Père !
Sans savoir comment, Théo se retrouve assis à côté de lui.
Dans le chœur un prêtre, vêtu d’une aube brodée de fil d’or, prend la parole.
« Mes amis, quelle joie de célébrer, dans Notre-Dame restaurée, la naissance de Jésus. Il est né le Divin Enfant. Gloria in excelsis Deo. Que la paix et la joie descendent sur le monde : Jésus-Enfant vient pour nous consoler et nous sauver. »
Théo est ému et heureux comme il ne l’a jamais été : parce qu’il a retrouvé son Grand-Père, parce que c’est Noël, parce que les Chrétiens du monde entier fête aujourd’hui la naissance de Jésus.
Pour mieux partager cette joie Théo veut passer sa petite main dans celle de son Grand-Père quand il s’aperçoit -c’est incroyable ! - qu’il tient toujours son étoile de papier.
– Grand-Père, Joyeux Noël ! Tiens, c’est pour toi !
C’est un Grand-Père, un peu amaigri, mais souriant et les yeux pétillants qui lui répond :
– Oh, une belle étoile du berger ! Joyeux Noël mon Théo !
– Mais comment es-tu venu jusqu’ici, demande Théo.
– C’est ton Papa qui est venu me chercher, mais cela a été compliqué, on t’expliquera…après la messe de Minuit !
